lundi 1 février 2021

Psychologie existentielle, dirigé par Rollo May


 Ce livre à plusieurs voix, dont des très grands noms tels que Rogers ou Maslow (même si 60% du contenu est rédigé par Rollo May!), est comme un entretien d'embauche de l'existentialisme par la psychothérapie ("l'existentialisme n'est pas un système thérapeutique mais une attitude envers la thérapie"). Le titre du chapitre d'Abraham Maslow, "Quel intérêt pour nous, les thérapeutes?", pourrait en effet être le titre de l'ouvrage.

 Si des critiques envers l'existentialisme sont formulées de façon très transparente (Gordon Allport déplore par exemple que les textes philosophiques fondateurs sont presque incompréhensibles, ou encore constate que l'existentialisme européen insiste plus sur les aspects sombres, alors que les applications américaines vont plus s'orienter vers les leviers positifs), si des limites sont désignées, ce sont surtout les insuffisances des modèles thérapeutiques existants qui sont pointées du doigt : de la même façon qu'expliquer l'art ou la religion ne permet pas d'en contacter l'essence, que ce soit en psychanalyse ou dans les approches comportementales naissantes, prédire, comprendre, ce n'est pas rencontrer la personne ("le dogme technique protège le psychologue et le psychiatre de sa propre anxiété"). Herman Feifel regrette, tout en accompagnant son argumentation de pas mal de données, qu'on ne donne pas suffisamment de place à la mort (ironiquement, la dernière édition du livre aura lieu la même année que la sortie de celui d'Elisabeth Kubler-Ross, qui va faire beaucoup pour combler cette lacune).

 Intégrer l'existentialisme à la psychothérapie, heureusement, ne se limite pas à clamer la main sur le cœur des mots très élégants comme "anxiété" ou "liberté radicale" tout en se rappelant de temps en temps que personne n'échappe à son destin final. Rollo May donne le ton dès le début en rappelant à quel point, lorsqu'il a souffert d'une tuberculose, les écrits de Freud, si importants soient-ils (ils sont tellement importants qu'il prend la peine de traduire, par exemple, le concept psychanalytique de transfert en langage existentialiste), l'ont beaucoup moins aidé, ont beaucoup moins aidé ses patient.e.s en souffrance, que les écrits de Kierkegaard. Des exemples plus concrets sont donnés, comme celui, accompagné d'une vignette clinique, qui distingue la névrose selon la psychanalyse (une adaptation pathologique au réel) à la névrose d'un point de vue existentiel, soit une façon fonctionnelle de se préserver ("et c'est bien ce qui pose problème. C'est un ajustement nécessaire qui permet de préserver son centre, une façon d'accepter le non-être, si on me permet d'utiliser ce terme, pour qu'une petite part d'être puisse se préserver"). Et trop d'adaptation peut déboucher sur la peur d'être vraiment soi quand le travail thérapeutique l'a finalement rendu possible (la cliente dont il est question a peur de sombrer dans la psychose au moment de s'accomplir, May ajoute que, selon son expérience de thérapeute, ce n'est pas la seule). Rogers donne un autre exemple concret, s'opposant cette fois-ci au comportementalisme : il a observé, et propose des axes pour le confirmer expérimentalement, que c'est lorsqu'il laisse de l'espace à l'autre, qu'il est lui-même le plus authentique possible, que la personne concernée s'accomplit, que ce soit dans le cadre de la thérapie ou de la pédagogie, et non lorsqu'il propose un programme ultra sophistiqué ne laissant rien au hasard (et comme c'est Carl Rogers, il ne peut s'empêcher de se demander au passage comment se sont eux-mêmes émancipés les créateurs de ces programmes prometteurs d'émancipation étroitement guidée).

 Le livre se lit rapidement et, c'est même une de ses caractéristiques centrales, ne s'adresse pas à une école de psychothérapie en particulier. Tout.e thérapeute qui veut enrichir sa pratique pourra trouver des éléments, à intégrer ou à rejeter, pour dépasser la surenchère théorique ou la simple proposition de solutions. Ça permet aussi une première approche de l'existentialisme sans passer par les écrits européens qu'Allport présente comme si obscurs et redoutables, ou encore de retrouver quelques fondamentaux de la psychothérapie humaniste.

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