Pour cette Conférence de consensus, qui date de 2010, de nombreux·ses
expert·e·s, qui généralement ne se connaissaient pas, ont travaillé
en groupe sur divers sujets (pertinence et nécessité de l'examen,
compétences du ou de la psychologue et limites de l'évaluation, …) avant
de répondre aux questions du Jury suite à leur présentation. En
plus de son évident objectif théorique, la Conférence de consensus
a aussi des ambitions institutionnelles, s'inscrivant dans la
continuité de la réflexion de Daniel Lagache sur l'unité de la
psychologie en 1949 ou encore de la création du Code de déontologie
des psychologues, faisant communiquer des professionnel·le·s qui se
parlaient peu (ou peu aimablement) au delà de l'adversité entre
chercheur·se·s et practicien·ne·s, ou entre diverses approches théoriques
("la présente Conférence de consensus a expérimenté et éprouvé
la possibilité d'une psychologie unifiée, souple et tolérante").
Le
titre, ne faisons pas semblant, n'est pas particulièrement
annonciateur d'une lecture trépidante. D'une part le sujet lui-même,
les tests psychologiques appliqués aux enfants et adolescent·e·s, est
particulièrement technique, et d'autre part le terme de consensus
est de ces termes qui ont le potentiel de faire bailler presque
mécaniquement (le meilleur moyen d'être d'accord avec tout le monde
n'est-il pas de ne surtout rien dire de nouveau?). Si c'est très
souhaitable de rappeler qu'un test ne résume en aucun cas
l'individu, que d'ailleurs le résultat chiffré d'un test (quand
c'est un test qui aboutit à un résultat chiffré) n'est pas
forcément plus parlant que ce qui a eu lieu pendant la passation
("ce sont les "surprises", les décalages, qui sont intéressants
car dans les surprises vient se manifester "du sujet" au clinicien
et à l'enfant lui-même"), que ce que le·a psychologue a pu déduire
doit être restitué de façon à la fois compréhensible et non
stigmatisante ("le psychologue n'avance rien sans l'argumenter",
"il faut éviter des comptes-rendus qui se contenteraient d'énumérer
les difficultés de l'enfant"), est-ce pour autant bien la peine de
réunir autant d'expert·e·s pour raconter ça? Cette réticence n'est
pourtant finalement pas justifiée : les nombreux·ses auteur·ice·s, en tant que
spécialistes, auront à cœur de dire des choses intéressantes
(j'aurais par exemple apprécié, dans mon cours de 3ème année sur
le sujet, de savoir que "le débat est encore ouvert pour savoir ce
que teste ou pas le Rorschach") et, consensus ou non, de rappeler
les questionnements non résolus, et les échanges à la fin des
différentes présentations, là encore entre expert·e·s, pointeront les
limites où les éléments à compléter dans ce qui vient d'être
dit et sont potentiellement préalables à des avancées ambitieuses.
Si,
par exemple, l'opposition de certain·e·s à l'évaluation chiffrée m'a
un peu laissé perplexe (dans la mesure où il est rappelé que même
si un test aboutit à un résultat chiffré, ce chiffre ne constitue
qu'une fraction de ce qu'on peut déduire du test -même si, dans le
cas du fameux QI, c'est souvent le seul élément retenu par les
interlocuteur·ice·s au moment de la restitution, risque qui peut être
contourné en communiquant l'intervalle de confiance - "le QI
est entre xxx et xxx " - plutôt que le QI mesuré-), certaines
discussions ont plus d'intérêt, parfois d'ailleurs là où on ne
l'attend pas ("les échelles de Wechsler sont parfois exploitées au
moyen de cadres théoriques très différents, ce nomadisme
conceptuel conduisant à en interroger la validité"... les échelles
de Wechsler ne font-elles pourtant pas partie des échelles les plus
standardisées de l'Univers?). Chacun·e sera par exemple à peu près
d'accord sur les conditions de restitution des résultat d'un test
aux personnes concernées (compréhensible, contextualisé, non
stigmatisant, …), mais une discussion entre expert·e·s est plutôt
salutaire pour se mettre d'accord sur les conditions de restitutions
aux différents tiers. Sur un autre sujet, l'existence, pour certains
tests, d'une conclusion automatisée, ne fait on s'en doute pas l'unanimité. Si personne ne défend ouvertement le gain de temps
occasionné, certain·e·s ne sont pas choqué·e·s par la pratique
(l'ordinateur ayant des capacités de calcul incomparables serait-ce à celle des meilleur·e· practicien·nes, il peut
voir certaines choses que le·a psychologue ne pourrait percevoir que
laborieusement, avec des risques d'oubli) tant que le retour
informatique est complété par un regard humain, et surtout que le
texte constitué automatiquement ne parvient pas directement à
l'enfant évalué où à ses parents! Le dernier texte, sur les
aspects interculturels, est particulièrement riche autant sur le
plan technique que théorique. Si la situation interculturelle a
peut-être lieu plus souvent qu'on ne pourrait le penser ("une
culture dépend des individus qui constituent un groupe et un
individu donné peut faire partie de plusieurs groupes", "même
quand on travaille avec des petits Français, il y a souvent de
l'interculturel, parce que le psychologue n'est pas souvent de la
même culture et de la même classe sociale que l'enfant avec lequel
il va travailler") bien qu'il soit dangereux de décréter trop
rapidement qu'il y a interculturalité ("Il n'est jamais neutre,
encore moins absolu, d'assigner un enfant à une appartenance"), les
enjeux concernent la construction, la passation, l'interprétation
des tests de façon générale (en plus du fait que l'adaptation de
tests généraux à des déficiences spécifiques, comme la surdité,
suit des problématiques semblables). Par exemple, dans la traduction
des tests, malgré de strictes recommandations méthodologiques, des
difficultés peuvent se glisser, tels le fait que les Lituanien·ne·s
réussissent moins bien l'épreuve de mémoire de chiffres du WISC...
parce que leurs chiffres sont en deux syllabes. Des spécificités
linguistiques viennent même se glisser dans le Rorschach, qui n'a
si tout va bien pas besoin d'être traduit : les sujets chinois,
probablement du fait que leur alphabet soit constitué d'idéogrammes,
vont tendre à analyser la globalité de la tâche alors que le sujet
occidental va plutôt observer des détails. Le poids de la scolarité
est aussi plus conséquent que ce que l'on pourrait supposer. La
familiarité, à première vue évidente, avec les puzzles,
cubes ou figures géométriques, n'est par exemple pas universelle,
certains tests qui semblent adaptés de façon égale à n'importe
quelle culture (figure de Rey, Progressive Matrices, …) ne le sont
donc pas tant que ça, sans compter que l'essentiel des tests créés
et étalonnés sont d'origine américano-européenne.
En
plus de rappels (qui ne seront d'ailleurs pas nécessairement que des
rappels) enrichis par l'expérience et la compétence des
intervenant·e·s, les échanges présentés dans le livre permettent donc de
mettre en valeur les points, argumentés, de désaccords au sein de
la profession mais aussi d'esquisser les avancées à faire dans
l'approche des tests, la formation des psychologues ou encore la communication
avec d'autres professions.
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