mercredi 6 mai 2020

Attachment disturbances in adults. Treatment for comprehensive repair, dirigé par Daniel Brown et David Eliott



 Si l'attachement est considéré depuis un moment, de façon relativement unanime, comme un pilier fondamental du psychisme, les thérapies directement centrées dessus restent rares. Dans le cadre en particulier d'expertises judiciaires, Daniel Brown a pourtant constaté que le rétablissement d'un attachement sécure avait des enjeux peut-être encore sous-estimés : une expertise en particulier, concernant des violences sexuelles commises dans un orphelinat, lui a permis d'observer que les victimes qui ont, adulte, développé les symptômes les plus graves (traumatisme dissociatif en particulier), étaient celles qui avaient un attachement insécure. Selon lui, les violences graves endurées ne sont donc pas la cause directe de telles séquelles (ce qui ne revient certainement pas à dire qu'elles n'ont pas causé de troubles psychopathologiques pour l'ensemble des victimes!), mais ont causé l'aggravation d'un attachement insécure, ce qui expliquerait l'échec, pour certain·e·s patient·e·s, de thérapies classiques. Il propose donc, avec les co-auteur·ice·s, une thérapie articulée sur trois piliers pour permettre, à terme, un attachement plus sécure. Le protocole a été évalué par une étude pilote (3,4 ans de durée moyenne de traitement) sur 12 patient·e·s, donc les résultats sont rapportés dans le livre et jugés satisfaisants. Le fait que Kathy Steele et Onno van der Hart fassent l'éloge du livre sur le 4ème de couverture met aussi plutôt en confiance pour ce qui est de l'efficacité plausible pour le traitement du traumatisme dissociatif.

 Le premier des piliers est le protocole de l'image du parent idéal (Ideal Parent Figure, ou IPF). Les pratiquant·e·s de l'hypnose seront probablement en terrain familier, puisque non seulement il s'agit d'un travail de représentation intérieure, mais dans l'accompagnement le·a thérapeute accentue les mots importants et positifs, et il est précédé d'une forme d'induction ("Prends quelques instants pour t'installer confortablement dans le fauteuil, tu peux bouger ou ajuster ta position de façon à augmenter ta sensation de confort. Voilà, ce qu'il faut pour que tu te sentes plus à l'aise, plus détendu, plus reposé·e. Et alors que tu portes encore un peu plus ton attention cette perception de ton corps, tu remarques que tu n'as aucun effort à faire du tout pour que le fauteuil te porte.  Tu peux laisser le fauteuil faire tout le travail", ...). Le travail consiste à se représenter, dans cet état de détente proche, donc, de l'hypnose, des parents idéaux du point de vue de l'attachement, c'est à dire aimants, sécurisants, confiants, patients, ... La représentation est affinée dans un dialogue avec le·a thérapeute, qui accentue les éléments importants, et oriente les représentations vers les failles identifiées pendant l'anamnèse, en particulier avec la passation de l'AAI (Adult Attachment Interview), outil très très (très) fortement recommandé au ou à la thérapeute (en plus de savoir quelles failles combler, l'outil permet de décider précisément du protocole thérapeutique en identifiant le type d'attachement du ou de la patient·e -évitant, ambivalent, ou désorganisé- et d'évaluer l'avancement de la thérapie). Les difficultés les plus fréquemment rencontrées, et la conduite à suivre, sont détaillées, et les vignettes cliniques sont nombreuses. Les auteur·ice·s sont aussi clair·e·s sur un point : pour cet exercice, il ne faut pas avoir peur de la répétition. J'ai été personnellement très enthousiaste à la découverte de l'IPF, qui tout en étant novateur semble parfaitement évident, et je suis assez curieux de le voir se développer, de voir l'étendue de ses applications possibles, et ses limites. Je recommande fortement aux personnes curieuses de lire ne serait-ce que ce chapitre. L'appendice A propose des méthodes similaires adaptées à l'estime de soi, au développement du self ou d'une attitude proactive.

 Le second pilier est le développement de compétences de métacognition : ce drôle de mot désigne la conscience de ses propres mécanismes de pensée, et ici, pour aller très vite, la capacité à faire la distinction la plus fine possible entre ses perceptions immédiates et la réalité. Un exemple particulièrement parlant de ce que peut provoquer un manque de métacognition extrême est donné dans Un voyage à travers la folie, quand Mary Barnes, voyant Joseph (son psychiatre) saler son assiette, pense qu'il le fait pour la punir : elle n'a alors pas les ressources cognitives pour, par exemple, 1°) se différencier de Joseph (il sale sa propre assiette, pas celle de Mary, et quand il va manger le contenu de ladite assiette, Mary ne le mangera pas pour autant), 2°) différencier ses propres préférences de celles de Joseph (il sale son assiette parce qu'il en a envie parce que lui aime la nourriture plus salée, et non par masochisme), 3°) prendre conscience que ce qu'elle perçoit n'a pas nécessairement de lien direct avec elle (Joseph sale son assiette pour son propre bénéfice, le geste n'est pas effectué à l'intention de Mary), 4°) distinguer son ressenti ("je mérite d'être punie") de l'intention de l'autre et plus généralement de l'environnement. D'autres exemples, plus particulièrement liés au traumatisme dissociatif, sont donnés par exemple dans Le Soi Hanté (difficultés à évaluer une situation de sécurité ou d'insécurité, à intégrer profondément que l'auteur·ice des violences n'est pas là et ne peut pas être là ici et maintenant, ...). Des exemples concrets de mécanismes cognitifs, et de façons d'aider à les développer, sont donnés dans ce chapitre.

 Le troisième pilier concerne l'aspect collaboratif de la relation thérapeutique. En plus de prendre le temps d'élaborer de façon détaillée le cadre et les attentes, ce pilier vise aussi, ce qui a un lien plus direct avec l'attachement, à être attentif aux failles dans la communication verbale et non verbale. Un attachement sécure se construit en effet en grande partie sur la prévisibilité du comportement de la figure d'attachement, sa réponse adaptée à tel ou tel signal (de faim, de peur, de besoin de contact, ...). Développer la capacité à s'exprimer d'une façon qui a plus de chances de provoquer la réaction attendue est donc un élément important pour constituer des relations de qualité. Pour ce pilier, le·a thérapeute sera attentif·ve à la cohérence entre langage verbal et non verbal, et demandera avec bienveillance mais de façon répétée s'il le faut une clarification lorsque le langage verbal ne sera pas compréhensible, en expliquant son intention, et éventuellement ce qu'iel ressent et perçoit.

 Un protocole détaillé sera proposé pour l'utilisation de ces trois piliers selon que le·a patient·e a un type d'attachement évitant, ambivalent ou désorganisé (protocole détaillé ou non, la flexibilité du ou de la thérapeute, la capacité de prendre en compte l'état du ou de la patient·e restent fondamentales), ainsi que des éléments pour évaluer le succès de la thérapie. Une vignette clinique particulièrement longue concernant une patiente souffrant de traumatisme dissociatif est donnée, qui illustre les difficultés qui peuvent être rencontrées et l'empathie nécessaire, l'importance de respecter le rythme du ou de la patiente tout en gardant une confiance ferme dans l'efficacité, à terme, des propositions thérapeutiques. Le livre n'est pas (encore? il date de 2016) traduit en français, mais l'approche est novatrice (tout en s'appuyant pour l'essentiel sur des méthodes et théories ultraclassiques) et convaincante, et j'invite les professionnel·le.s et étudiant·e·s à ne surtout pas se laisser décourager par le volume du livre (650 pages) ou encore par la première partie qui est un peu indigeste si on n'est pas formé·e à l'AAI.

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