Maslow prolonge dans
ce livre les thématiques de l’ouvrage précédent, en particulier
sur ce qui définit l’humain qui a atteint son plein potentiel de
réalisation de soi (moins d’1 % de la population selon lui).
S’il utilise son propre recueil de données et situe bien sa pensée
dans le cadre de la psychologie (discipline qui englobe trop peu de
choses selon lui), il est transparent sur le fait de faire part en
grande partie de réflexions personnelles (principalement issues du
taoïsme et de la philosophie existentielle, l’ensemble du propos
aurait probablement été plus limpide pour moi si j’avais eu
quelques connaissances sur ces bases théoriques), et conclut le
livre sur quarante-trois hypothèses qu’il invite les chercheur·se·s
qui voudraient approfondir son œuvre à confirmer ou réfuter.
Un point central de
son développement est la distinction entre la cognition centrée sur
le manque (Deficiency cognition, ou D-Cognition) et la
cognition centrée sur l’Être (B-cognition pour Being
cognition) : le sens d’une action, la motivation, seront
radicalement différents selon que l’objectif soit de combler un
manque ou d’être soi, de se réaliser. La notion de motivation
elle-même dans le cas de la B-cognition sera d’ailleurs
bien plus floue, le moyen étant souvent aussi une fin en soi (un·e
artiste peintre peindra certes pour avoir à la fin une toile à
exposer, mais aussi, dans l’instant présent, pour peindre), alors
que la personne qui cherche à combler un manque se préoccupera
beaucoup plus du résultat que du processus, qui tiendra plutôt de
l’inconvénient. Peut-être moins évident, la B-cognition intègre
des éléments comme être capable de faire preuve non-jugement
absolu (pouvoir admirer au microscope la beauté d’une
cellule cancéreuse, en mettant volontairement de côté ce qu’elle
fait à l’organisme) ou de percevoir les choses comme un tout, la
catégorisation limitant nécessairement la perception (en la
spécialisant), l’opposition entre la catégorisation et la
perception holistique étant par ailleurs une préoccupation
récurrente de Maslow.
L’auteur s’interroge
aussi sur la nature humaine, tout en étant clair sur le fait que son
accomplissement ne peut être permis qu’en se voyant offrir des
ressources suffisantes (matérielles mais aussi, par exemple,
affectives) et non par la contrainte, serait-ce pour guider dans une
direction qui paraît être la bonne. Il est un peu plus directif
quand il estime que ne pas développer une qualité intrinsèque
créera une sensation de manque, et que par exemple une personne
musclée ressentira le besoin d’utiliser ses muscles (et pour ne
pas laisser passer une occasion de dire quelque chose de douteux, il
liste l’utérus dans ses exemples de qualités à utiliser). S'il parle pour une raison qui m'échappe d'une nature masculine ou féminine à développer pleinement avant de développer sa nature humaine (qu'est-ce que ce serait si il aimait bien les catégorisations!), il précise qu'alors que pour lui la nature de chaque animal est plutôt facile à identifier (selon ce qu'on attend de l'animal), l'humain·e idéal·e est plus difficile à définir. Il va jusqu'à donner des inconvénients de certains éléments associés à la B-cognition, qui m'ont pour certains laissé perplexe, comme le fait que l'acceptation pourrait mener à la passivité (alors qu'en renonçant à changer ce sur quoi on ne peut pas agir, l'acceptation libère au contraire des ressources pour mettre en œuvre des solutions plus pragmatiques), ou encore quand pour le non jugement il donne l'exemple du ou de la chirurgien·ne perdu·e dans l'observation non-jugeante de la tumeur qui en oublie d'opérer (non mais, je veux dire, c'est une vraie préoccupation des patient·e·s et des professionnel·le·s? il y a des stats annuelles ou par hôpital d'opérations qui ratent parce que le·a chirurgien·ne est paralysé·e parce qu'iel devient subitement incapable de faire une hiérarchie entre l'action d'opérer et l'action de rester là à regarder l'intérieur de son ou sa patient·e?).
Ce livre est un objet
particulier, entre la psychologie scientifique et les considérations
philosophiques. Mais s’il ne m’a pas tant passionné que ça,
c’est peut-être parce que les pistes évoquées ont depuis été
développées avec par exemple les principes de la méditation, de l’Approche
Centrée sur la Personne, de la psychologie positive (enfin je
suppose je ne connais pas grand-chose à la psychologie positive), et
si je ne sais pas vraiment dans quelle mesure ce livre est pionnier, il a clairement anticipé la direction qu'allait prendre une part importante de la psychologie clinique.
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