Si je
vous dis que des chercheur·se·s ont constaté qu'exposés à des jouets
pour garçons et pour filles, les singes mâles ont montré une
préférence pour les jouets pour garçons, et les singes femelles pour les jouets pour filles, et que vous me faites confiance (ce qui
n'est en soi pas nécessairement une bonne idée puisque sur ce blog
je présente des contenus que je viens de lire, donc mon niveau
d'expertise est très relatif, mais c'est un autre sujet), vous allez
probablement vous imaginer des singes mâle se ruant sur des jouets
pour garçons, et des singes femelle se ruant sur les jouets pour
filles. Si j'ajoute que "Chaque année, au moment de Noël, la
section féministe de l'association Mix-Cité fait des descentes dans
les grands magasins pour mettre en garde les parents sur la nature
sexuée des jouets. Voyez-vous, acheter des poupées pour sa fille et
des soldats pour son fils les inscrit à tout jamais dans un genre
socialement déterminé. En décembre prochain, Mix-Cité devra aussi
manifester dans les zoos", cela augmentera vos chances de
penser que décidément, entre ça, la suppression du terme
"Mademoiselle" et l'écriture inclusive, certains personnes ont du
temps à perdre. Si j'avais fait une présentation de l'étude plus
longue précisant que si mâles et femelles ont passé un peu plus de
temps avec les jouets indiqués, aucun jouet n'a été complètement
délaissé par l'un des deux sexes, que le jouet le plus investi a
été la peluche (rangé dans les jouets neutres), que l'effectif était faible (ce qui augmente les chances d'obtenir des effets statistiques marqués) et que des singes ont été éliminés des résultats pour des motifs non renseignés donc suspects, et que parmi les
six jouets proposés, la casserole figurait dans les jeux féminins
et la balle dans les jeux masculins, choix loin d'être incontestable
(comme pour la peluche évoquée à l'instant), l'image aurait été
considérablement nuancée, et la conclusion sur l'opposition aux
jouets genrés encore moins évidente. Le fait que des années plus
tard, une seule étude semblable a été publiée (ce qui peut
suggérer que les autres tentatives de réplication ont échoué),
avec une race de singes différente et même une classification des
jouets différente (la peluche n'est plus un jouet neutre mais
féminin), et a obtenu des résultats d'une amplitude peu
déterminante, peut également faire tiquer.
Pour cet exemple et bien
d'autres de résultats de recherche peu fiables mais très
médiatisés, l'autrice, sur ce blog explicitement militant,
reprend dans le détail les recherches originelles, présente l'état de la science
et l'historique de la médiatisation. L'écrasante majorité concerne
les stéréotype de genre (ce dont je n'irais pas me plaindre) mais
d'autres sujets sont également traités. Si les médias généralistes
vont souvent un peu vite pour faire état de la recherche
scientifique, beaucoup de choses peuvent se passer entre la
présentation d'une étude par les chercheur·se·s, la communication sur
cette étude par l'institution, le communiqué de presse officiel, et
la reprise par des journalistes plus ou moins spécialisé·e·s, avec
parfois une déformation suspecte qui laisse supposer une volonté de
propagande idéologique (surtout quand c'est récurrent, comme pour
de nombreux vulgarisateur·ice·s/chercheur·se·s nommé·e·s sur le blog). J'ai
moi-même bénéficié directement du contenu de ce blog, en
particulier en apprenant que le travail de Sebastien Bohler (auquel, en tant qu'abonné à Arrêts sur Images où il avait une
chronique et à Cerveau&Psycho dont il est un contributeur
important, j'étais souvent exposé) était bien moins rigoureux
qu'il ne semblait l'être, ou que Boris Cyrulnik avait tendance à
préférer un bon récit à un récit rigoureux (encore que le
principal artisan, pour moi, de la décrédibilisation de Boris
Cyrulnik a été Boris Cyrulnik lui-même, avec entre autres
l'inoubliable affirmation non sourcée que pendant les guerres il n'y avait pas d'insomnies, ou encore sa simplification surréaliste sur la montée de l'idéologie nazie en Allemagne).
Le travail est
extrêmement détaillé et rigoureux, et la lecture des posts du blog
(dont certains dépassent les 40 pages sur Word!) demandent souvent
concentration et connaissances (les bases du sujet évoqués sont
rappelées, mais ça ne devient pas simple pour autant de comprendre
les fondamentaux de la génétique, des connectomes, de l'état de la
science sur la schizophrénie ou de la maladie d'Alzheimer, …),
même si des sarcasmes de haut niveau se glissent parfois entre deux
explications très techniques : lecture des publications sur le
thème évoqué (réplications, résultats, fiabilité des supports
de publication, ...), détail et argumentation des failles de la
procédure expérimentale, reprise des calculs, éventuellement
contact avec les chercheur·se·s pour plus de précisions... le travail de
fond est considérable (ce qui n'empêche pas les détracteur·ice·s du
blog de très rarement argumenter sur ledit fond). L'autrice est
également très présente (et souvent très patiente!) dans les
commentaires (et pas seulement : il lui arrive de surgir dans
une conversation sur le net -en commentaires d'un autre site par
exemple- pour contre-argumenter quand son travail est critiqué).
Hélas, le fait qu'une telle rigueur soit nécessaire est, par
certains aspects, un peu désespérant. En ce qui me concerne par
exemple, je ne cache pas que je n'ai pas tout à fait, entre le temps
que ça demande, mon niveau affligeant de connaissances en stats, et
le fait que, n'étant plus à la fac, il me faudrait payer pour avoir
accès à la plupart des articles, tendance à faire ce travail à
chaque fois qu'une étude est citée (j'en suis plutôt au stade où
je me sens super rigoureux les fois où je prends l'initiative de
regarder le résumé de l'étude en question). Pire, en dehors des
livres de vulgarisation (dont certains en prennent pour leur grade),
il me semble qu'il n'y a pas beaucoup d'options pour continuer à me
former en dehors des revues directement scientifiques que
Cerveau&Psycho (évoquée plus haut) ou Sciences Psy, dirigée
par... Boris Cyrulnik. Reste l'option de médiatiser le blog qui, en
plus de donner de précieux éléments de méthodologie, a pour
objectif explicite de décrédibiliser certain·e·s expert·e·s (Sebastien
Bohler, Peggy Sastre, …) qui ont beaucoup de visibilité médiatique
pour que leur parole soit moins relayée.
Le lien :
http://allodoxia.blog.lemonde.fr
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