mardi 26 décembre 2023

Mal de mère, de Rodéric Valambois

 

  Dans ce récit autobiographique, l'auteur parle de l'alcoolisme de sa mère, de la prise de conscience ("la révélation"), quand il minimise ce que lui dit sa (petite!) sœur ("alcoolique, c'est quand t'es bourré! Enfin, je sais même pas si tu sais ce que ça veut dire, être bourré. Je t'expliquerai quand tu seras plus grande") avant de se sentir bête quand elle brandit, comme preuve, une bouteille cachée sous le matelas du lit parental, à sa mort, "à l'hôpital, dans son sommeil. Elle n'a pas du souffrir", apprise par téléphone, et à l'ambiance étrange du jour de l'enterrement ("Tu n'y es pour rien mais ça ressemble tellement à ta vie. C'est moche, nul, pathétique, sans dignité").

 Le parti pris est extrêmement clair : il s'agit de parler de la vie d'une personne alcoolique, et non de tenir un propos sur l'alcoolisme en général. Cette distance est renforcée par le fait que le récit n'est pas fait par la personne alcoolique elle-même. C'est précisément un objet de frustration intense pour l'auteur : les tentatives de comprendre, de dialoguer, sont réduites à néant (même si la piste d'une sensation d'enfermement dans la vie de famille, de frustration, se détache régulièrement). Le père qui sort au milieu d'un entretien avec un psychiatre qui plutôt qu'apporter le regard extérieur professionnel qu'il attendait répète les propos de la mère, bien trop familiers, y compris des détails intimes, devant les enfants, la tentative d'échanger vraiment ("Dis. On est là pour ça. On peut comprendre. On peut t'aider") lors d'une soirée qui avait particulièrement mal commencé ("Tu ne nous a pas parlé de la semaine! Tu viens nous voir uniquement pour nous faire chier!"), utilisée pour tenir des propos plus blessants et choquants que constructifs (insatisfaction sexuelle, tentative d'avortement pour la plus jeune des enfants qui est là au moment de la conversation, ...) ou encore la fois où, alors que l'espoir revient quand elle revient d'une cure de désintoxication ("c'était sûr, ma mère avait changé. Elle était plus belle et plus gentille"), elle descend continuellement du linge à la cave alors même que l'auteur l'encourage à ne plus rechuter ("on va faire des efforts. On va tous faire des efforts"), attitude qui s'éclaire bien trop rapidement quand il s'avère qu'elle y a caché une bouteille ("On a rempli trois coffres de voiture de bouteilles vide. Celle-là, tu l'as achetée cet après-midi"). 

 Cette situation s'inscrit bien entendu dans un environnement. Le conflit entre les parents est très explicitement instrumentalisé (la mère accuse régulièrement les enfants d'être contre elle à cause d'une alliance montée par le père), mais les interactions peuvent être plus complexes, comme avec les grands-parents. Ceux-ci vont d'abord, à l'occasion d'une annonce faite par surprise dans une ambiance plutôt orageuse, héberger la mère en estimant que la libérer de la mauvaise influence de son mari réglera le problème ("Si ma fille boit, c'est que vous la rendez malheureuse! Ici, elle ne boit pas!"). Ils vont renoncer en l'espace de deux jours en trouvant une bouteille cachée dans le garage, mais resteront dans une alliance avec leur fille, y compris contre leurs petits-enfants ("-Ça fait plusieurs mois qu'on a de nouvelles de personne et pendant ce temps-là, ils passent te voir en cachette! -J'ai tout de même le droit de voir ma mère"). A ces jeux d'union et de désunion s'ajoutent les colères non-dites : pourquoi le père n'est pas plus ferme en arrêtant de lui donner de l'argent? pourquoi le boucher continue d'accepter de lui vendre de l'alcool alors qu'il est nécessairement au courant de la situation? pourquoi l'auteur lui-même n'a pas toujours le courage de vider les bouteilles qu'il trouve?

Un texte de présentation de la BD montre une prise de distance avec la colère du passé ("Elle n'était pas seulement ma mère, elle était aussi une femme, une épouse, une institutrice. Je ne l'avais d'abord jugée que comme mère, alors que c'est d'abord à elle-même qu'elle avait infligé tout cela", "certains événements me sont apparus sous un autre angle") et en effet, même dans les passages qui pourraient sembler les plus cyniques, le regret, l'amertume, semblent dominer.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire