Après Vivre le deuil au jour le jour, dans ce livre plein de douceur adressé avant tout aux personnes concernées, Christophe Fauré s'attarde sur les spécificités du deuil d'une personne suicidée.
Comme pour le deuil d'un proche en général, l'auteur insiste sur l'importance de faire face au processus de deuil, même si cela peut être douloureux, et qu'il peut sembler aberrant de rajouter de la douleur à une douleur déjà insoutenable. Il fait l'analogie avec une main gravement brûlée : c'est possible de serrer les dents en attendant que ça passe, plutôt que prendre la peine d'aller à des rendez-vous médicaux, de subir régulièrement l'arrachage des peaux mortes, mais, si même en prenant soin de la brûlure il restera une cicatrice, si la main, quoi qu'on fasse, ne sera jamais comme avant, le résultat à long terme permettra de limiter considérablement les séquelles négatives, de mieux vivre avec cette nouvelle main. Suivre le processus de deuil, accepter finalement le décès après tant de tourments, ce n'est pas abandonner la personne décédée, mais au contraire mieux garder son souvenir auprès de soi. Certaines étapes sont très semblables à celles des autres deuils, même si elles sont potentiellement plus longues et intenses : dans un premier temps l'anesthésie émotionnelle qui permet de tenir, voire d'être particulièrement efficace pour les démarches administratives, plus ou moins lourdes selon les circonstances, qui s'imposent, la phase de recherche où l'on cherche à se rapprocher de la personne décédée, par exemple en restant de longs moments dans son ancienne chambre ou en gardant ses affaires auprès de soi, phase dont la longueur peut inquiéter l'entourage alors qu'elle fait partie du processus de deuil normal, et seulement ensuite la phase de déstructuration, la plus douloureuse, où l'humeur varie brusquement, de façon cyclique, alors que le décès prend progressivement toute sa réalité.
Le deuil après un suicide a toutefois certaines spécificités... dont le risque de développer un Stress Post-Traumatique, en particulier pour la personne qui a découvert le corps, qui sera à gérer en même temps que le deuil. La spécificité la plus évidente est probablement la culpabilité : la recherche de la cause du suicide est souvent obsessionnelle, parfois pendant une longue période. Le mot d'adieu, lorsqu'il y en a un, est généralement surinvesti, tous les signaux des derniers jours, les signaux de souffrance en général, sont réexaminés a posteriori. Qu'est-ce que j'ai fait? Qu'est-ce que j'aurais du faire? Pourquoi je ne l'ai pas sauvé·e? Est-ce que c'est de ma faute? Moment d'autant plus difficile que, parfois, le mot d'adieu est explicitement accusateur. Sur la responsabilité effective, Christophe Fauré est clair : par définition, chacun·e a une influence sur ses proches, mais le geste final appartient profondément à la personne décédée et à elle seule, "vous n'êtes responsable du suicide d'aucun être humain". Et, si dans certains cas le suicide ne surprend pas, au point de causer le soulagement de ne plus avoir à l'appréhender, dans d'autre cas il est particulièrement imprévisible : une personne dépressive va enfin mieux, et se suicide à ce moment là parce qu'avant elle n'avait pas la force de le faire, ou encore une personne désespérée semble avoir retrouvé le bonheur depuis quelques jours... mais c'est précisément parce qu'elle a trouvé cette issue, tragique, à ses souffrances. La culpabilité peut toutefois faire partie intégrante du processus de deuil : culpabiliser, c'est aussi atténuer sa propre impuissance sur l'événement, ou encore le sentiment de faute à expier peut réellement faire partie de la relation avec la personne disparue. L'auteur n'invite donc pas à fuir la culpabilité, mais à l'écouter avant de la vivre, à rechercher à quoi elle correspond profondément : "payez en connaissance de cause, payez en étant le plus lucide sur les raisons qui vous poussent à agir ainsi et sur ce que vous cherchez à obtenir".
La colère, difficile à accepter quel que soit le deuil (en vouloir à la personne qu'on regrette? alors qu'on est encore là et elle non?), prend une dimension particulière dans le cas du suicide, quand la personne qui est morte et celle qui l'a tuée sont la même personne : les accès d'humeur, les insomnies, maux de tête, l'agitation fébrile, l'impression d'hostilité de l'environnement, n'y sont donc pas toujours associés, même quand c'est bien la colère qui les a causés. C'est pourtant important, pour le deuil, de l'accepter et de l'écouter si elle survient : "colère et amour ne sont pas incompatible". La colère peut aussi se glisser, du plus explosif (règlement de comptes au moment de l'enterrement) au plus insidieux (rancœur non exprimée pendant des années de vie de couple), dans la relation entre personnes endeuillées. Dans ce cas, pour Christophe Fauré, le silence est néfaste, mais il est important de prendre soin de s'exprimer dans de bonnes conditions. Enfin, le regard, l'attitude des personnes non endeuillées, peut créer de la douleur supplémentaire : le suicide a été pendant des siècles un tabou social, qui privait de sépulture la personne suicidée et frappait d'infamie sa famille. Si l'on en est plus là, du moins, généralement, pas dans les mêmes dimensions, le fait d'être un proche de personne suicidée peut provoquer chez l'autre de la gène (quand ce n'est pas un évitement bien assumé et volontaire), ou encore... une absence de gène très malvenue dans un moment si douloureux ("le suicide semble autoriser autrui à poser des questions ou à faire des commentaires qu'il ne se permettrait pas dans d'autres circonstances"). S'il faut rester vigilant à ne pas s'emprisonner dans ses propres mensonges (par omission ou non), l'auteur insiste sur le fait que c'est à la personne endeuillée et elle seule de décider quelles informations elle dévoile, et à quel moment.
Christophe Fauré prend parfois le temps de s'attarder spécifiquement sur le deuil des enfants et adolescent·e.·s, tout en constatant que le sujet est peu documenté. Les points de vigilance principaux sont, tout en prenant soin de dire la vérité, de respecter leur rythme de compréhension (il se peut qu'il y ait besoin de répéter de nombreuses fois une information qui semble claire), de ne pas négliger les émotions qu'iels peuvent eux ou elles-même traverser sans nécessairement les exprimer clairement, ou encore, lorsqu'iels ont perdu un frère ou une sœur, ne pas les enfermer dans la comparaison avec un enfant disparu idéalisé.
Plus que dans Vivre le deuil au jour le jour, l'auteur s'est appuyé sur les témoignages de personnes concernées, pour que les lecteur·ice·s qui traversent ce processus si douloureux et parfois incompréhensible puissent se sentir pleinement légitimes, entendu·e·s, même si le cheminement reste profondément individuel, qu'aucune règle n'est vraiment valable ("vous êtes votre seule et unique référence", "mon objectif est de susciter en vous une réflexion de fond sur votre ressenti et sur les enjeux de votre deuil, pour que vous trouviez votre propre réponse"). Il encourage par ailleurs fortement à se rapprocher, à travers des groupes de paroles ou des associations, de personnes ayant vécu la même tragédie. Enfin, sans atténuer la dureté de la réalité, il rassure sur le fait qu'une issue est possible, que le tourbillon de douleur a une fin même si la peine ne disparaît jamais complètement, et que certaines personnes, à terme, s'en trouvent même grandies ("Je ne compte plus, par exemple, le nombre de fois où des personnes interrogées pour cette ouvrage m'ont fait part de modifications fondamentales de leurs valeurs et de leurs priorités dans l'existence").
Le livre cumule les avantages d'être court, facile à lire, et riche en informations articulées avec des témoignages, tout en relativisant les informations données en rappelant que chaque parcours est unique, donc invitant le·a lecteur·ice à s'emparer uniquement des informations qu'iel jugera pertinentes.
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