Le livre ayant été édité une première fois en 2002, puis une
seconde fois en 2009, vous n'entendrez pas cette fois-ci ma
complainte coutumière sur le fait que certains points, dans les théories
avancées comme dans les lacunes reconnues, sont peut-être
maintenant obsolètes. Que ceux·elles qui sont rebuté·e·s par la psychanalyse
ou n'ont que des connaissances superficielles dans cette discipline
ne soient pas inquiétés par les premières pages : si l'autrice
passe du temps sur des rêves de patientes ou sur l'étymologie de
certains termes, c'est son expérience quotidienne de soignante, ses difficultés et ses réussites, qui
structurent le livre qui est extrêmement clair et concret, et centré
sur les notions de rythme et de lien.
On se rend vite compte de l'importance du fait qu'elle soit
psychiatre plutôt que psychologue, tant il est important d'avoir une
bonne connaissance du corps comme de l'esprit humains pour pouvoir faire face à l'anorexie. A la perte de rythmes
provoquée par l'aspect psychique de cette pathologie (rythme social
des repas) vient d'ailleurs s'ajouter des pertes des rythmes du corps
(aménorrhée, dérèglement du sommeil, …). C'est ce chaos qui
rend indispensable l'hospitalisation, afin de changer de milieu de
vie, d'avoir du temps, de pouvoir retrouver progressivement les
rythmes déréglés. Il importe toutefois que l'hospitalisation ait
lieu au bon moment, quand le·a patient·e est prêt·e à accepter ce
changement radical, mais surtout quand il·elle est prêt·e à accepter de
l'aide, à reconnaître qu'il·elle a besoin d'une thérapie, qu'il·elle
souhaite changer. S'il est bien entendu absurde de démarrer la
prise en charge trop tard ("combien de fois avons-nous reçu
des jeunes adolescentes auxquelles on avait répondu qu'elles
n'étaient pas assez maigres encore pour pouvoir être
hospitalisées"), et ce d'autant que si la thérapie commence
dès les premiers symptômes d'aménorrhée quelques entretiens sans
hospitalisation peuvent suffire, il faut également éviter de la
démarrer trop tôt, les connaissances médicales avancées se
révélant nécessaires pour estimer s'il est encore possible de
repousser l'hospitalisation sans risque vital.
L'autrice parle de la pathologie anorexique comme d'une cordée
réversible. Si le·a patient·e descend toujours plus profondément dans
les crevasses de l'auto-destruction, il est possible de l'en faire
sortir progressivement. Ce qui implique, cela va sans dire (mais je
le dis quand même), un lien solide. Pour consolider ce lien, le·a
thérapeute devra être patient·e, accepter le rythme du·de la patient·e,
attendre qu'il·elle soit prêt·e à accorder sa confiance (et dans le
même temps démontrer que cette confiance est justifiée!) et
qu'il·elle soit prête à entamer cette ascension vers la guérison. La
difficulté principale pour établir ce lien est que l'anorexie est
une façon de s'affirmer, de se différencier, de se réapproprier
son propre corps. C'est donc seulement quand le·a patient·e aura accepté
à un certain niveau la prise en charge que le·a thérapeute pourra
intervenir efficacement, sans être perçu·e comme invasif·ve, sans
renvoyer au·à la patient·e l'impression d'être un·e patient·e de plus,
sans que la sensation d'obéir aux impératifs du système
hospitalier ne surpasse le désir propre de guérir. Il·elle doit
s'adapter au rythme du·de la patient·e. Colette Combe propose par
exemple, pour instaurer progressivement un dialogue, de commencer par
parler du somatique, pour glisser quand la conversation y invite vers
le psychique (elle donne entre autres l'exemple d'une patiente se
plaignant de l'enveloppe trop dure du matelas de son lit d'hôpital...
le signifiant est riche mais ne pourra être investi que quand la
patiente l'aura suggéré, et quand des solutions auront été
proposées au problème pragmatique de literie). Il s'agit là encore
de faire un lien entre l'interface somatique et psychique, ce qui
n'est pas, semble-t-il, une approche systématique ("si nous
posons le problème en terme de kilos à prendre et donc en terme de
nombre de calories à prendre, nous sommes dans une conception de
l'interface comme frontière"). La solidité du lien permettra
également d'être capable de mieux déterminer le moment pertinent
pour la fin de l'hospitalisation, et surtout ce lien devra se
maintenir au delà de la sortie de l'hôpital, qui ne marque en rien
la guérison totale.
Les troubles du comportement alimentaire sont en effet connus pour
leur taux élevé de rechute. L'autrice précise d'ailleurs que la relation
soignant·e/patient·e doit se poursuivre au delà de la fin de la
thérapie, pendant plusieurs années, par exemple par des courriers
("il importe qu'elles puissent elles-même décider quand et
comment elles se séparent, quand et comment elles l'oublieront et
n'en auront plus besoin, de leur thérapeute"). Et, en
détaillant le cas de deux patientes, elle parlera de l'élaboration
de la maternité, qui a nécessité chez ces deux patientes une
reprise de la thérapie. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer
pour de nombreuses raisons (aménorrhée comme symptôme important,
perte de la féminité et non-transition à un corps d'adulte lors de
l'anorexie, prise de poids inhérente et enjeu différent de
l'alimentation -nourrir un corps en croissance à l'intérieur de
soi- lors de la grossesse), la raison principale de la reprise de la
thérapie à ce moment là est dû au fait que la parentalité permet
de mieux élaborer les rapports à ses propres parents, en
particulier à la mère. Insuffisamment armée au moment le plus fort
de l'anorexie pour accepter, comprendre et intégrer les
interprétations analytiques ("rappelons que la possibilité
d'utiliser la situation analytique dépend de la possibilité
d'utiliser les interprétations reçues. Or durant l'anorexie, ce
n'est que rarement possible, et nous pensons comme Freud que
l'interprétation est alors contre-indiquée"), le·a patient·e est maintenant dans une situation plus favorable. Au moment de
la naissance de l'enfant ou du projet de grossesse (le premier ou un
autre), la relation de couple, la représentation de l'enfant à
venir éclairent le vécu de l'enfance, voire de la toute petite enfance (plusieurs références sont faites au travail de Michel Soulé),
et la relation aux parents. La mise au jour de ces éléments sont
autant de pistes de compréhension des souffrances qui ont donné lieu
au symptôme anorexique, permettant une nouvelle élaboration de ces
douleurs passées... non digérées.
Je l'ai déjà dit il y a 3 paragraphes mais c'est important et
c'est vrai, le livre est clair, concret et très enrichissant. Pour
en avoir un meilleur aperçu qu'ici, vous avez la possibilité,
discrètement pendant que le·a libraire regarde ailleurs de lire la
conclusion (20 pages), ce qui revient un peu à lire l'ensemble en
avance rapide et devrait vous convaincre d'acheter le livre quand le·a
libraire en aura fini avec le·a client·e qui l'occupait.
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