Ce
livre qui fait un recensement de l’état de la science sur la
psychothérapie est extrêmement axé... sur la pratique. L’auteur
attache une grande importance à l’accessibilité de son
travail, avec des infos faciles à retrouver, une définition
des mots clefs, des conseils de lecture pour aller plus loin sur
certains thèmes, et regroupe régulièrement ce qui est à retenir,
concrètement, sur chaque point, pour s’améliorer en tant que
thérapeute. Si Mick Cooper pratique lui-même la thérapie
existentialiste (proche de l’Approche Centrée sur la Personne), et
que le sous-titre ("les faits sont nos amis") est une
référence à Carl Rogers, le livre concerne bien tous les
types de psychothérapie, et pas seulement l’Approche Centrée sur
la Personne (bien sûr je ne dis pas ça pour moi, n’allez surtout
pas imaginer que je ne m’en suis rendu compte qu’après avoir
largement entamé l’introduction).
La
première bonne nouvelle est que la psychothérapie… fonctionne!
Mieux que rien, ce qui est déjà pas mal (ce qui n’empêche
pas 5 à 10 % des client·e·s, voire plus dans le cas de
l’addiction, de voir leur état aggravé par la thérapie), et même
mieux que des médicaments tous seuls, enfin à peu près pareil mais
avec des effets plus durables. C’est même une pratique
économiquement rentable (pour la santé publique, pas pour les
thérapeutes, tssss). L’auteur donne toutefois d’autres
bonnes, bien que désobligeantes, raisons de lire son livre, de
s’appuyer sur un savoir obtenu de façon standardisée plutôt que
sur l’expérience personnelle : la perception de la
réussite d’une thérapie par les thérapeutes ne s’accorde pas
si souvent avec celle des client·e·s (et dans 60 à 70 % des cas
ils ou elles n’attribuent pas la réussite aux mêmes éléments!),
les thérapeutes tendent à surestimer leurs compétences par rapport
à celles de leurs confrères·sœurs (c’est une tendance,
évidemment ce ne sera pas mon cas quand je serai moi-même
thérapeute), ou encore les thérapeutes sont de très mauvais·e·s
prédicteur·ice·s du résultat d’une thérapie (dans une recherche
de 1997, sur quarante-deux client·e·s dont l’état s’était
aggravé au cours de la thérapie, un seul cas avait été anticipé
par les thérapeutes). Il est toutefois rappelé que des données
générales ne s’appliquent pas à chaque client·e en particulier :
orienter sa pratique sur des connaissances scientifiques, si solides
soient-elles, ne dispense pas de savoir s’adapter à chaque
individu ("les gens sont plus compliqués que les psychologues
voudraient qu’ils ne le soient", comme l’a constaté Robert
Altemeyer, lui-même chercheur).
Le
livre date de 2008, et la recherche scientifique avance vite et
constamment (parfois un
peu trop), mais la date de parution du livre a laissé le temps
aux chercheur·se·s de se poser pas mal de questions, et d’y
répondre au mieux. Est-ce que le·a thérapeute doit être
distant·e ou chaleureux·se? Est-ce que les interprétations aident?
Est-ce qu’il est pertinent de parler de soi? Est-ce que donner des
choses à faire aux client·e·s entre les séances, leur conseiller
des lectures ou des films, sert à quelque chose? Quelle est la
meilleure attitude à adopter face au transfert et au
contre-transfert? En cas de conflit entre client·e et thérapeute?
Dans quelle mesure est-il pertinent d’être strict·e sur le cadre?
Y a-t-il des prédispositions aidantes ou néfastes pour le·a
client·e, le·a thérapeute? Est-ce que ça change quelque
chose que client·e et thérapeute soient de la même religion, de la
même classe sociale? Pour toutes ces questions et bien d’autres,
l’auteur indiquera, de façon sourcée bien sûr, les certitudes,
les nuances, les contradictions, que peuvent apporter l’état de la
science. J’ai par exemple été surpris d’apprendre que la partie
cognitive des TCC ne semble pas avoir tant d’intérêt que ça,
ou encore que les interventions paradoxales (la prescription du
symptôme par exemple) sont efficaces, plus encore quand elles sont
inattendues, sans être particulièrement risquées. Plus consensuel
mais bon à savoir, les objections des client·e·s sont à prendre au
sérieux (d’autant qu’iels ne formulent pas tous les
reproches), la supervision est fortement recommandée, les attentes
irréalistes des client·e·s doivent être rectifiées (mais l’autre
extrême, ne pas croire en la thérapie, diminue aussi l’efficacité),
la relation thérapeutique est d’une grande importance quelle que
soit la méthode, et l’un des plus grands prédicteurs de réussite
est… l’implication du ou de la client·e.
Question
à 1000 Euros (enfin, façon de parler, l’enjeu est bien plus
important que ça), quelle est la méthode la plus efficace? La
réponse est que d’une part l’efficacité de la méthode est loin
d’être le seul critère d’efficacité d’une thérapie, et
d’autre part que… c’est compliqué. Non que le sujet soit
esquivé, pour des raisons de diplomatie, de conflit d’intérêt
(l’auteur pourrait être tenté de taire d’éventuels résultats
peu convaincants des thérapies humanistes, ou des résultats trop
convaincants d’autres méthodes) ou autre : des données sont
fournies par méthode, et même, séparément, par technique ou
attitude (par exemple pour l’Approche Centrée sur la Personne, la
congruence, l’approche positive inconditionnelle, l’empathie, les
relances non-directives, sont aussi évaluées séparément… j’ai
aussi appris que la fameuse technique des deux chaises en Gestalt,
qui peut sembler exotique ou désuète, a une vraie efficacité), ou
encore sur les méthodes les plus recommandées par pathologie. Si on
s’arrête à ces infos là, il n’y a pas photo, l’avantage
revient aux Thérapies Comportementales et Cognitives, ce qui va
très nettement à l’encontre de l’effet dodo. La dénomination
de cet effet ne sous-entend pas que les psychothérapeutes sont
menacé·e·s d’extinction par les chasseur·se·s, mais vient du dodo
d’Alice
au Pays des Merveilles qui
décrète que tous les participants de la course sont vainqueurs :
l’idée est donc que toutes les méthodes se valent. L’auteur,
sans trancher, donne des éléments pour aller dans le sens de
l’effet dodo, et des éléments qui vont contre. Les résultats des
TCC sont bien réels, mais sont à nuancer dans la mesure où les TCC
sont des thérapies centrées sur l’évaluation… donc bien plus
évaluées, mais aussi bien plus évaluables (en particulier, elles
sont souvent brèves, et ont des objectifs mesurables, quand elles ne
sont pas à l'origine des outils de mesure). Plus insidieux (et qui
ne concerne pas seulement les TCC!) : l’effet d’allégeance
tend, comme son nom l’indique, à favoriser les méthodes dont le·a chercheur·se cherche à prouver l’efficacité. Non pas qu’il
y ait triche, mais le groupe contrôle, par exemple, est souvent
évalué dans des conditions peu réalistes (thérapeutes non
spécialistes, consignes qui faussent le processus pour que les
procédures ne fassent pas doublon avec celles du groupe
expérimental, …). L’auteur ne parle pas du biais de
non-publication (les recherches publiées avec un résultat observé
ne renseignent pas sur le nombre de recherches similaires
éventuellement effectuées sans résultat, donc le plus souvent non
publiées), que je suspecte d’amplifier ledit effet d’allégeance.
Un autre argument en faveur de l’effet dodo est que de nombreux
facteurs entrent en compte dans la réussite d’une thérapie, et
que la supériorité d’une méthode, réelle ou non, n’a pas tant
d’impact que ça. Les principales objections à l’effet dodo sont
que les contre-arguments nuancent, mais n’effacent pas, les
différences constatées dans des méta-analyses dont certaines
prennent précisément en compte les biais tels que l’effet
d’allégeance, ou encore que dire que toutes les thérapies sont de
même valeur reste imprécis et occulte le fait que pour telle
pathologie ou tel symptôme, une méthode ou une technique peut être
bien plus appropriée qu’une autre.
Si
accessible et pratique d’utilisation que soit le livre, l’auteur
invite à ne pas en rester là, et à s’abonner au moins aux
newsletter de revues scientifiques, à évaluer sa propre pratique si
on le souhaite (avec un questionnaire téléchargeable
sur www.coreims.co.uk ),
et dans l’idéal à être non seulement "research-informed"
(au courant de l’état de la science) mais "research-inspired"
(inspiré·e par la recherche) voire "research-revitalised"
(revitalisé·e par… c’est bon vous avez compris). Ce que je
regrette le plus dans le fait que le livre date de 2008, ce n’est
pas qu’une partie des données soit éventuellement obsolète, mais
que depuis 11 ans le livre n’ait toujours pas été traduit en
français.
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