jeudi 8 juin 2023

Sortir du deuil, d'Anne Ancelin Schutzenberger et Evelyne Bissone Jeuffroy

 


 Les autrices, ayant perdu pour l'une son bébé de six mois et pour l'autre, à l'âge de 17 ans, sa sœur de 13 ans, donnent des éléments pour traverser la période du deuil et surtout lui donner sa juste place au-delà des injonctions sociales soit à rester digne et passer rapidement à autre chose soit au contraire à ne surtout pas surmonter la douleur par respect pour la personne perdue ("On nous apprend à gagner, mais on ne nous apprend pas à perdre. Or la vie est une succession de changements et de pertes.")

 Comme indiqué dans la citation précédente, le livre invite à prendre au sérieux tous les changements et pertes qui ont un impact. De ce point de vue, il n'y a pas de souffrance illégitime : les autrices donnent l'exemple d'une femme brutalement marquée d'avoir retrouvé, en retour de voyage, sa voiture accidentée devant chez elle. Au bout de trois mois, elle ressentira le besoin d'en parler dans un groupe d'accompagnement et effectuera trois séances. Elle considèrera encore l'évènement comme "une perte difficile" des années plus tard. Et pourtant... elle est infirmière cadre, superviseur en soins palliatifs, donc a une connaissance certaine du sujet de la perte! Le deuil est un processus extrêmement personnel, avec une temporalité propre, et si être accompagné·e aide énormément, cet accompagnement doit impérativement se centrer sur les besoins de la personne en deuil ("évitez les mots de consolation maladroits : ils blessent. D'abord, ils démontrent à quel point vous ne comprenez pas ce que l'autre ressent", "si l'on ne sait pas quoi dire, il faut savoir qu'une présence, même silencieuse, produit un effet bénéfique"). Cet élément rend infiniment plus difficiles les deuils incompris, tabous ou honteux.

 L'épreuve du deuil est un moment qui impose de prendre soin de soi, et les autrices rappellent à quel point c'est une démarche qui n'a rien d'évident : "nous avons été "dressés" depuis notre enfance à lutter contre l'égoïsme, à nous méfier des "plaisirs", à rendre service". C'est pourtant aussi un pas vers l'altruisme : comment contribuer vraiment au bonheur des autres si se préoccuper de notre propre bien-être est un tabou moral? "Prendre soin de soi, se ressourcer, cela permet de pouvoir ensuite donner aux autres de façon positive, souriante et légère". Et, que ce soit dans le travail du deuil ou dans un autre contexte, les autrices rappellent que trop d'abnégation est une pente glissante vers le triangle de Karpman : une fois nos réserves épuisées, à trop vouloir être sauveur·se, on risque fort de basculer en persécuteur·ice ou victime. Les autrices recommandent l'attitude du Bon Samaritain : il fait le nécessaire mais pas plus, puis s'en va, sans attendre d'être détenteur d'une dette ou au contraire de s'exposer à l'ingratitude. Le thème du pardon est aussi largement évoqué, s'appuyant sur la justice réparatrice et le travail de Lytta Basset. Comme le deuil, le pardon est un processus interne ("un pardon facile a toutes les chances de ne pas être authentique", rappelle la citation de Lytta Basset qui ouvre le chapitre), mais quand il a vraiment lieu est un cadeau à la personne qui pardonne plutôt qu'à la personne pardonnée ("pardonner, c'est arrêter de souffrir de la rancœur, lâcher prise de cette énergie négative que comportent le désir de revanche, l'animosité, le ressentiment ou la haine" et même, libération supplémentaire, "renoncer à toute exigence de demande de pardon"). Ce n'est pour autant ni oublier, ni se réconcilier. Les autrice évoquent le "protocole de pardon" en PNL, où l'on restitue en imagination à l'autre, avec respect, un hameçon qu'on portait dans son cœur.

 Toutefois, si le deuil est une épreuve, voire un traumatisme, c'est aussi à long terme une opportunité : la perte de ce qui constitue dans une certaine mesure une partie de soi impose de se redéfinir, donc de changer ("les souffrances et les deuils sont souvent des épreuves initiatiques qui, comme toute épreuve, nous amènent à évoluer"). Le livre permet, autant que possible dans ce moment qui impose une part de lâcher prise et de respect d'une temporalité nécessaire mais pas seulement ("le travail de deuil est inconscient, donc non volontaire. Cependant, un travail conscient est possible"), de constituer des repères pour mettre le plus de chances possibles de son côté.

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