jeudi 19 février 2015

Le psychodrame, d'Anne Ancelin Schützenberger



 La pionnière française du psychodrame a réédité son Précis de psychodrame en 2003, puis en 2008 (et, tant qu'à faire, l'a rebaptisé).

 Le psychodrame, créé par Jacob Levy Moreno, consiste à faire jouer, sous la direction d'un·e animateur·ice, des scènes qui vont impliquer émotionnellement les acteur·ice·s ("réalisation totale de la psyché (âme) par l'action (drama)"), en général dans un but thérapeutique ("le théâtre avait pour effet d'être une thérapie pour le groupe des spectateurs (alors que c'est le but du psychodrame thérapeutique, et souvent un effet du psychodrame pédagogique)"). En fait, je ne vais pas rentrer dans les détails techniques pour l'imparable raison que je n'ai pas tout compris (euphémisme), mais on distingue plusieurs types de psychodrame, qui dépendent en particulier de la base théorique de l'animateur·ice (psychanalyse, psychologie sociale, Gestalt, thérapie systémique, psychiatrie, …) et bien sûr de sa formation initiale au psychodrame proprement dit. Le psychodrame peut être utilisé pour de nombreux publics, des employé·e·s d'une entreprise qui ont du mal à faire face à une situation professionnelle aux patient·e·s psychotiques d'un hôpital psychiatrique. On peut même faire jouer une seule personne, dans le cadre d'une psychanalyse.

 Bien qu'on puisse faire des marathons (séances de 24 heures, à destiner plutôt aux sessions de formation), une séance dure une à deux heures (les séances plus longues ont en général pour effet de permettre d'aller chercher des choses plus profondes), pour un nombre de séances très variable (6 à 60). La séance commence par un échauffement, pour que chacun se sente à l'aise dans le groupe, mais aussi pour déterminer quelle scène sera jouée : les méthodologies sont très variables, de l'interdiction de la parole qui contraint à communiquer par geste, la prise de parole à tour de rôle en tenant un sablier virtuel, l'animateur·ice qui dégage un thème des conversations spontanées ou qui fait décider le groupe selon la méthode non directive, … La scène est ensuite mise en place, la personne qui va jouer le rôle principal va être amenée par le·a psychodramatiste à décrire l'environnement avec le plus de détails possible (tous les accessoires et éléments de décors seront virtuels, à charge aux acteur·ice·s de les faire apparaître) et les rôles seront distribués. Le·a patient·e échangera donc avec d'autres acteur·ice·s (les ego-auxiliaires), qui pourront aussi jouer le rôle du ou de la patient·e pendant qu'elle ou lui jouera un autre rôle (un proche, un désir, une émotion, …), les rôles pouvant parfaitement changer pendant la scène sur consignes du ou de la psychodramatiste, qui reste très actif·ve tout le long, au même titre que tou·te·s les participant·e·s ("le psychodrame est une rencontre privilégiée qui ne peut comporter que des participants"), qui sont actif·ve·s à la fois par leur jeu et par leurs émotions ("l'acteur atteint à une émotion qui se communique au groupe, comme une pierre jetée à l'eau forme des cercles qui se propagent", "un psychodrame réussit lorsqu'il fond et unifie un groupe dans une émotion commune"). Après le jeu, il est capital de revenir sur le vécu des participants, y compris à la séance suivante, ce qui permet par exemple de revenir sur les rêves, ... S'il s'agit bien de théâtre, si les accessoires restent imaginaires et que, bien entendu, certains gestes ne devront pas être réalisés (comme, si incroyable que ça puisse paraître, frapper quelqu'un ou se déshabiller), l'implication devra être sincère : Schützenberger fait une très nette distinction entre faire "comme si" et faire semblant -si on fait semblant, il ne s'agit pas de psychodrame-. Le·a patient·e pourra élaborer des conflits (le psychodrame peut par exemple consister à le·a faire dialoguer avec différentes perceptions contradictoires qu'il a d'un projet, d'une personne, d'un problème, …), communiquer avec un·e proche (y compris avec un·e proche décédé·e), exprimer un désir (une technique du psychodrame est celle de la boutique magique, où iel peut demander ce qu'iel veut -des fins de mois moins acrobatiques, des années de vies en plus, un voyage, ...-, à charge au ou à la marchand·e d'en déterminer le prix -pas nécessairement de l'argent- avec pour seule contrainte qu'il soit abordable) ou encore, c'est peut-être l'objet principal du psychodrame, passer plus directement par l'émotion à travers une catharsis ("pour Moreno, une fois la catharsis faite, les choses sont définitivement terminées, ou presque").

 Les catharsis provoquées peuvent être particulièrement intenses ("la catharsis est parfois accompagnée de larmes, sueurs -exceptionnellement même de vomissements, s'il s'agit de psychotiques-, tremblements, changements de ton et de voix, de langage, d'attitude, ..."), et même si on peut se contenter de se réjouir que le psychodrame soit une thérapie puissante, c'est bien entendu un élément à prendre au sérieux. Schützenberger, sans être aussi radicale que Moreno ("les gens venant au psychodrame déjà traumatisés par leur vie propre, il faut avoir le courage, dit Moreno, de ne pas craindre de les traumatiser dans une séance de psychodrame"), précise qu'il y a aussi un danger non négligeable à freiner ou à stopper le jeu par crainte d'une catharsis trop violente ("il est moins traumatisant pour un individu de s'exprimer en groupe, que d'être arrêté par un psychodramatiste trop "prudent", et d'avoir à se "débrouiller" seul et après la séance avec ce qui a été refoulé, et qui le travaille"). Le retour du ou de la psychodramatiste sur la catharsis avec le·a patient·e reste, on l'aura compris, indispensable.

 La structure du livre est particulière et prend un peu au dépourvu. Loin de se lire comme un roman comme la plupart des autres livres de Schützenberger (Aïe mes aïeux, Psychogénéalogie, Le plaisir de vivre, ...) qui restent, incontestablement, des livres théoriques, là le·a lecteur·ice se fait d'office décrire de façon détaillée le contenu d'une séance puis, après une brève case vignettes cliniques certes particulièrement intéressante (une phrase anodine fait hurler et fondre en larme une patiente pourtant déjà analysée plusieurs fois, et lui fait comprendre pourquoi elle a toute sa vie rejeté son frère, une patiente psychotique, dans une séance animée par Moreno, dialogue avec ses hallucinations ou prend la parole à la place de certaines - "entrer dans le monde de l'hallucination, c'est d'abord l'explorer pour essayer de voir comment il est, non pas objectivement, mais subjectivement, pour le malade", "d'après Moreno, le monde du malade vaut bien notre monde à nous – et de toutes façons, c'est la seule manière de le comprendre de l'intérieur, pour l'aider à s'en sortir", …) mais plutôt courte, le·a lecteur·ice est invité·e à lire la définition de 130 techniques du psychodrame (sur les 350 existantes que Schützenberger regrette de ne pas avoir pu regrouper), puis un glossaire des concepts du psychodrame à peu près aussi fourni (ça fait une table des matières très très longue!), suivi pour ceux et celles que ça intéresse d'une histoire synthétique du psychodrame. La façon de présenter les choses rend donc la lecture peut-être un peu indigeste, et surtout donne la sensation que le titre initial, Précis de psychodrame. Introduction aux aspects techniques, est plus adapté. Certes j'ai pu faire ce résumé donc ce serait exagéré de dire qu'on n'apprend on qu'on ne retient rien, mais à certains moments on se demande ce qu'on est censé faire du déroulement détaillé d'une séance alors qu'on n'a pas encore compris les tenants et les aboutissants, ou d'une liste (et même deux) de termes techniques dans l'ordre alphabétique. Je pense que le livre est plus adapté, de par sa structure, à des gens qui sont déjà formés, même si tout·e lecteur·ice comprendra à peu près, peut-être plus laborieusement que nécessaire, en quoi consiste le psychodrame.

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