mercredi 27 janvier 2021

Le premier lien. Théorie de l'attachement, de Blaise Pierrehumbert


 Le livre propose, avec une approche chronologique, la genèse des précieux apports de John Bowlby, un bilan, et les avancées et l'état de la recherche depuis (avec une réédition en 2018, on peut imaginer que le texte est pas mal à jour), pour s'achever sur un chapitre peut-être un peu dense sur l'amour où cohabitent Freud, les astronautes, la quatrième paire de nerf crâniens ou encore le moi-peau, les Vierges à l'enfant de la Renaissance, la phényléthylamine et l'ocytocine.

 Si l'incarnation emblématique de la théorie de l'attachement est la situation étrange de Mary Ainsworth, expérimentation qui permet d'observer l'attitude de l'enfant (de 9 à 18 mois) au moment de la séparation mais surtout des retrouvailles avec une figure d'attachement, ce n'est ni son début ni sa fin. L'historique détaillé, jusqu'à reprendre des éléments biographique de l'enfance de Bowlby et... de Darwin, rappellera sa genèse dans la psychanalyse (Bowlby a en grande partie été formé par Melanie Klein) puis l'éthologie (qui donnera un appui méthodologique à l'inclination de Bowlby de s'intéresser aux objets réels plutôt qu'aux objets fantasmatiques), avant de faire des aller-retour enrichissants entre la psychologie du développement, la psychologie clinique... et même un retour final à la psychanalyse, sans compter les apports de la linguistique avec le travail de Mary Main, qui a permis une évolution importante de l'évaluation de l'attachement pour les adultes.

 Même si tout est repris depuis le début (et même avant, on remonte quand même parfois à Darwin!), la lecture sera infiniment plus fluide pour le.a lecteur.ice qui est déjà familier.ère avec la théorie : sous son aspect de livre de vulgarisation, le livre va parfois très, très vite... ce qui est aussi le cas pour les nuances, remises en questions, ouvertures qu'a engendrées le travail de Bowlby. L'ouvrage est intéressant, mais pas vraiment confortable à lire, forçant à reconsidérer ce qu'on croyait savoir. Vous aviez intégré que l'attachement d'une personne était plus ou moins sécure? Oui, mais, par exemple, l'attachement au père et à la mère est la plupart des cas différent (et c'est l'attachement à la mère qui sera le plus prédicteur de la sécurité émotionnelle). Et puis, que penser du fait que l'attachement avec des personnes extérieures à la famille (nounou, professionnel.le dans les crèches ou les orphelinats, ...) n'ait pas été tant mesuré que ça? Par contre, malgré beaucoup de temps passé sur l'attachement respectif envers le père et la mère, pas un mot sur l'homoparentalité (mais c'est peut-être une question d'époque... après tout, en 2018, qui était sensibilisé au sujet?). Une certaine continuité a été observée entre l'attachement de l'enfant et celui de l'adolescent.e ou de l'adulte? Oui, mais les investigations étaient calquées sur le modèle appliqué à l'enfance, est-ce qu'on a pas un peu trop trouvé ce qu'on cherchait?

 Ces questions, et bien d'autres, se voient apporter des réponses élaborées et nuancées, recensement de la recherche à l'appui, les zones d'ombre restantes sont exprimées, mais ça va souvent assez vite : une fois la question posée, le.a lecteur.ice se retrouve parfois à devoir composer avec une avalanche de données, sans avoir forcément trop le temps de respirer. La forme est par contre parfaitement adaptée au préalable à un travail de recherche, avec un état de la science détaillé et des référence pour explorer plus en détail. Le tout donne une sensation d'ouverture : les certitudes d'hier sont remplacées par des questions, et les réponses apportées entre temps appellent à de nouvelles questions, de nouveaux secteurs à explorer (j'ai parlé de l'amour dans l'intro du résumé -grâce à moi vous penserez à la quatrième paire de nerfs crâniens lors de votre prochaine Saint Valentin-, mais des pistes enthousiasmantes sont données sur la transmission intergénérationnelle, l'addiction, ...). Même si il y a beaucoup de données dedans (dont l'essentiel est à aller chercher dans les références fournies), c'est plus un livre qui allume un feu qu'un livre qui remplit un vase.

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