dimanche 8 février 2015

Être psy volume 2, De la psychanalyse à la psychothérapie, par Daniel Friedmann




 Après un excellent coffret DVD qui consistait en une série d'entretiens avec des psychanalystes, et qui avait le mérite de comprendre des questions qui n'étaient pas nécessairement consensuelles (prix de la séance, efficacité thérapeutique, fin de l'analyse, avis sur les séances courtes, rapports avec Lacan, …), une première fois en 1983 puis une seconde fois en 2008 (avec les mêmes quand c'était possible), le sociologue Daniel Friedmann récidive en interviewant cette fois-ci des psychothérapeutes, avec tout ce que le terme peut recouvrir.

 Le point commun entre les psychanalystes et les psychothérapeutes est que la formation universitaire n'est pas nécessairement la même : l'exercice peut être effectué par un psychiatre, un médecin, un psychologue, … Elisabeth Roudinesco, psychanalyste, est historienne de formation, Dina Scherrer, psychothérapeute (coach), a un DESU spécialisé, … La grande différence, en revanche, entre psychanalystes et psychothérapeutes, est la variété des formations théoriques : TCC, gestalt, rebirth, thérapie transculturelle, ... certain·e·s des practicien·ne·s sont même, c'est fou, de formation analytique (mais aucun·e n'affiche "psychanalyste" sur sa plaque, sinon iel serait dans le coffret DVD d'avant). La variété n'aide d'ailleurs pas à désigner les interviewés (dont certains sont très médiatisés : Boris Cyrulnik, Christophe André, Serge Hefez, ...), le coffret indique qu'on va écouter parler des thérapeutes familiaux·ales, des gestaltistes, des comportementalistes (qui sont en fait des TCCistes, mais en même temps ça ne sonne pas super bien)... mais aussi une coach, un psychothérapeute auprès des détenus, ou encore une addictologue qui de suite dit qu'elle ne se perçoit pas comme addictologue.

 La diversité est d'autant plus de mise que l'entretien est fait pour prendre une tournure très personnelle (c'est marqué dès la première question : "qu'est-ce que c'est, pour vous, être psychothérapeute?"), et en effet chaque entretien (la durée tourne autour d'une heure) aurait parfaitement pu justifier un résumé ici à lui seul (mais ça aurait quand même fait 16 résumés juste pour le coffret, et j'aime bien m'écouter parler je vous aime bien mais faut pas non plus pousser). On est d'ailleurs vite tenté de jouer au jeu de "c'est dommage il manque telle méthode" (pas de thérapeute rogerien, sniff...) ou encore "c'est dommage il manque telle personne" (un entretien tourné de façon aussi personnelle avec Tobie Nathan aurait sans doute décoiffé -et m'aurait peut-être valu une ou deux crises de nerfs devant mon écran, mais sur une heure d'entretien c'est raisonnable-).

 Certains éléments rappellent de façon assez frappante les propos des psychanalystes interviewé·e·s dans le volume précédent : adaptation pour quelques uns du prix à la patientèle (Valérie Colin-Simard -gestaltiste- ne veut pas que certains renoncent à se soigner pour une question d'argent, Dina Scherrer fait un peu la grimace quand elle explique que le coaching a un coût, ce qui fait que sa clientèle est surtout constituée de cadres, même si elle travaille auprès d'un public en situation d'exclusion -payée par l'Education Nationale- ou qu'elle divise le prix par deux quand un·e client·e étudiant·e paye ses séances sans passer par ses parents), importance des thérapies (en tant que patient·e) passées et éventuellement présentes, …

 En dehors des point communs avec les prédécesseur·se·s psychanalystes, on peut aussi être surpris par la quasi-absence de psychanalyse-bashing. Même Christophe André, s'il reconnaît que quand il s'est retrouvé sur un divan dans sa formation de psychiatre il s'est pas mal ennuyé, dit aussi qu'il a été marqué, jeune, par la lecture de Freud, ou encore révèle sans problèmes qu'il lui arrive de rediriger certain·e·s patient·e·s vers un confrère "lacanien pur sucre" (même s'il dit à un autre moment voir plus la psychanalyse comme du développement personnel que comme une thérapie) : il adresse de plus systématiquement les reproches qu'il pourrait faire à la méthode à "certains psychanalystes" plutôt qu'à la psychanalyse en général (et sauf erreur de ma part, sa langue ne fourche pas... il ne fait pas de lapsus ^^ ). Et, bien entendu, de nombreuses méthodes sont dérivées plus ou moins directement de la psychanalyse (le rebirth permet, selon Philippe Grauer, d'aller chercher du matériel inconscient que le divan ne permet pas d'aller chercher -même si quand on lui pose la question aucun exemple ne lui vient-, ...) La pluridisciplinarité est d'ailleurs dans l'ensemble bien vue, même si Philippe Grauer suspecte que bientôt, "thérapie intégrative" désignera une méthode en soi : on a déjà vu que Christophe André redirigeait certain·e·s de ses patient·e·s vers un analyste, Boris Cyrulnik évoque le cas encore plus parlant d'une patiente aggravée par la psychanalyse et améliorée par les TCC dans son enfance, qui a ensuite ressenti le besoin, adulte, de faire une analyse qui a bien fonctionné (il parle aussi de patient·e·s, apparemment ce n'est pas si rare, qui estiment de facto qu'iels font une psychanalyse - "j'ai vu un psychanalyste" "Ah, et qu'est-ce que tu as fait?" "J'ai expliqué mon problème, et il m'a donné un programme à suivre"-) et n'est pas le seul à parler de ce genre de situations (Cyrulnik parle de complémentarité dans la thérapie, mais aussi, dans la recherche, avec entre autres l'exemple de l'imagerie cérébrale qui confirme les dégâts des carences affective détectées grâce à la théorie de l'attachement), ...

 Le gros point fort du coffret est qu'il est intéressant à la fois pour un public profane qui découvrirait ou presque l'univers de la psychothérapie, puisque le principe de différentes méthodes est expliqué en détail (moi je suis un expert parce que j'ai un Semestre 5 de psychologie, donc je ne vais pas admettre que je ne savais pas en quoi consistait la gestalt-thérapie) et pour quelqu'un qui connaîtrait bien le sujet, puisque des expert·e·s, parfois même des pionnier·ère·s, parlent longuement de leur approche personnelle. Certains entretiens ont d'ailleurs de fortes chances d'être déstabilisants, comme quand Olivier Chambon, après avoir précisé sans ambiguïté que c'est interdit en France, va parler des psychédéliques comme de médicaments surpuissants du point de vue bénéfice/risque ou avancer des arguments scientifiques pour l'existence de la vie après la mort ou encore Robert Neuburger qui applique très radicalement les principes de l'ethnopsychiatrie en refusant de faire des diagnostics psychiatriques (citant Devereux qui dit que chaque société donne à ses citoyen·ne·s un mode d'emploi pour dysfonctionner) en donnant entre autres l'exemple d'un patient dont la dépression avait été aggravée par un diagnostic de dépression, et qui refuse aussi toute prescription médicamenteuse (c'est peut-être le moment le plus intéressant du coffret : il confesse qu'il avait triché pendant sa thèse, où au lieu de comparer une molécule à un placebo comme il était supposé le faire, il avait comparé, avec un protocole très strict... un placebo à un placebo, obtenant des résultats significatifs, et sans que personne ne s'en rende compte -comme il le dit, si il avait osé révéler la supercherie, sa thèse aurait été encore plus intéressante qu'elle ne l'a été-). D'autres sont plus franchement dérangeants : le rebirth, tel que je l'ai compris, consiste à provoquer un malaise pour se mettre dans un état modifié de conscience supposé ramener à la vie intra-utérine ou pas longtemps après-utérine. Michel Armellino dit d'ailleurs qu'il faut prévenir les voisin·e·s avant les séances, pour qu'iels n'appellent pas la police si ils entendent des hurlements et des choses de ce genre. Certes je ne doute pas que c'est bien encadré, y compris par un travail préalable et sûrement une présélection des patient·e·s pour lesquels ce serait indiqué, certes Philippe Grauer dit on ne peut plus explicitement qu'il ne faut pas proposer une thérapie qu'on n'a pas essayé sur soi (Grauer et Armellino ont, je ne sais pas si c'est une coïncidence, une façon particulièrement relax de parler du packing, alors que même Anzieu par exemple qui reconnait son efficacité précise que c'est potentiellement une violence pour les patient·e·s), mais un·e thérapeute chevronné·e qui est prêt·e à utiliser une méthode un peu extrême pour aller loin dans la connaissance de soi et un·e patient·e qui vient demander de l'aide pour une difficulté psychique, ce n'est pas la même situation, non? Enfin, ça n'engage que moi, et la richesse du coffret fait justement que d'autres trouveront peut-être plutôt que Grauer et Armellino sont déstabilisants et que Chambon et Neuburger sont franchement dérangeants, ou auront d'autres avis concernant d'autres thérapeutes, ...

 C'est assez rare pour être noté, donc je l'ai déjà dit mais je le redis (ce qui est un peu le principe d'une conclusion, maintenant que j'y pense), le coffret a largement de quoi intéresser les profanes comme les expert·e·s, en plus c'est en vidéo donc c'est moins fatigant que de lire (parce que j'ai décidé), et en plus en plus pour ceux et celles qui sont pressé·e·s il y a une sorte de résumé d'une heure qui est proposé (que je n'ai pas regardé parce que j'allais voir les entretiens en entier, et une heure ça fait quand même une longue bande-annonce qui en plus risque d'être pleine de spoils). Il y a aussi un livret qui explique la démarche et qui présente sommairement les interviewé·e·s, que je n'ai pas lu parce que... parce que... euh, là c'est juste parce que j'ai eu la flemme.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire