Freud, enthousiasmé par ce texte du prestigieux médecin Groddeck
(bien plus qu'il ne le sera plus tard par Le Livre du ça, du
même auteur), l'a fait publier en 1921 dans l'Internationaler
Psychoanalytischer Verlag. Le livre met en scène August Müller,
qui après avoir été traumatisé par son incapacité, malgré
d'épiques efforts, à venir à bout, sur demande de sa sœur Agathe,
de punaises envahissant une pièce de la maison, sera pris d'un
délire de grandeur commençant plus ou moins au moment où il
marchera trop bien à une plaisanterie de Lachmann, médecin ancien
admirateur de sa sœur, qui lui proposera une solution, présentée
comme la culmination de milliers d'années de sagesse et accueillie
avec le plus grand des enthousiasmes : "Remède infaillible
contre les punaises. Tue chaque punaise que tu trouves. Quand tu
auras tué la dernière, alors il n'y en aura plus."
Après s'être évadé de la chambre supposée être libérée des
punaises (Agathe l'y avait mis en quarantaine, Lachmann lui ayant
fait croire qu'il avait la scarlatine), il se rebaptisera Thomas
Weltlein et n'aura de cesse d'accomplir le destin de grandeur auquel
il a décrété qu'il était promis : Lachmann, incapable de lui
faire entendre raison, ne pourra bien vite que constater qu'il a été
dépassé par sa propre plaisanterie. Le délire de grandeur se
manifeste principalement par une interprétationnite aigüe, dans un
premier temps de signes extérieurs vus comme des consignes pour aller à
la rencontre de son destin (il décidera ainsi par exemple qu'il doit
se faire incarcérer à la place d'un voleur célèbre recherché par
la police, au point d'insister avec virulence pour aller en prison
quand le vrai voleur est retrouvé et de le traiter d'imposteur),
puis d'interprétations qui se rapprochent plus de l'analyse
freudienne, qu'il assénera doctement aux différents publics qu'il
trouvera (personnes se trouvant dans le musée ou restaurant où il a
commencé à parler, public plus officiel lorsqu'il parvient à
monter sur scène à l'occasion d'un débat, ou encore profiteur·se·s qui
prennent la décision périlleuse de le suivre pour profiter de sa
richesse non pas intellectuelle mais matérielle) en plus de ses
illuminations sur le fonctionnement général de la société, ce qui
se terminera souvent en bagarre. Il ne s'affranchira jamais toutefois
du traumatisme initial des punaises.
Je
ne m'aventurerais pas à me lancer dans une interprétation du roman,
ni même à dire pourquoi Freud l'a tant apprécié alors qu'il n'est
par certains aspects pas vraiment flatteur pour la psychanalyse... En
plus de se sentir de décrypter un message ou un sous-texte précis
dans un livre aussi insolite, le comprendre vraiment implique
probablement d'en savoir beaucoup sur Don Quichotte, roman très
cher à Freud auquel il est fait référence, ou encore de
parler allemand (plusieurs jeux de mots sont explicités par le
traducteur, sur les noms ou, plus indispensable, sur les sonorités
des mots qui amènent Weltlein à leur imaginer un sens particulier,
mais il semble y en avoir un certain nombre) ou de bien connaître la
psychanalyse freudienne et surtout son avancement au moment de
l'écriture du livre... domaines que Freud, on peut l'imaginer,
maîtrisait plutôt bien.
Si
le livre ne va pas nécessairement beaucoup faire avancer les
compétences cliniques de ses lecteur·ice·s, ça vaut quand même la peine
de le lire ne serait-ce que par curiosité (on ne peut en tout cas
pas dire que ce n'est pas un livre curieux!) si on s'intéresse à la
psychanalyse et à son histoire, de préférence pour celles et ceux qui le
peuvent en allemand sinon on rate probablement beaucoup de choses.
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