Après un excellent coffret DVD qui consistait en une série
d'entretiens avec des psychanalystes, et qui avait le mérite de
comprendre des questions qui n'étaient pas nécessairement
consensuelles (prix de la séance, efficacité thérapeutique, fin de
l'analyse, avis sur les séances courtes, rapports avec Lacan, …), une première fois en 1983 puis une seconde fois en 2008 (avec les
mêmes quand c'était possible), le sociologue Daniel Friedmann
récidive en interviewant cette fois-ci des psychothérapeutes, avec
tout ce que le terme peut recouvrir.
Le
point commun entre les psychanalystes et les psychothérapeutes est
que la formation universitaire n'est pas nécessairement la même :
l'exercice peut être effectué par un psychiatre, un médecin, un
psychologue, … Elisabeth Roudinesco, psychanalyste, est historienne
de formation, Dina Scherrer, psychothérapeute (coach), a un DESU
spécialisé, … La grande différence, en revanche, entre
psychanalystes et psychothérapeutes, est la variété des formations
théoriques : TCC, gestalt, rebirth, thérapie transculturelle,
... certain·e·s des practicien·ne·s sont même, c'est fou, de formation
analytique (mais aucun·e n'affiche "psychanalyste" sur sa
plaque, sinon iel serait dans le coffret DVD d'avant). La variété
n'aide d'ailleurs pas à désigner les interviewés (dont certains
sont très médiatisés : Boris Cyrulnik, Christophe André,
Serge Hefez, ...), le coffret indique qu'on va écouter parler des
thérapeutes familiaux·ales, des gestaltistes, des comportementalistes
(qui sont en fait des TCCistes, mais en même temps ça ne sonne pas
super bien)... mais aussi une coach, un psychothérapeute auprès des
détenus, ou encore une addictologue qui de suite dit qu'elle ne se
perçoit pas comme addictologue.
La
diversité est d'autant plus de mise que l'entretien est fait pour
prendre une tournure très personnelle (c'est marqué dès la
première question : "qu'est-ce que c'est, pour vous,
être psychothérapeute?"), et en effet chaque entretien (la durée
tourne autour d'une heure) aurait parfaitement pu justifier un résumé
ici à lui seul (mais ça aurait quand même fait 16 résumés juste
pour le coffret, et j'aime bien m'écouter parler je vous aime bien
mais faut pas non plus pousser). On est d'ailleurs vite tenté de
jouer au jeu de "c'est dommage il manque telle méthode" (pas de
thérapeute rogerien, sniff...) ou encore "c'est dommage il manque
telle personne" (un entretien tourné de façon aussi personnelle
avec Tobie Nathan aurait sans doute décoiffé -et m'aurait
peut-être valu une ou deux crises de nerfs devant mon écran, mais
sur une heure d'entretien c'est raisonnable-).
Certains éléments rappellent de façon assez frappante les propos
des psychanalystes interviewé·e·s dans le volume précédent :
adaptation pour quelques uns du prix à la patientèle (Valérie
Colin-Simard -gestaltiste- ne veut pas que certains renoncent à se
soigner pour une question d'argent, Dina Scherrer fait un peu la
grimace quand elle explique que le coaching a un coût, ce qui fait
que sa clientèle est surtout constituée de cadres, même si elle
travaille auprès d'un public en situation d'exclusion -payée par
l'Education Nationale- ou qu'elle divise le prix par deux quand un·e
client·e étudiant·e paye ses séances sans passer par ses
parents), importance des thérapies (en tant que patient·e) passées et
éventuellement présentes, …
En
dehors des point communs avec les prédécesseur·se·s psychanalystes, on
peut aussi être surpris par la quasi-absence de
psychanalyse-bashing. Même Christophe André, s'il reconnaît que
quand il s'est retrouvé sur un divan dans sa formation de psychiatre
il s'est pas mal ennuyé, dit aussi qu'il a été marqué, jeune, par
la lecture de Freud, ou encore révèle sans problèmes qu'il lui
arrive de rediriger certain·e·s patient·e·s vers un confrère "lacanien
pur sucre" (même s'il dit à un autre moment voir plus
la psychanalyse comme du développement personnel que comme une
thérapie) : il adresse de plus systématiquement les reproches
qu'il pourrait faire à la méthode à "certains
psychanalystes" plutôt qu'à la psychanalyse en général (et
sauf erreur de ma part, sa langue ne fourche pas... il ne fait pas de
lapsus ^^ ). Et, bien entendu, de nombreuses méthodes sont dérivées
plus ou moins directement de la psychanalyse (le rebirth permet,
selon Philippe Grauer, d'aller chercher du matériel inconscient que
le divan ne permet pas d'aller chercher -même si quand on lui pose
la question aucun exemple ne lui vient-, ...) La pluridisciplinarité
est d'ailleurs dans l'ensemble bien vue, même si Philippe Grauer
suspecte que bientôt, "thérapie intégrative" désignera une
méthode en soi : on a déjà vu que Christophe André
redirigeait certain·e·s de ses patient·e·s vers un analyste, Boris Cyrulnik
évoque le cas encore plus parlant d'une patiente aggravée par la
psychanalyse et améliorée par les TCC dans son enfance, qui a
ensuite ressenti le besoin, adulte, de faire une analyse qui a bien
fonctionné (il parle aussi de patient·e·s, apparemment ce n'est pas si
rare, qui estiment de facto qu'iels font une psychanalyse - "j'ai
vu un psychanalyste" "Ah, et qu'est-ce que tu as
fait?" "J'ai expliqué mon problème, et il m'a
donné un programme à suivre"-) et n'est pas le seul à
parler de ce genre de situations (Cyrulnik parle de complémentarité dans la thérapie, mais aussi, dans la recherche, avec entre autres l'exemple de l'imagerie cérébrale qui confirme les dégâts des carences affective détectées grâce à la théorie de l'attachement), ...
Le gros point fort du coffret est qu'il est intéressant à la fois pour un public profane qui découvrirait ou presque l'univers de la psychothérapie, puisque le principe de différentes méthodes est expliqué en détail (moi je suis un expert parce que j'ai un Semestre 5 de psychologie, donc je ne vais pas admettre que je ne savais pas en quoi consistait la gestalt-thérapie) et pour quelqu'un qui connaîtrait bien le sujet, puisque des expert·e·s, parfois même des pionnier·ère·s, parlent longuement de leur approche personnelle. Certains entretiens ont d'ailleurs de fortes chances d'être déstabilisants, comme quand Olivier Chambon, après avoir précisé sans ambiguïté que c'est interdit en France, va parler des psychédéliques comme de médicaments surpuissants du point de vue bénéfice/risque ou avancer des arguments scientifiques pour l'existence de la vie après la mort ou encore Robert Neuburger qui applique très radicalement les principes de l'ethnopsychiatrie en refusant de faire des diagnostics psychiatriques (citant Devereux qui dit que chaque société donne à ses citoyen·ne·s un mode d'emploi pour dysfonctionner) en donnant entre autres l'exemple d'un patient dont la dépression avait été aggravée par un diagnostic de dépression, et qui refuse aussi toute prescription médicamenteuse (c'est peut-être le moment le plus intéressant du coffret : il confesse qu'il avait triché pendant sa thèse, où au lieu de comparer une molécule à un placebo comme il était supposé le faire, il avait comparé, avec un protocole très strict... un placebo à un placebo, obtenant des résultats significatifs, et sans que personne ne s'en rende compte -comme il le dit, si il avait osé révéler la supercherie, sa thèse aurait été encore plus intéressante qu'elle ne l'a été-). D'autres sont plus franchement dérangeants : le rebirth, tel que je l'ai compris, consiste à provoquer un malaise pour se mettre dans un état modifié de conscience supposé ramener à la vie intra-utérine ou pas longtemps après-utérine. Michel Armellino dit d'ailleurs qu'il faut prévenir les voisin·e·s avant les séances, pour qu'iels n'appellent pas la police si ils entendent des hurlements et des choses de ce genre. Certes je ne doute pas que c'est bien encadré, y compris par un travail préalable et sûrement une présélection des patient·e·s pour lesquels ce serait indiqué, certes Philippe Grauer dit on ne peut plus explicitement qu'il ne faut pas proposer une thérapie qu'on n'a pas essayé sur soi (Grauer et Armellino ont, je ne sais pas si c'est une coïncidence, une façon particulièrement relax de parler du packing, alors que même Anzieu par exemple qui reconnait son efficacité précise que c'est potentiellement une violence pour les patient·e·s), mais un·e thérapeute chevronné·e qui est prêt·e à utiliser une méthode un peu extrême pour aller loin dans la connaissance de soi et un·e patient·e qui vient demander de l'aide pour une difficulté psychique, ce n'est pas la même situation, non? Enfin, ça n'engage que moi, et la richesse du coffret fait justement que d'autres trouveront peut-être plutôt que Grauer et Armellino sont déstabilisants et que Chambon et Neuburger sont franchement dérangeants, ou auront d'autres avis concernant d'autres thérapeutes, ...
C'est assez rare pour être noté, donc je l'ai déjà dit mais je le redis (ce qui est un peu le principe d'une conclusion, maintenant que j'y pense), le coffret a largement de quoi intéresser les profanes comme les expert·e·s, en plus c'est en vidéo donc c'est moins fatigant que de lire (parce que j'ai décidé), et en plus en plus pour ceux et celles qui sont pressé·e·s il y a une sorte de résumé d'une heure qui est proposé (que je n'ai pas regardé parce que j'allais voir les entretiens en entier, et une heure ça fait quand même une longue bande-annonce qui en plus risque d'être pleine de spoils). Il y a aussi un livret qui explique la démarche et qui présente sommairement les interviewé·e·s, que je n'ai pas lu parce que... parce que... euh, là c'est juste parce que j'ai eu la flemme.
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