lundi 28 octobre 2019

Essential Research Findings in Counselling and Psychotherapy, de Mick Cooper




 Ce livre qui fait un recensement de l’état de la science sur la psychothérapie est extrêmement axé... sur la pratique. L’auteur attache une grande importance à l’accessibilité de son travail, avec des infos faciles à retrouver, une définition des mots clefs, des conseils de lecture pour aller plus loin sur certains thèmes, et regroupe régulièrement ce qui est à retenir, concrètement, sur chaque point, pour s’améliorer en tant que thérapeute. Si Mick Cooper pratique lui-même la thérapie existentialiste (proche de l’Approche Centrée sur la Personne), et que le sous-titre ("les faits sont nos amis") est une référence à Carl Rogers, le livre concerne bien tous les types de psychothérapie, et pas seulement l’Approche Centrée sur la Personne (bien sûr je ne dis pas ça pour moi, n’allez surtout pas imaginer que je ne m’en suis rendu compte qu’après avoir largement entamé l’introduction).

 La première bonne nouvelle est que la psychothérapie… fonctionne! Mieux que rien, ce qui est déjà pas mal (ce qui n’empêche pas 5 à 10 % des client·e·s, voire plus dans le cas de l’addiction, de voir leur état aggravé par la thérapie), et même mieux que des médicaments tous seuls, enfin à peu près pareil mais avec des effets plus durables. C’est même une pratique économiquement rentable (pour la santé publique, pas pour les thérapeutes, tssss). L’auteur donne toutefois d’autres bonnes, bien que désobligeantes, raisons de lire son livre, de s’appuyer sur un savoir obtenu de façon standardisée plutôt que sur l’expérience personnelle : la perception de la réussite d’une thérapie par les thérapeutes ne s’accorde pas si souvent avec celle des client·e·s (et dans 60 à 70 % des cas ils ou elles n’attribuent pas la réussite aux mêmes éléments!), les thérapeutes tendent à surestimer leurs compétences par rapport à celles de leurs confrères·sœurs (c’est une tendance, évidemment ce ne sera pas mon cas quand je serai moi-même thérapeute), ou encore les thérapeutes sont de très mauvais·e·s prédicteur·ice·s du résultat d’une thérapie (dans une recherche de 1997, sur quarante-deux client·e·s dont l’état s’était aggravé au cours de la thérapie, un seul cas avait été anticipé par les thérapeutes). Il est toutefois rappelé que des données générales ne s’appliquent pas à chaque client·e en particulier : orienter sa pratique sur des connaissances scientifiques, si solides soient-elles, ne dispense pas de savoir s’adapter à chaque individu ("les gens sont plus compliqués que les psychologues voudraient qu’ils ne le soient", comme l’a constaté Robert Altemeyer, lui-même chercheur).

 Le livre date de 2008, et la recherche scientifique avance vite et constamment (parfois un peu trop), mais la date de parution du livre a laissé le temps aux chercheur·se·s de se poser pas mal de questions, et d’y répondre au mieux. Est-ce que le·a thérapeute doit être distant·e ou chaleureux·se? Est-ce que les interprétations aident? Est-ce qu’il est pertinent de parler de soi? Est-ce que donner des choses à faire aux client·e·s entre les séances, leur conseiller des lectures ou des films, sert à quelque chose? Quelle est la meilleure attitude à adopter face au transfert et au contre-transfert? En cas de conflit entre client·e et thérapeute? Dans quelle mesure est-il pertinent d’être strict·e sur le cadre? Y a-t-il des prédispositions aidantes ou néfastes pour le·a client·e, le·a thérapeute? Est-ce que ça change quelque chose que client·e et thérapeute soient de la même religion, de la même classe sociale? Pour toutes ces questions et bien d’autres, l’auteur indiquera, de façon sourcée bien sûr, les certitudes, les nuances, les contradictions, que peuvent apporter l’état de la science. J’ai par exemple été surpris d’apprendre que la partie cognitive des TCC ne semble pas avoir tant d’intérêt que ça, ou encore que les interventions paradoxales (la prescription du symptôme par exemple) sont efficaces, plus encore quand elles sont inattendues, sans être particulièrement risquées. Plus consensuel mais bon à savoir, les objections des client·e·s sont à prendre au sérieux (d’autant qu’iels ne formulent pas tous les reproches), la supervision est fortement recommandée, les attentes irréalistes des client·e·s doivent être rectifiées (mais l’autre extrême, ne pas croire en la thérapie, diminue aussi l’efficacité), la relation thérapeutique est d’une grande importance quelle que soit la méthode, et l’un des plus grands prédicteurs de réussite est… l’implication du ou de la client·e.

 Question à 1000 Euros (enfin, façon de parler, l’enjeu est bien plus important que ça), quelle est la méthode la plus efficace? La réponse est que d’une part l’efficacité de la méthode est loin d’être le seul critère d’efficacité d’une thérapie, et d’autre part que… c’est compliqué. Non que le sujet soit esquivé, pour des raisons de diplomatie, de conflit d’intérêt (l’auteur pourrait être tenté de taire d’éventuels résultats peu convaincants des thérapies humanistes, ou des résultats trop convaincants d’autres méthodes) ou autre : des données sont fournies par méthode, et même, séparément, par technique ou attitude (par exemple pour l’Approche Centrée sur la Personne, la congruence, l’approche positive inconditionnelle, l’empathie, les relances non-directives, sont aussi évaluées séparément… j’ai aussi appris que la fameuse technique des deux chaises en Gestalt, qui peut sembler exotique ou désuète, a une vraie efficacité), ou encore sur les méthodes les plus recommandées par pathologie. Si on s’arrête à ces infos là, il n’y a pas photo, l’avantage revient aux Thérapies Comportementales et Cognitives, ce qui va très nettement à l’encontre de l’effet dodo. La dénomination de cet effet ne sous-entend pas que les psychothérapeutes sont menacé·e·s d’extinction par les chasseur·se·s, mais vient du dodo d’Alice au Pays des Merveilles qui décrète que tous les participants de la course sont vainqueurs : l’idée est donc que toutes les méthodes se valent. L’auteur, sans trancher, donne des éléments pour aller dans le sens de l’effet dodo, et des éléments qui vont contre. Les résultats des TCC sont bien réels, mais sont à nuancer dans la mesure où les TCC sont des thérapies centrées sur l’évaluation… donc bien plus évaluées, mais aussi bien plus évaluables (en particulier, elles sont souvent brèves, et ont des objectifs mesurables, quand elles ne sont pas à l'origine des outils de mesure). Plus insidieux (et qui ne concerne pas seulement les TCC!) : l’effet d’allégeance tend, comme son nom l’indique, à favoriser les méthodes dont le·a chercheur·se cherche à prouver l’efficacité. Non pas qu’il y ait triche, mais le groupe contrôle, par exemple, est souvent évalué dans des conditions peu réalistes (thérapeutes non spécialistes, consignes qui faussent le processus pour que les procédures ne fassent pas doublon avec celles du groupe expérimental, …). L’auteur ne parle pas du biais de non-publication (les recherches publiées avec un résultat observé ne renseignent pas sur le nombre de recherches similaires éventuellement effectuées sans résultat, donc le plus souvent non publiées), que je suspecte d’amplifier ledit effet d’allégeance. Un autre argument en faveur de l’effet dodo est que de nombreux facteurs entrent en compte dans la réussite d’une thérapie, et que la supériorité d’une méthode, réelle ou non, n’a pas tant d’impact que ça. Les principales objections à l’effet dodo sont que les contre-arguments nuancent, mais n’effacent pas, les différences constatées dans des méta-analyses dont certaines prennent précisément en compte les biais tels que l’effet d’allégeance, ou encore que dire que toutes les thérapies sont de même valeur reste imprécis et occulte le fait que pour telle pathologie ou tel symptôme, une méthode ou une technique peut être bien plus appropriée qu’une autre.

 Si accessible et pratique d’utilisation que soit le livre, l’auteur invite à ne pas en rester là, et à s’abonner au moins aux newsletter de revues scientifiques, à évaluer sa propre pratique si on le souhaite (avec un questionnaire téléchargeable sur www.coreims.co.uk ), et dans l’idéal à être non seulement "research-informed" (au courant de l’état de la science) mais "research-inspired" (inspiré·e par la recherche) voire "research-revitalised" (revitalisé·e par… c’est bon vous avez compris). Ce que je regrette le plus dans le fait que le livre date de 2008, ce n’est pas qu’une partie des données soit éventuellement obsolète, mais que depuis 11 ans le livre n’ait toujours pas été traduit en français.

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