Le thérapeute Garry
Prouty, spécialisé dans l’Approche Centrée sur la Personne,
exerce dans un atelier d’entraînement au travail pratique qui propose un accompagnement à des personnes souffrant de retard mental
ou de maladie mentale. Son superviseur, surpris de ses résultats,
lui demande comment il s’y prend. Tout universitaire brillant qu’il
soit, Garry Prouty est bien incapable de théoriser ce qu’il fait
("j’étais persuadé de ne rien faire d’autre que de la
psychothérapie classique centrée sur la personne et
expérientielle"), au point de provoquer la colère dudit
superviseur, qui ne comprend pas que Prouty ne comprenne pas ses
questions ("Rogers et lui-même n’obtenaient visiblement pas les
mêmes résultats"). Comme pour l’Approche Centrée sur la
Personne, la pré-thérapie est en effet presque simpliste à
expliquer et à appliquer malgré sa puissance et sa richesse, mais
comme l’Approche Centrée sur la Personne, elle peut cependant être
théorisée, testée et développée, et c’est ce dont il va être
question dans ce livre. La présentation de la pré-thérapie par
Garry Prouty, dans la première partie du livre, peut se suffire à
elle-même, mais il serait bien dommage de se passer de l’expérience,
dans l’application concrète, des auteur·ice·s de la 2ème et de la 3ème
partie.
L’Approche Centrée
sur la Personne repose avant tout sur l’engagement dans le contact
entre thérapeute et patient·e : bien plus que de sélectionner la
bonne relance, c’est la qualité de l’écoute empathique qui
permettra le mouvement thérapeutique. Hélas, comme je l’ai
moi-même expérimenté à plusieurs reprises lors d’un stage en
Ehpad, ce contact est bien plus difficile à obtenir et à maintenir
avec une personne délirante, ou dont les capacités cognitives ne
permettent pas de tenir une conversation. La pré-thérapie permet de
passer à ce niveau supérieur de l’Approche Centrée sur la
Personne, et les mots de Rogers à Garry Prouty, "Vous avez tué le
Bouddha", semble justifiés tant une limite forte de cette méthode
se trouve surmontée (c'est une expression bizarre mais elle a du sens pour Rogers, qui avait tendance à être agacé par les personnes qui le considéraient comme une entité indépassable).
Cinq techniques sont
identifiées pour approcher une personne à l’aide de la
pré-thérapie : les réflexions situationnelles ("le
thérapeute considère la situation présente ainsi que
l’environnement du client, puis reflète son comportement par
rapport à cela", par exemple "Paul touche la table", "vous
regardez la pluie par la fenêtre", …), les réflexions
faciales ("le thérapeute considère le visage du client et perçoit
quels sont les affects qui s’y ébauchent"), les réflexions
corporelles (refléter l’attitude corporelle du ou de la client·e soit par la
parole, soit corporellement), les réflexions mot à mot ("le
thérapeute écoute attentivement et répète les mots
reconnaissables, même s’il n’en saisit pas toujours le sens. Il
s’agit de reconnaître que le client veut faire part de quelque
chose") et les réflexions réitératives ("lorsqu’une réflexion
a créé du contact, il faut la répéter. Il faut distinguer entre
la réitération immédiate et la réitération à plus long terme").
Ces techniques permettent une entrée progressive en contact (contact
entre client·e et thérapeute, mais surtout dans un premier temps
reprise de contact du ou de la client·e avec la réalité qui l’entoure),
sachant que le·a thérapeute devra souvent aussi assurer sa présence
par… une grande patience. Les premières réactions ne sont pas
toujours perceptibles ("un léger recul du corps, une expression du
visage", "des sons à peine audibles ou de légers mouvements
oculaires", …) et le·a thérapeute peut avoir la sensation
d’agir dans le vide. Une vignette clinique rend par exemple compte
d’une interaction qui a duré… douze heures. La patience de
l’intervenante a toutefois été récompensée : un client,
dont le traitement médicamenteux avait été arrêté, dans un état
de catatonie sévère, a fini par lui parler, certes peu clairement
au départ, d’affects douloureux ("ma tête me fait mal quand mon
père parle", "mes frères ne peuvent pas me pardonner"), puis "a
fait le tour de la ferme avec elle et lui a parlé des différents
animaux sur un ton tout à fait normal". Une thérapie plus
classique a pu être entamée par la suite. Si cette vignette
clinique est particulièrement impressionnante, beaucoup d’autre
décrivent un processus semblable : un comportement, des
remarques décousues, finissent par laisser la place à un discours
intelligible. Dans un autre cas, la source (un souvenir de
maltraitance) d’une hallucination particulièrement effrayante
finit par être identifiée. En allant moins loin, la pré-thérapie,
en permettant un retour à la réalité, peut aussi plus simplement donner lieu à un apaisement, pour mettre à distance par exemple une
hallucination, revenir d’un épisode psychotique ou apaiser une agitation qui promet potentiellement mille complications en collectivité. Il reste
important de respecter la distance souhaitée par le·a client·e :
s’iel manifeste la volonté d’arrêter, ça peut être pour éviter
de se confronter à un affect trop intense (et, dans plusieurs
vignettes cliniques, le·a thérapeute prend soin de demander préalablement au ou à la client·e
s’iel accepte sa présence).
Si j’ai bien insisté
au début sur le fait que la technique elle-même était presque
simpliste, ce n’est pas tout à fait vrai : comme la deuxième
partie, sur l’application dans un service psychiatrique, le montre,
il n’est pas toujours évident, au jour le jour, de savoir comment
s’exprimer, selon les capacités de l’interlocuteur·ice (si les
pronoms personnels "tu" ou "vous" "peuvent, le cas échéant,
sembler trop intimes pour le client car il vit les relations comme
une menace", je pense que je vais m’abstenir, pour des raisons de
prudence, de parler aux autres à la troisième personne dans le
cadre des groupes de rencontre). "Pour décider s’il faut
recourir aux réflexions de contact ou non, il faut constamment
évaluer à quel niveau évolue le client". Si les auteur·ice·s ne
dissimulent pas les réticences de l’institution, que ce soit les
supérieur·e·s hiérarchiques sur le sujet critique du déblocage de
budget et de temps, ou les soignant·e·s perplexes à l’idée
d’appliquer une méthode en apparence trop passive par rapport à leurs
habitudes, les avantages rapportés sont multiples : apaisement
plus facile de situations de crise, qui permet un bien moindre
recours, et c’est un sujet critique, à la contention, moindre
besoin de médicaments, contacts moins impersonnels avec les
patient·e·s, ce qui est appréciable même avec les patient·e·s qui étaient
agréable parce que très calmes ("je m’occupais bien sûr de
Michael, mais je ne savais pas vraiment qui était Michael ni ce qui
se passait en lui", "on néglige les patients si on les laisse à
leur état psychotique sans les aider").
En plus de ces
avantages pratiques, la pré-thérapie, tout en gardant les mêmes
exigences de présence et d’écoute empathique ("je réponds
présent", avait d’abord répondu Garry Prouty quand son
superviseur lui demandait d’où venaient ses résultats) que
l’Approche Centrée sur la Personne, lui offre une toute nouvelle
dimension en permettant non seulement un apaisement, mais une entrée
en contact avec des personnes qui semblaient difficilement
accessibles (la lecture m’a par exemple fait remonter de nombreux
souvenir de frustration de mon pourtant court stage en Ehpad). C’est
pour moi une étape essentielle de l’Approche Centrée sur la
Personne, voire même de la psychothérapie en général.
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