Ce livre est la retranscription d'une intervention orale de Perls,
qui présente au public la Gestalt thérapie. Quatre courtes
conférences permettent une présentation unilatérale de la théorie,
et une seconde partie, bien plus conséquente, consiste en de brèves séances avec le public, pour une pédagogie plus axée sur la
pratique. S'il est capable d'expliquer et de justifier solidement sa
théorie au besoin, Perls donne en effet une plus grande importance à
la pratique, au ressenti, à l'expérience, qu'à
l'intellectualisation (ce qu'il appelle la partie "ordinateur"
du psychisme) : il met par exemple sur le compte de l'immaturité
("je l'ai écrit en 1951") le fait que son livre Gestalt
Therapy soit trop technique et difficile à comprendre, ou
encore, à un moment où il demande au public si quelqu'un connaît
un concept en particulier, il refuse que la réponse lui soit donnée
avec les mots qu'il a lui-même utilisés, considérant que celui qui
le fait recrache le concept, qu'il ne l'a pas digéré ("tant que
vous ne comprenez pas le sens de ce qu'on fait vous le verrez comme
une sorte de technique. Et une technique qui n'est pas comprise
devient un truc"). Le livre s'achève sur des extraits d'un stage
intensif, où les échanges sont plus complexes, et qui a l'avantage
de montrer une même personne dans plusieurs séances consécutives.
L'objectif de la Gestalt thérapie est assez similaire à celui de la
thérapie centrée sur le client de Rogers : l'accomplissement
de la personnalité, en dépassant des blocages. Rogers constate
que la demande évolue au fil de la thérapie, Perls va dans ce sens
en faisant remarquer que l'objectif initial réel des client·e·s est
parfois, plutôt que de se débarrasser d'une pathologie, de mieux
cohabiter avec cette pathologie. C'est peut-être sur ce point là
qu'il est le plus critique de la psychanalyse qui peut consister en
des cures extrêmement longues ("la psychanalyse est une maladie qui
se fait passer pour un remède"). L'objet de la Gestalt thérapie
est résumé dans la prière de la Gestalt thérapie, présentée en
intro et qui, vous en conviendrez, n'est pas nécessairement limpide
au premier abord (du moins pour en extraire une méthodologie
thérapeutique) :
"I
do my thing and you do your thing.
I am
not in this world to live up to your expectations
And
you are not in this world to live up to mine.
You
are you and I am I,
And
if by chance we find each other, it's beautiful.
If
not, it can't be helped."
(traduction
en essayant d'être le moins maladroit et approximatif possible : "Je
fais ce que j'ai à faire et tu fais ce que tu as à faire. / Je ne
suis pas présent au monde pour répondre à tes attentes / Et tu
n'es pas présent au monde pour répondre aux miennes. / Tu es toi et
je suis moi, / Et si par hasard on se rencontre, c'est magnifique. /
Sinon, on n'y peut rien.")
Les
échanges avec le public consistent officiellement en un travail sur
les rêves ("la fragmentation de la personnalité humaine ne
transparaît nulle part aussi bien que dans le rêve"), mais des
souffrances, des impasses, sont parfois identifiées et travaillées
avant que le·a patient·e ne raconte son rêve (certains travaillent aussi
sur l'oubli du rêve). Si le dispositif évoque un peu la
démonstration, le spectacle, le cirque, Perls prévient d'office
qu'il ne souhaite échanger qu'avec ceux ou celles qui veulent vraiment
avancer... et invite plusieurs personnes à laisser leur place aux
suivant·e·s car il identifie une volonté, consciente ou non ("le
névrotique, plutôt que de mobiliser ses propres ressources, utilise
toute son énergie pour chercher de l'aide en manipulant son
environnement"), de le mettre en échec. Le·a volontaire s'assoit
donc sur l'une des deux chaises disposées face à Perls, et commence
à raconter son rêve. La consigne est de parler au présent (car
seul existe réellement l'ici et maintenant, passé et avenir ne
peuvent qu'être imaginés), à la première personne, en utilisant
des affirmations (plutôt que des questions par exemple), des termes
évoquant l'action ("il y a deux grands mensonges : "je
veux" et "j'essaye" ") pour éviter de prendre trop de
distance avec le contenu. La deuxième chaise n'est pas un élément
de décoration : une grande partie du travail consiste en des
dialogues, dans lesquels le·a client·e incarnera les deux parties,
indiquées au fur et à mesure de la session par le thérapeute,
changeant éventuellement de chaise. Il peut s'agir d'un dialogue
avec des éléments du rêve (quelqu'un qui rêve qu'il est dans un
train avançant en ligne droite et sans fin pourra ainsi
successivement incarner les rails, le train, l'horizon, s'adressant
soit au ou à la client·e soit à d'autres éléments du rêve -les rails
expliquant au train qu'heureusement qu'ils sont là pour l'empêcher
d'aller n'importe où, le train répondant avec colère que ce carcan
est insupportable, ...-), avec des proches des client·e·s (parents,
conjoint·e, …), avec le thérapeute, ce qui est une approche intéressante du transfert ("vous pouvez prendre votre
Fritz personnalisé à vous et emmener tout ça avec vous. En plus il
en sait beaucoup plus que moi parce que c'est votre
création"), … L'extrait de My Mad Fat Diary qui a été pas mal diffusé sur les réseaux sociaux est assez proche de la
Gestalt thérapie (on pourrait même dire que le personnage principal
de Psychose fait de la Gestalt thérapie sans le savoir, mais
pour lui ça ne se passe quand même pas super bien). Perls, comme un
metteur en scène (il s'inspire explicitement du psychodrame de
Moreno, mais estime que sa méthode est supérieure car le·a client·e,
quand iel joue un dialogue, incarne lui ou elle-même différentes dimensions
de son propre psychisme plutôt que d'échanger avec des inconnu·e·s)
interrompt régulièrement le·a client·e pour lui donner des consignes.
Si on peut lever un sourcil sceptique quand il dit qu'il n'interprète
pas (pour prendre des distances avec les aspects de la thérapie
analytique qui le rebutent) dans la mesure où, quand il demande à
son interlocuteur·ice de jouer successivement tel ou tel rôle il a
forcément une idée derrière la tête, il est en revanche très
clair qu'il est guidé par les émotions et non par le symbolique.
Ainsi, à un certain niveau d'avancement, il demande souvent aux
client·e·s de répéter plusieurs fois une phrase importante ("Encore.
Encore!", "je n'y crois pas") jusqu'à ce qu'elle soit crédible,
voire cathartique. Il invite aussi généralement à un certain stade
à s'adresser au public, par exemple pour exprimer la colère ou la
dévalorisation ("C'est la règle d'or de la Gestalt thérapie :
"Fais aux autres ce que tu te fais à toi-même" "), pratique
qui a l'inconvénient d'être difficile à mettre en place en
thérapie individuelle. Les échanges aboutissent souvent à
l'identification des tenants et aboutissants d'une impasse ("c'est typique de
l'impasse. On essaye absolument tout pour conserver le status quo,
plutôt que de traverser l'impasse") ou d'un conflit, ou encore
l'estime de soi. L'estime de soi est un enjeu important de la Gestalt
thérapie, à travers les concepts importants de "topdog"
(littéralement "le chien du dessus" donc je laisse topdog sinon
vous conviendrez que c'est très moche), instance du psychisme
perfectionniste qui ne supporte pas la faiblesse, et l'"underdog"
(le chien du dessous, donc, mais "underdog" c'est aussi le
contraire de "favori") qui cherche (et trouve) des excuses ("Une
grande partie de notre lutte est purement imaginaire. On ne veut pas
devenir ce que l'on est. On veut devenir un concept, un être
imaginaire, ce qu'on devrait être. Des fois on a ce que les
gens appellent toujours un idéal, ce que j'appelle une malédiction,
de perfection, et alors rien de ce qu'on fait ne nous donnera
satisfaction").
Là
comme ça on ne dirait pas, surtout que l'approche est originale donc
pas forcément évidente à saisir (j'ai été perplexe à plusieurs
reprises en lisant les quatre premiers chapitres, purement
théoriques), mais la démarche est très claire quand on lit les
applications concrètes, d'où l'intérêt d'y consacrer l'essentiel
du livre. Reste un point d'interrogation sur la solidité des
avancées faite par les client·e·s, l'intérêt sur le long terme,
que ne permettent pas d'estimer une succession de vignettes
cliniques/pédagogiques.
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