mardi 30 décembre 2025

Comment ne plus subir, de Stéphanie Hahusseau

 

 

 Si le livre a une dimension sociale explicite, en dénonçant une société qui produit de la violence et invisibilise ses conséquences sur les victimes, en particulier les femmes ou les enfants, ou encore en faisant le choix d'une rédaction au féminin par défaut, réponse particulièrement cohérente avec l'invisibilisation dénoncée, c'est d'abord une proposition thérapeutique forte.

 En effet, les maltraitances, les violences, sont trop rarement nommées voire perçues comme telles, ce qui conduit entre autres à sous-estimer l'impact de leurs conséquences au quotidien. Pour l'autrice, de nombreuses difficultés de vie (dans la sphère amoureuse ou professionnelle, dans la possibilité d'avoir une hygiène de vie qui préserve la santé, ...) sont en fait des symptômes traumatiques qui ne sont pas identifiés voire pas légitimés à cause de l'infinité d'injonctions sociales à minimiser son vécu (d'autant que leur négation, leur justification ou la négation de leur ampleur font le plus souvent partie intégrante des violences!), ce qui fait que de nombreuses personnes n'avancent pas bien qu'elles aient "tout essayé" dans le domaine de la psychothérapie. 

 L'autrice propose donc un programme plutôt complet, avec une temporalité spécifique, et avec la consigne de garder de la bienveillance envers soi tout le long du processus. Le cheminement commencera par identifier les moments qui pourraient peser aujourd'hui à travers une écoute émotionnelle et un passage par l'écrit, à se connecter aussi au positif, à faire un travail de régulation émotionnelle, ... De la vulgarisation sur différents aspects, dont l'attachement, est aussi proposé.

 La démarche, la sensibilisation à l'impact des traumatismes (donc au fait que ce ne sont pas des évènements de vie normaux, que c'est légitime d'en souffrir et de prendre soin de soi pour réparer ces blessures... ce qui permet aussi de se déculpabiliser à la fois de son passé -car oui, aussi injuste que ce soit, vivre des violences génère souvent de la culpabilité- et des difficultés qu'on ne parvient pas à surmonter dans le présent à la suite des symptômes), est à mon sens extrêmement pertinente, sauf que... pour moi la vulgarisation va extrêmement vite, et les risques sont beaucoup, beaucoup trop minimisés. J'ai un peu tiqué, par exemple, quand les quatre types d'attachement étaient décrits à travers un tableau ce qui donnait l'impression que chaque caractéristique était figée selon le type d'attachement de chaque personne (en plus d'avoir parfois un certain scepticisme sur le fond... une personne qui a un attachement évitant a une estime d'elle-même "idéalisée"? vraiment?), et j'ai énormément tiqué quand la Personnalité Apparemment Normale (un concept qui concerne le diagnostic très spécifique de Trouble Dissociatif de l'Identité) était décrite comme "le "soi central", le "self" ", ou même pourquoi pas "tout simplement le souffle". Oui, vulgariser c'est synthétiser, parler de parties de soi a du sens même quand on ne parle pas de TDI, mais là on parle d'un concept très spécifique, et de mon point de vue on est bien plus dans la génération de confusion que dans la vulgarisation, et l'usage aussi inapproprié d'un terme spécialisé m'interpelle beaucoup de la part d'une psychiatre. 

 De même, l'autrice recommande d'accueillir les émotions qui vont émerger dans le contact avec les souvenirs traumatiques, prévient que ça va être difficile mais argumente que ça le sera moins que de vivre au quotidien avec le poids de ces blessures non cicatrisées. Elle indique ensuite que l'intensité des émotions va monter, puis s'apaiser, le tout généralement sur une durée d'une heure. C'est en effet un protocole utilisé en TCC, mais est-ce que ce n'est pas très imprudent de le faire utiliser à une personne seule, non pas pour la régulation émotionnelle de l'anxiété ou de la colère mais pour des souvenirs traumatiques, donc littéralement insupportables? Parfois même insupportables au point d'amener à se scinder en différentes personnalités, comme dans le TDI qui, comme je le disais plus haut, est évoqué sans être évoqué, et qui apparemment est un trouble qui selon l'autrice peut être traité avec son livre! Par ailleurs, dans le cas par exemple des phobies, ce protocole de désensibilisation peut aggraver le problème si l'exposition n'est pas suffisamment progressive. Comment s'assurer de cette progressivité lorsqu'on se confronte à des souvenirs traumatiques tout·e seule avec un livre, surtout quand l'autrice du livre écrit noir sur blanc que "non mais ne t'inquiète pas le niveau d'anxiété va baisser tout seul et en plus si tu ne fais pas ce que je te dis ça va être encore pire".

 Je ne m'explique pas vraiment cette légèreté que je déplore fortement, dans un livre par ailleurs très documenté (même si cet aspect peut déstabiliser aussi : les références bibliographiques vont de l'article scientifique aux livres de l'autrice) et explicitement militant. Je ne peux qu'espérer très fort une deuxième édition qui mettrait bien plus l'accent sur les symptômes à surveiller pour éviter que le protocole n'aggrave les symptômes au lieu de les soigner, et quel·le·s professionnel·le·s contacter si ça arrive.

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