samedi 7 janvier 2023

Classic Writings in the Person-Centered Approach, dirigé par David Cain


 Le terme de "classiques" est peut-être un peu fort puisque le livre est une compilation d'articles de la revue Person-Centered Review (deuxième moitié des années 80, soit sur la fin de la vie de Rogers, sachant qu'il a été actif à peu près jusqu'au bout) et non un recensement de textes fondateurs venant de différents supports, mais vu que le livre regroupe 58 articles (dont plusieurs de Rogers himself!), il y a de quoi s'occuper, au niveau de la quantité mais aussi au niveau de la qualité.

 Les sujets, les approches (du très concret au très philosophique), sont très divers, concernant des thèmes aussi variés que les rapports de Rogers avec l'ACP (9 articles quand même, dont deux de Rogers, l'un particulièrement intéressant où il explique que le reflet des sentiments n'est pour lui pas une tentative de "faire un reflet des sentiments" mais de s'assurer qu'il a bien compris la personne, ce qui de fait aboutit à un reflet des sentiments, avec l'effet thérapeutique qui fait l'essence de l'ACP), la psychothérapie (oui, ça peut servir), enfance et famille (thème d'autant plus intéressant qu'il est peu abordé directement par Rogers) avec des comparaisons avec l'approche systémique ou un article de Charles O'Leary, l'éducation (un incontournable!) et la recherche (avec des articles qui auraient probablement gagné à moins se donner l'impératif de diaboliser l'approche positiviste - hypothèse-expérimentation-adapation de l'hypothèse aux résultats-nouvelles hypothèses-etc... -, démarche d'autant plus surprenante que l'ACP s'est construite comme ça du moins dans un premier temps, et de faire l'éloge peu nuancé des approches plus phénoménologiques -le livre de Clark Moustakas, auteur d'un des articles, sur cette méthodologie devrait trouver son chemin sur ce blog, mais je ne sais pas quand-, mais le propos reste riche et documenté dans son ensemble), et s'achève sur une partie consacrée aux débats.

 Un premier débat constitué de trois articles concerne le thème de la non-directivité. L'un, particulièrement intéressant, de Barry Grant, distingue la non-directivité par principe (je suis non-directif·ve parce que ma raison d'être en tant que thérapeute est de redonner le pouvoir aux client·e·s en leur offrant cet espace) et la non-directivité instrumentale (je suis non-directif·ve parce que ça marche), tout en précisant que les textes de Rogers ne permettent pas de trancher, même si les tenant·e·s de l'une ou l'autre approche pourront estimer par leur interprétation qu'il leur donne raison. Le second débat porte sur le diagnostic, ce qui interpelle en soi puisque le diagnostic n'est pas censé concerner l'ACP (un point commun partagé, par exemple, avec le triathlon, et pourtant, alors qu'un article et a fortiori un débat sur le triathlon n'auraient pas particulièrement eu de sens, le débat sur le diagnostic en a assez pour occuper plusieurs auteur·ice·s), et le troisième sur le transfert, constitué d'un article très étayé de John Shlien (qui est plutôt défavorable à son utilisation dans la thérapie) sur la genèse du concept en psychanalyse, de réponses à cet article (dont une de Carl Rogers), et de sa réponse détaillée à l'ensemble des réponses. L'un des aspects qui fait la richesse des deux débats est la difficulté, pour des éléments qui vus de loin semblent aller de soi, d'identifier ce qu'ils constituent vraiment. Critiquer le diagnostic, ça peut être critiquer la difficulté de faire un diagnostic précis (donnant une fausse impression d'objectivité alors que plusieurs psychiatres ne seraient pas nécessairement d'accord pour indiquer que telle personne souffre de telle pathologie) ou critiquer le concept de diagnostic en soi (avec par exemple l'argument, que je n'ai par ailleurs toujours pas compris depuis ma L1, que faire un diagnostic reviendrait à réduire la personne à sa pathologie). Critiquer le transfert, ça peut être comme Rogers estimer que le transfert est un mouvement émotionnel à prendre en considération au même titre que les autres, être réticent·e à estimer que quelque chose qui se manifeste dans l'ici et maintenant est un copié-collé plus ou moins nuancé du passé, se demander si ce concept n'est pas un transfert de responsabilité un peu facile qui éloigne de la relation réelle entre client·e et thérapeute, ou encore, plus concrètement, comment répondre à un·e client·e amoureux·se ou attiré·e physiquement par le·a thérapeute qui exprime une envie de passer à l'acte (ce qui revient à faire l'exercice d'équilibriste de rester dans l'écoute empathique, et de donner une réponse négative ferme tout en restant attentif·ve à l'impact sur la relation thérapeutique).

 Le livre dans son ensemble constitue donc un outil imposant mais riche, malheureusement pas traduit en français, qui révèle et renforce la richesse et la vitalité de l'ACP.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire