S’il est
évident que l’entrée dans la dépendance a des conséquences sur
les individus, elle a aussi des conséquences, par définition, sur
leurs proches. Pour diverses raisons (personnelles, culturelles,
économiques, ...), le choix n’est pas toujours de faire intégrer
un Ehpad à la personne dépendante, et les soins du quotidien sont
fournis, avec souvent une aide professionnelle extérieure (pas
toujours bien accueillie!), par, le plus souvent, l’un des enfants,
ou le·a conjoint·e, de la personne dépendante, qui en plus
d’avoir son quotidien radicalement modifié ("le temps passé à
s’occuper du malade est en moyenne de 8 heures par jour", "93 %
des aidants se sentent épuisés, 90 % sont déprimés"), voit
une relation de longue date se redéfinir et se reconstruire.
Spécialistes de gériatrie, les auteur·ice·s reprennent plusieurs enjeux
psychique de cette situation, sans négliger les aspects pratiques.
Contrairement à ce qu’indique le titre, le livre ne concerne pas
spécifiquement la Maladie d’Alzheimer mais la dépendance liée au
vieillissement en général.
Pour
limiter les risques de maltraitance liés aux différents enjeux de
la situation (difficulté de prendre une pause, moyens de
communication limités par les déficiences, recherche d’une
perfection impossible pour l’aidant·e qui transformera sa culpabilité
en agressivité envers la personne dépendante, …), dont certains
ne sont pas sans rappeler le triangle dramatique, les auteur·ice:s
proposent, reprenant le célèbre concept de Winnicott ("l’adaptation
de l’aide dans la maladie d’Alzheimer possède des bases
pulsionnelles identiques"), la notion d’aidant·e suffisamment
dévoué·e. Iels proposent en particulier, à travers le concept
du sentiment de bien-faire, une sortie progressive de la sensation de
maîtrise totale et de l’illusion gémellaire, permettant de mieux
supporter les aggravations de l’état de la personne dépendante ou
la participation des tiers, la notion de sortie de la bientraitance
(qui peut être repérée et rectifiée, par opposition à la
maltraitance qui s’installe dans la relation), ou encore le travail
de la dépendance, qui est une forme de pré-deuil avec l’acceptation
éventuelle de l’ambivalence et de la culpabilité. Du côté de ce
que le·a soignant·e peut proposer, les auteur·ice·s proposent un travail de
guidance ("un soutien spécialisé demandé par l’aidant ou
indiqué par un tiers, pratiqué par un clinicien formé à la
psychothérapie, visant à soutenir le travail de mentalisation").
L’une
des spécificités du livre est que près de la moitié est consacrée
à des vignettes cliniques ("observations commentées"), ce qui
permet d’une part de constater la diversité des situations et
surtout leur dynamisme (l’état de santé de la personne dépendante
varie… mais aussi celui de l’aidant·e, sans compter que les
relations familiales se redéfinissent), le nombre de personnes
impliquées (on a vite fait de se représenter des situations presque
uniquement duelles!) ou l’importance des représentations, y
compris pour les soignant·e·s qui doivent être bien vigilant·e·s à
écouter tou·te·s les interlocuteur·ice·s tout en observant les éléments
factuels (tests mémoire, …), le niveau de dépendance pouvant vite
être sous-estimé ou surestimé. Le fait que chaque auteur et
autrice commente les observations individuellement est une richesse
supplémentaire : même entre professionnel·le·s, l’attention ne
se porte pas nécessairement sur les mêmes éléments. C’est
particulièrement le cas dans une vignette clinique dans laquelle le
fils de la personne dépendante détourne ses fonds, la laissant avec
quatre mois de loyers de retard quand ses autres enfants s’en
aperçoivent. Alors que l’une des autrices s’attardera sur la
situation d’abus de faiblesse en général, indiquant les éléments
qui doivent appeler à la vigilance, un autre s’intéressera plus
aux enjeux psychiques intrafamiliaux, comme la tentation de laisser
faire en voyant ça comme une rémunération indirecte pour l’aide
apportée, la difficulté de porter plainte contre un membre de sa
propre famille, ou encore les échos que ce type de situation peut
avoir avec des rivalités de longue date dans la fratrie.
Pour ce
sujet on ne peut plus concret (peut-être un peu trop, comme vient le
rappeler la statistique de 93% d’aidant·e·s qui se sentent épuisé·e·s)
et probablement appelé à concerner de plus en plus de personnes
avec le vieillissement de la population, ce livre offre un bon
compromis entre théorie et pratique, et invite surtout, ce qui est
rendu difficile par la situation, à ne pas rester seul·e (aide de
soignant·e·s, groupe d’aidant·e·s, …). Il peut aussi aider les
professionnel·le·s (aide à domicile, …) à mieux comprendre les enjeux
de ces personnes qu’iels fréquentent au quotidien, avec lesquel·le·s
les relations ne sont pas nécessairement évidentes.
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