mardi 10 janvier 2012

A Dangerous Method


Finis les mafieux qui s'entretuent pour David Cronenberg et l'acteur Viggo Mortensen, il va cette fois être question d'un drôle de triangle (formé par Sabina Spielrein, Carl Jung et Sigmund Freud) et des débuts de la psychanalyse.

Passé l'agacement qu'on peut ressentir en entendant ces trois protagonistes parler anglais (en mettant de temps en temps une pointe d'accent germanique sur certaines répliques pour rappeler qu'ils sont supposés communiquer en allemand, le ridicule ne tue pas et il a même valu un Oscar à Kate Winslet), ou devant certaines erreurs factuelles (Freud n'a pas été chassé de Vienne par les Nazis mais a au contraire pu s'enfuir de justesse -en devant signer un papier certifiant qu'il n'avait pas été maltraité par la Gestapo- grâce à son prestige et à des appuis influents à l'étranger, laissant derrière lui l'essentiel de sa famille qui a subi le sort tragique des Juifs sous le joug nazi... de même, on peut douter que Freud, qui justement 20 ans plus tard n'a pas du tout vu venir le danger de la montée du nazisme, ait reproché à Sabina Spielrein sa liaison avec Jung parce qu'elle était Juive et lui Aryen), le film est, sans surprises, excellent.

Il commence sous un magnifique soleil suisse, alors que Jung reçoit l'hystérique Sabina Spielrein qui sert de cobaye pour sa nouveauté, la thérapie par la parole. Emerveillé, le jeune médecin assiste aux progrès spectaculaires de sa patiente à la fois dans sa thérapie et dans sa compréhension des principes de la psychanalyse. La non-violence de ce traitement de la folie est subtilement rappelé en jouant sur les clichés cinématographiques des vieux asiles : plusieurs fois on s'attend à assister à des horreurs (quand Sabina Spielrein est amenée à l'asile maintenue par deux hommes, hurlante et gesticulante, quand elle multiplie les provocations au personnel de l'hôpital en l'absence de Jung, quand on la traine de force jusqu'à une baignoire équipée de sangles, dans une grande salle glauque, pour ce qui s'avèrera être un bain normal, ...), mais en fait non. La première rencontre entre Jung et Freud comblera encore les attentes les plus optimistes du disciple ambitieux du Professeur : les échanges théoriques sont passionnés, Jung est explicitement adoubé.

C'est quand le diabolique (en plus de sa barbe de satyre, c'est vêtu de noir qu'il assènera comme des évidences ses arguments à un Jung vêtu de blanc qui réplique sans conviction) Otto Gross, patient insolent et amoral, envoyé par Freud, fera vaciller la résistance laborieuse de l'analyste à son contre-transfert sur Spielrein (l'épouse de Jung, pas très acharnée non plus, ne se préoccupera de la liaison que quand elle sera devenue publique et très sérieuse), que les choses se compliquent en provoquant la désapprobation de Freud (par ailleurs modèle trop parfait de chasteté), attisant les tensions jusqu'ici contenues entre deux hommes ambitieux. Jung veut dépasser le maître, Freud refuse toute remise en question de sa suprématie théorique ou hiérarchique.

On assistera à plusieurs de leurs passes d'armes (l'une en particulier sur le surnaturel, où pendant que la discussion s'anime un bruit de craquement retentit, que Jung dit avoir vu venir avant d'en prévoir un second, qui se produit effectivement). Toutefois, le transfert de Jung semble insurmontable. En effet, il accuse constamment Freud de se prendre pour un père, mais n'est-ce pas surtout Jung qui lui a donné cette place? De plus, toute faille perçue, alors qu'elle devrait arranger celui qui veut surpasser son modèle, semble lui être insupportable... parce qu'il s'agit d'une fissure dans sa représentation d'un Freud parfait? En fait, on peut presque dire que Jung s'est enfermé dans ce jeu du complexe d'Oedipe dès la première réplique où il parle du Professeur, quand il se demande s'il ne va pas être le pionnier de la thérapie par la parole grâce à Sabina Spielrein car Freud n'a pas encore publié d'étude de cas, tout en refusant d'y croire ("on se demande ce qu'il fait").

Il passera en effet l'essentiel du film à chercher, objectif inaccessible, à tuer ce "père" tout en l'adorant. Spielrein, qui n'a rien demandé, sera accusée par chacun de faire le jeu de l'autre, ce qui ne l'empêchera pas de finir ses études de médecine puis de psychiatrie et de devenir analyste. Ironiquement, alors que le jeu de transfert entre lui et Sabina Spielrein qui faisait tant paniquer Jung (terrifié à l'idée de continuer la liaison, terrifié à l'idée d'y mettre un terme) finit en histoire d'amour somme toute banale (liaison érotique avec des pauses et des reprises, jusqu'à ce que Sabina Spielrein se marie et que Jung ait une autre maîtresse, sans drame d'un côté ni de l'autre), c'est le jeu de transfert entre lui et Freud qui provoque un conflit sans solution ni échappatoire.

Bien documenté, avec de nombreux dialogues qui ne peuvent qu'intéresser l'apprenti analyste, cet épisode de la naissance de la psychanalyse du point de vue de Jung est à recommander (forcément, puisque c'est un film de Cronenberg^^).

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