Déplorant le manque de travail des psychanalystes sur "le
symbolisme des organes sexuels de la femme" et plus
généralement sur la sexualité féminine, Georges Devereux, en
prenant comme point de départ le mythe de Baubo ("le fantasme
de Baubo continue d'ailleurs de hanter même notre siècle"),
nous fait partager "l'aboutissement de presque un demi-siècle
de réflexion intermittente" (oui, l'auteur même qui dit que "toute recherche est autopertinente sur le plan inconscient" a passé 50
ans a réfléchir sur ce sujet... bon, ceci ne nous regarde pas).
Le
mythe de Baubo a principalement deux versions connues, dont je vais
reproduire ici le résumé par Robert Neuburger dans la préface parce
que je suis quelqu'un de sympa (et aussi parce que c'est quand même
plus pratique). La situation est la même dans les deux versions :
Déméter, en deuil de sa fille Perséphone qu'Hadès a enlevée pour
l'épouser (Hadès étant le dieu de la mort, ça sous-entend qu'elle
est un peu décédée, d'où le deuil), cesse de manger et de boire.
Sa servante Baubo tente de lui faire retrouver de la joie de vivre.
Pour la première version, due à Clément d'Alexandrie : "Ayant
ainsi parlé, Baubo retroussa son péplos pour montrer de son corps
(à Déméter) tout ce qu'il y a d'obscène ; le jeune Iachkos
qui était là, tout en riant, agitait la main sous le sein de
Baubo ; la déesse, alors, sourit dans son cœur ; elle
accepte la coupe aux reflets bigarrés, où se trouvait du cycéon".
Pour la seconde version (d'Arnobe -aucun lien avec l'acteur qui
a joué Terminator-) : "Baubo tira son vêtement depuis
le bas et exposa aux yeux (de Déméter) les formes des parties
naturelles qu'en agitant d'une main creuse -elles avaient un aspect
d'enfant- elle frappe, palpe amicalement. Alors la déesse, fixant
des yeux d'auguste lumière et un peu adoucie, dépose les tristesses
de son âme puis de sa main prend la coupe et riant, boit joyeuse,
tout la liqueur du cycéon." (le cycéon est une boisson
traditionnelle -sans alcool, mais qui n'a pas inspiré les couleurs
du costume du père Noël- de l'époque).
La
présence d'un enfant (Iachkos) ne veut pas dire que Baubo s'exhibe
aussi devant un enfant, mais (c'est implicite mais démontré de
façon détaillée dans le livre) qu'elle accouche devant Déméter,
ou lui montre un début d'accouchement. Si le fait qu'elle accouche
sur commande et en faisant le clown est surtout rendu possible par sa
nature de personnage mythologique, le fait qu'elle ne s'allonge pas
avant est moins surréaliste : la position accroupie pour
accoucher existe, bien que peu répandue dans l'occident
contemporain, et cet élément est beaucoup utilisé par Devereux
pour commenter des œuvres d'art (surtout des statuettes)
représentées accroupies, les genoux écartés. Plusieurs éléments
font que Devereux prend ce mythe comme élément central de son
travail : l'exhibition est plutôt réputée pour être un trait
de caractère masculin, l'exhibition de la vulve a en général
plutôt vocation a être insultante pour la cible (deux exemples sont
donnés, de femmes perses et d'une femme spartiate s'exhibant à
leurs soldats en fuite pour les traiter de lâches), et la présence
de Iachkos, en plus d'évoquer la grossesse et l'accouchement,
suggère un symbole phallique qui précisément n'apparaît pas là
où on l'attend. C'est d'ailleurs principalement Iachkos qui permet à
Devereux de proposer des interprétations cliniques du mythe (dans
la citation, Iambe désigne Baubo -sinon ça voudrait dire que le
même bébé est accouché par plusieurs personnes en même temps, et
c'est déjà assez compliqué comme ça- ): "en exhibant ses
parties sexuelles, Iambe rappelle à Déméter non seulement qu'elle
n'est pas la seule à être châtrée (à avoir subi une perte)
(pénis=enfant), mais aussi et surtout qu'ayant une vulve, elle peut
concevoir d'autres enfants, qui remplaceront Perséphone,
descendue aux Enfers", "le sexe de Baubo, dont émerge
la partie supérieure du corps du bébé Iachkos, avait un aspect
phallique et, de ce fait, niait la castration (symbole et prototype
de toute perte et de tout deuil)".
Les
discussions sur le mythe même prendront en fait relativement peu de
place dans l'ouvrage, même s'il sera souvent rappelé. Comme précisé
dans l'intro, l'objectif de Devereux est surtout de faire avancer la
psychanalyse de la sexualité féminine et du corps féminin. Comme
pour la plupart de ses textes, ses analyses se baseront sur des
éléments psychanalytiques bien sûr (extraits d'analyses), mais
aussi historiques, anthropologiques, artistiques, sur des thèmes
aussi prometteurs que "la femme phallos" , "la
vaginalisation de la verge", "l'homme tubulaire et la
femme bouchée", "le ventre facifié", … Les
lecteur·ice·s intéressé·e·s pourront prolonger avec le chapitre sur la
virginité de Femme et mythe (que je n'ai pas résumé sur ce
blog parce que le livre concerne la littérature, la mythologie
plutôt que la psychanalyse ou l'ethnopsychiatrie). De façon assez
surprenante, le fait que Devereux soit capable d'un sexisme violent
et ahurissant (il déplore au détour d'une interprétation
mythologique "la tapageuse campagne "anti-viol" (=
anti-hommes) de nos jours" (!), je comprends mieux comment il
se débrouillait dans Femme et mythe pour trouver que les
Etats-Unis des années 70 sont une société matriarcale et
pleurnicher à ce sujet) ne transparaît pas particulièrement dans
ses nombreuses analyses.
L'essai de Georges Devereux est complété de très courts textes
qu'il aura utilisés dans son analyse, respectivement de Freud
(traduit par Robert Neuburger), Parallèle entre des mythes et une
obsession visuelle, où le
mythe de Baubo est directement cité pour éclairer l'idée obsédante
d'un patient de 21 ans à propos de son père (le mot "Vaterarsch",
qui littéralement désigne le postérieur du père mais ressemble
phonétiquement au mot patriarche en allemand, et son image "sans
tête ni thorax, mais comme un abdomen nu nanti de bras et de
jambes"), et de Ferenczi, La
nudité comme moyen d'intimidation,
deux vignettes cliniques concernant des femmes se représentant, vous
ne devinerez jamais, leur nudité comme moyen d'intimidation (envers
des enfants -garçons-).
Article intéressant qui me fait penser à ce que j'avais lu, enfin, cela ne touche qu'un aspect de l'article sur l'exhibitionnisme masculin et féminin dans le livre de Nancy friday : les fantasmes masculins. Un livre qui a quand même changé ma façon de voir les choses
RépondreSupprimerJe ne connais pas le livre de Nancy Friday donc j'aurais du mal à comparer, mais il semble que contrairement à Devereux qui multiplie les sources, elle se base surtout sur des témoignages, donc c'est probablement assez complémentaire
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