La
pionnière française du psychodrame a réédité son Précis de
psychodrame en 2003, puis en 2008 (et, tant qu'à faire, l'a
rebaptisé).
Le
psychodrame, créé par Jacob Levy Moreno, consiste à faire jouer,
sous la direction d'un·e animateur·ice, des scènes qui vont impliquer
émotionnellement les acteur·ice·s ("réalisation totale de la psyché (âme) par l'action (drama)"), en général dans un but thérapeutique
("le théâtre avait pour effet d'être une thérapie pour le
groupe des spectateurs (alors que c'est le but du psychodrame
thérapeutique, et souvent un effet du psychodrame
pédagogique)"). En fait, je ne vais pas rentrer dans les
détails techniques pour l'imparable raison que je n'ai pas tout
compris (euphémisme), mais on distingue plusieurs types de
psychodrame, qui dépendent en particulier de la base théorique de
l'animateur·ice (psychanalyse, psychologie sociale, Gestalt, thérapie
systémique, psychiatrie, …) et bien sûr de sa formation initiale
au psychodrame proprement dit. Le psychodrame peut être utilisé
pour de nombreux publics, des employé·e·s d'une entreprise qui ont du
mal à faire face à une situation professionnelle aux patient·e·s
psychotiques d'un hôpital psychiatrique. On peut même faire jouer
une seule personne, dans le cadre d'une psychanalyse.
Bien qu'on puisse faire des marathons (séances de 24 heures, à
destiner plutôt aux sessions de formation), une séance dure une à
deux heures (les séances plus longues ont en général pour effet de
permettre d'aller chercher des choses plus profondes), pour un nombre
de séances très variable (6 à 60). La séance commence par un
échauffement, pour que chacun se sente à l'aise dans le groupe,
mais aussi pour déterminer quelle scène sera jouée : les
méthodologies sont très variables, de l'interdiction de la parole
qui contraint à communiquer par geste, la prise de parole à tour de
rôle en tenant un sablier virtuel, l'animateur·ice qui dégage un thème
des conversations spontanées ou qui fait décider le groupe selon la
méthode non directive, … La scène est ensuite mise en place, la
personne qui va jouer le rôle principal va être amenée par le·a
psychodramatiste à décrire l'environnement avec le plus de détails
possible (tous les accessoires et éléments de décors seront
virtuels, à charge aux acteur·ice·s de les faire apparaître) et les
rôles seront distribués. Le·a patient·e échangera donc avec d'autres
acteur·ice·s (les ego-auxiliaires), qui pourront aussi jouer le rôle du ou de la
patient·e pendant qu'elle ou lui jouera un autre rôle (un proche, un désir,
une émotion, …), les rôles pouvant parfaitement changer pendant
la scène sur consignes du ou de la psychodramatiste, qui reste très actif·ve
tout le long, au même titre que tou·te·s les participant·e·s ("le
psychodrame est une rencontre privilégiée qui ne peut
comporter que des participants"), qui sont actif·ve·s à la fois par
leur jeu et par leurs émotions ("l'acteur atteint à une émotion
qui se communique au groupe, comme une pierre jetée à l'eau forme
des cercles qui se propagent", "un psychodrame réussit
lorsqu'il fond et unifie un groupe dans une émotion commune").
Après le jeu, il est capital de revenir sur le vécu des
participants, y compris à la séance suivante, ce qui permet par
exemple de revenir sur les rêves, ... S'il s'agit bien de théâtre,
si les accessoires restent imaginaires et que, bien entendu, certains
gestes ne devront pas être réalisés (comme, si incroyable que ça puisse paraître, frapper quelqu'un ou se déshabiller), l'implication devra être
sincère : Schützenberger fait une très nette distinction
entre faire "comme si" et faire semblant -si on fait
semblant, il ne s'agit pas de psychodrame-. Le·a patient·e pourra
élaborer des conflits (le psychodrame peut par exemple consister à
le·a faire dialoguer avec différentes perceptions contradictoires
qu'il a d'un projet, d'une personne, d'un problème, …),
communiquer avec un·e proche (y compris avec un·e proche décédé·e),
exprimer un désir (une technique du psychodrame est celle de la
boutique magique, où iel peut demander ce qu'iel veut -des fins de
mois moins acrobatiques, des années de vies en plus, un voyage,
...-, à charge au ou à la marchand·e d'en déterminer le prix -pas
nécessairement de l'argent- avec pour seule contrainte qu'il soit
abordable) ou encore, c'est peut-être l'objet principal du
psychodrame, passer plus directement par l'émotion à travers une
catharsis ("pour Moreno, une fois la catharsis faite, les choses
sont définitivement terminées, ou presque").
Les
catharsis provoquées peuvent être particulièrement intenses ("la
catharsis est parfois accompagnée de larmes, sueurs
-exceptionnellement même de vomissements, s'il s'agit de
psychotiques-, tremblements, changements de ton et de voix, de
langage, d'attitude, ..."), et même si on peut se contenter de se
réjouir que le psychodrame soit une thérapie puissante, c'est bien
entendu un élément à prendre au sérieux. Schützenberger, sans
être aussi radicale que Moreno ("les gens venant au psychodrame
déjà traumatisés par leur vie propre, il faut avoir le courage,
dit Moreno, de ne pas craindre de les traumatiser dans une séance de
psychodrame"), précise qu'il y a aussi un danger non négligeable à
freiner ou à stopper le jeu par crainte d'une catharsis trop
violente ("il est moins traumatisant pour un individu de s'exprimer
en groupe, que d'être arrêté par un psychodramatiste trop
"prudent", et d'avoir à se "débrouiller" seul et après la
séance avec ce qui a été refoulé, et qui le travaille"). Le
retour du ou de la psychodramatiste sur la catharsis avec le·a patient·e reste, on
l'aura compris, indispensable.
La
structure du livre est particulière et prend un peu au dépourvu.
Loin de se lire comme un roman comme la plupart des autres livres de
Schützenberger (Aïe mes aïeux, Psychogénéalogie,
Le plaisir de vivre, ...) qui restent, incontestablement, des
livres théoriques, là le·a lecteur·ice se fait d'office décrire de façon
détaillée le contenu d'une séance puis, après une
brève case vignettes cliniques certes particulièrement intéressante
(une phrase anodine fait hurler et fondre en larme une patiente
pourtant déjà analysée plusieurs fois, et lui fait comprendre
pourquoi elle a toute sa vie rejeté son frère, une patiente
psychotique, dans une séance animée par Moreno, dialogue avec ses
hallucinations ou prend la parole à la place de certaines - "entrer
dans le monde de l'hallucination, c'est d'abord l'explorer pour
essayer de voir comment il est, non pas objectivement, mais
subjectivement, pour le malade", "d'après Moreno, le monde du
malade vaut bien notre monde à nous – et de toutes façons, c'est
la seule manière de le comprendre de l'intérieur, pour l'aider à
s'en sortir", …) mais plutôt courte, le·a lecteur·ice est invité·e à lire la définition de
130 techniques du psychodrame (sur les 350 existantes que
Schützenberger regrette de ne pas avoir pu regrouper), puis un
glossaire des concepts du psychodrame à peu près aussi fourni (ça
fait une table des matières très très longue!), suivi pour ceux et celles
que ça intéresse d'une histoire synthétique du psychodrame. La
façon de présenter les choses rend donc la lecture peut-être un peu indigeste, et surtout donne la sensation que le titre
initial, Précis de psychodrame. Introduction aux aspects
techniques, est plus adapté. Certes j'ai pu faire ce résumé
donc ce serait exagéré de dire qu'on n'apprend on qu'on ne retient
rien, mais à certains moments on se demande ce qu'on est censé
faire du déroulement détaillé d'une séance alors qu'on n'a pas
encore compris les tenants et les aboutissants, ou d'une liste (et
même deux) de termes techniques dans l'ordre alphabétique. Je pense
que le livre est plus adapté, de par sa structure, à des gens qui
sont déjà formés, même si tout·e lecteur·ice comprendra à peu près,
peut-être plus laborieusement que nécessaire, en quoi consiste le
psychodrame.
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