Saviez-vous qu'un message
subliminal invitant à manger du pop-corn, diffusé pendant un film,
suffit à augmenter les ventes de popcorn alors même que les
spectateur·ice·s n'étaient pas conscient·e·s d'avoir perçu cette image? Que
les Inuit·e·s ont une centaine de mots différents pour désigner la
neige? Que des jumeaux·elles monozygotes (les "vrais" jumeaux·elles) élevé·e·s
séparément ont un QI très semblable, ou encore qu'il arrive que
des jumeaux·elles qui ne se sont jamais rencontré·e·s aient à l'âge adulte
des similitudes troublantes comme le nom de leurs enfants ou leurs
habitudes vestimentaires? Qu'un missionnaire anglican a dans les
années 20 adopté, dans son orphelinat de la campagne indienne, deux
enfants élevées par des loups?
Vous avez probablement déjà entendu l'une de ces
affirmations... elles sont pourtant toutes fausses, ou du moins à
nuancer considérablement. Ce livre prend le temps, au cours de 8
chapitres, de lister les éléments qui vont à l'encontre de ces
mythes, mais surtout d'en reprendre la genèse et d'expliquer comment
ils ont pu se diffuser, auprès du grand public mais aussi, souvent,
parmi les chercheur·se·s. La démarche permet de mieux comprendre
plusieurs mécanismes psychiques dans les domaines évoqués (rentrer
dans le détail implique d'expliquer les présupposés, de présenter
l'état actuel de la recherche), mais aussi la complexité de la
recherche scientifique du fait des nombreux biais à prendre en
compte, ou encore la puissance de l'envie de croire (parce que le·a
chercheur·se qui publie est prestigieux·se, parce que les résultats
proposés sont dans l'air du temps, ou alors parce que, quand même,
qui serait assez rabat-joie pour enquêter à charge contre un
chimpanzé qui parle?).
Le fait de comprendre comment les mythes ont pu se
diffuser est en effet parfois plus intéressant que le démenti des
mythes en soi. Savoir que le révérend Singh écrit dans son journal
que les "enfants-loup" Amala et Kamala ont des yeux qui "brillent
bizarrement d'un éclat bleuâtre dans l'obscurité", et qu'elles
utilisent ledit éclat pour éclairer des objets, suffit aujourd'hui
à écarter d'un ricanement l'ensemble de ses propos : s'arrêter
là serait pourtant négliger le fait que Zingg, anthropologue,
n'étant pas parvenu à rencontrer les fillettes, a trouvé
l'ensemble des informations cohérentes... parce qu'elles
correspondaient à ses propres connaissances sur les enfants-loups,
ce qui était en fait inévitable, puisque lesdites connaissances
provenaient de récits, qui eux-mêmes ont inspiré celui du révérend
Singh. De façon circulaire, le fait qu'un universitaire, après des
vérifications aussi minutieuses que possible, ait accordé du crédit
à l'histoire d'Amala et Kamala, a donné à l'histoire en question
une crédibilité sérieuse auprès du grand public.
Le lien fait
très laborieusement entre les images subliminales et l'inconscient
freudien, des mécanismes pourtant bien distincts, sert plus à
expliquer que la supercherie sur la vente de pop-corn a eu lieu à une époque où il était
déjà culturellement admis qu'une idée pouvait traverser l'esprit à
l'insu de la personne concernée qu'à expliquer comment un message
subliminal pourrait fonctionner. C'est pourtant important de rappeler
que le message subliminal est quelque chose de très spécifique, car
1) on peut en effet percevoir un stimulus sans en être conscient 2)
toute publicité contient une grande quantité de messages
implicites. Le message subliminal qui a fait tant de bruit, et qui
aurait permis à son auteur (James Vicary) de mesurer une
augmentation des ventes de popcorn et de coca, était lui un message
très explicite, qui était, la science a permis de le mesurer
correctement plus tard, beaucoup trop long pour être perçu,
serait-ce inconsciemment, par les spectateurs avec une diffusion si
courte (une diffusion tellement courte -1/3000ème de seconde –
qu'elle était par ailleurs technologiquement impossible à l'époque, un détail...).
L'impossibilité matérielle est aussi ce qui a
attiré l'attention sur les expériences de Cyril Burt concernant l'intelligence des jumeaux·elles... mais ses confrère·sœur·s ne se sont
demandé·e·s, à juste titre, comment il avait pu disposer d'autant de
jumeaux·elles séparé·e·s à la naissance pour faire ses mesures que quand
quelqu'un a constaté que la similarité entre ses différentes
statistiques étaient suspectes (les auteurs en profitent pour
préciser que, si un arsenal de données intimide le non initié et
augmente à ses yeux la crédibilité, les chiffres peuvent vite
être considérés comme suspects par ceux et celles qui s'y connaissent
effectivement en statistiques). C'est aussi pour des raisons
pratiques que les chercheur·se·s ont de bonnes raisons de ne pas être
trop pointilleux·ses sur la crédibilité des récits des jumeaux·elles qui ont été séparés
jeunes : c'est rare d'en rencontrer, même en mobilisant beaucoup de moyens, mieux vaut donc tout faire pour s'assurer leur
coopération.
Le livre contient même le cas d'un mythe qui a
consisté à... démonter un mythe. Herbert Terrace, après avoir
enseigné le langage des signes à un chimpanzé en utilisant un
protocole élaboré basé sur la méthode behaviouriste, constate en
regardant de plus près ses propres vidéos que le singe n'a pas
appris tant que ça : il imite les gestes des entraîneur·se·s
plutôt qu'il ne s'exprime spontanément, il utilise d'autres indices
que les stricts indices verbaux (encouragements, …), et les
expérimentateur·ice·s sont un peu trop prompt·e·s à interpréter dans leur
sens les gestes ambigus. Terrace a l'honnêteté de faire part de
ses erreurs mais, que ce soit dans son livre destiné au public ou
dans des publications scientifiques... il ne le précise qu'à la
fin. Et, surtout, il va s'empresser d'appliquer la même critique au
travail des psychologues Allen et Beatrix Gardner, en oubliant de se
demander si le fait qu'iels aient réussi, de leur côté, à apprendre des mots à un chimpanzé ne vient pas du fait qu'iels
aient eu une méthode différente plutôt que du fait qu'iels aient
commis les mêmes erreurs. Le fait que les Gardner aient forcément
manqué de rigueur expérimentale est donc... un mythe (ce qui
n'empêche pas en soi de s'interroger sur leur travail, mais les
critiques de Terrace sont moins définitives que l'impression
qu'elles peuvent donner).
Là où on pourrait s'attendre à un simple travail
de contre-enquête, ce qui serait déjà intéressant en soi, le
livre éclaire sur la diffusion de l'information scientifique, ou
encore la difficulté de faire de la recherche, sans compter les
informations intéressantes sur la psychologie en général (mémoire,
perception, …). Même les passages techniques sont plutôt clairs,
il n'y a pas besoin d'avoir de connaissances particulières pour en
profiter pleinement.
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