mardi 7 juin 2022

Découvrir un sens à sa vie grâce à la logothérapie, de Victor Frankl

 


 Si le titre du livre (et sa couverture, du moins celle de l'édition que j'ai eue entre les mains) peuvent donner l'impression qu'il s'agit du dernier livre de développement personnel qui vous livrera la clef très simple du bonheur et du succès à laquelle personne n'avait pensé avant, inutile d'aller loin dans la lecture, entre Gordon Allport qui dans la première phrase de la préface rappelle que l'auteur avait tendance à demander à ses patient·e·s "pourquoi ne vous suicidez-vous pas?" (ce n'était pas une question rhétorique!!!), ou la première des deux parties, autobiographique, où Victor Frankl fait le récit de son expérience de détenu en camp de concentration, pour voir que la légèreté ne sera pas spécialement de mise.

 L'articulation entre cette première partie, illustrant l'adaptation, prenant parfois des formes inattendues, du psychisme à des conditions si extrêmes que même les qualifier d'extrêmes semble dérisoire (l'auteur rappelle qu'il y a eu 3% de survivant·e·s), et la seconde où il expose les principes de la logothérapie, qui repose sur la recherche intérieure de sens, paraît à la lecture aller de soi, et pourtant la première a été écrite de façon indépendante (et les deux peuvent être lues indépendamment l'une de l'autre), Frankl voulait d'ailleurs dans un premier temps la publier de façon anonyme. Ce n'est que dans un second temps, suite à des demandes de lecteur·ice·s, qu'il a relevé le défi d'accompagner ce texte d'une tentative de saisir l'essence de la logothérapie sur quelques dizaines de pages (une brève postface va suivre vingt-cinq ans plus tard).

Psychanalyste de formation (on peut assez prudemment suspecter que c'était le cas de pas mal de psychiatres autrichiens du début du XXème siècle), l'auteur commence sa définition de la logothérapie en la distinguant de la psychanalyse : selon lui, non seulement l'humain ne recherche pas l'homéostasie mais a au contraire un besoin vital de tension ("la santé mentale est fondée sur un certain degré de tensions entre ce que nous avons déjà réalisé et ce qui nous reste à réaliser, ou sur la différence entre ce qu'on est et ce qu'on devrait être"), mais il n'attache en plus pas tant d'importance que ça à l'augmentation du plaisir et la diminution des souffrances ("je ne pourrais pas vivre pour mes mécanismes de "défense", pas plus que pour mes "formations réactionnelles". Mais l'humain peut néanmoins vivre pour préserver ses idéaux et ses valeurs"). Il propose le concept de névroses noogènes pour désigner la souffrance liée à la crise de sens à laquelle la logothérapie propose de remédier ("les névroses noogènes proviennent de l'absence de raison de vivre"). Dans la mesure où ce sens ne peut être qu'intimement saisi (sinon il s'agit d'imitation -"conformisme"- ou d'obéissance -"totalitarisme"-), la logothérapie ne peut être que fondamentalement non-directive ("le rôle du logothérapeute s'apparente davantage à celui de l'ophtalmologiste qu'à celui du peintre"), et la liberté en est une composante essentielle ("chaque être humain propose la liberté de changer à chaque instant"), propos renforcé par l'expérience de l'auteur en camps de concentration où il a pu observer que, même dans cette situation où la menace de mort était constante et la souffrance physique intenable, les détenus, au quotidien, faisaient des choix ("dans les camps de concentration, les "différences individuelles" ne s'aplanissaient pas du tout ; au contraire elles s'accentuaient").

 L'une des clefs de la logothérapie est le rapport au temps. Cela peut constituer dans un regard vers l'avenir dans l'idée, peut-être évidente dans le cadre d'une recherche de sens, d'avoir un projet, mais aussi pour se demander comment seront perçus, dans quelques dizaines d'années, les choix faits aujourd'hui. Le regard peut aussi se tourner vers le passé, pour une relecture des actes déjà accomplis ou encore des vécus difficiles : le rapport à la souffrance est en effet une part importante du travail. Contrairement à ce que peuvent laisser entendre une lecture (très!) rapide, ou l'occurrence à plusieurs reprises de la formule de Nietzsche "ce qui ne tue pas rend plus fort", il ne s'agit certainement pas de complaisance envers les vécus les plus durs mais de "savoir comment souffrir, si on ne peut pas faire autrement" ("l'homme est prêt à souffrir s'il le faut, mais à la condition, bien sûr, que la souffrance ait un sens"). La souffrance a-t-elle été au service d'une cause? D'une personne chère? Une source d'apprentissage? Un changement de perspective intérieur peut apporter de la clarté dans les moments les plus sombres.

 Le livre est synthétique et propose plusieurs clefs pour appliquer une perspective originale, ne se centrant ni sur les symptômes ni sur le fonctionnement psychique mais sur des préoccupations existentielles.

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