jeudi 16 mai 2024

Et maintenant, la page Facebook

 Ça faisait un moment que j'hésitais à ouvrir une page Facebook correspondant à mon cabinet de thérapeute. J'avais bien quelques idées de contenu, mais elles étaient floues, et puis l'idée si j'ouvre une page c'est de publier régulièrement, et est-ce que mon avis est si intéressant que ça... Une valse-hésitation, donc, depuis quelques mois, entre l'envie, la flemme et l'appréhension (oui, poster du contenu public, ce n'est pas neutre, a fortiori sur un compte pro) quand le sujet me venait à l'esprit. Mais malgré la flemme et l'appréhension qui ont des voix qui portent pas mal quand même, l'envie ne disparaissait jamais tout à fait.

 Une dégringolade du nombre de client·e·s alors que l'activité se développait déjà lentement (c'est à dire à un rythme normal, mais je ne suis pas patient) m'a poussé à accélérer sur pas mal de pistes, pour des raisons d'envie de ne pas dormir dehors et de continuer de manger (enfin, je dramatise un peu, concrètement c'est surtout une envie de ne pas redevenir chargé d'assistance auto) (chargé d'assistance auto c'est bien, hein, mais disons qu'au bout de 16 ans ma passion s'est un peu érodée). Je vous rassure, je ne suis pas encore allé jusqu'au lâcher de cartes de visites en hélicoptère, ni jusqu'à la traversée de Lyon en costume de pikachu en tenant un panneau avec mes coordonnées. La flemme et l'appréhension ont donc été invitées avec plus où moins de succès (surtout pour l'appréhension) à aller voir ailleurs si j'y suis, et la page Facebook est ouverte.

 Le contenu va être un peu différent du blog même si l'idée est aussi de partager ma vision de la thérapie et mes questionnements, avec authenticité mais peut-être un peu plus de diplomatie. J'ai déjà quelques idées, j'espère en avoir d'autres, et si vous avez des envies particulières je prends les suggestions avec plaisir. L'une de mes motivations est qu'un réseau social est plus interactif qu'un blog, donc n'hésitez pas à visiter, liker-commenter-partager, et tout ce qu'on fait sur les réseaux sociaux.

 La page Facebook si vous souhaitez aller y faire un tour : https://www.facebook.com/profile.php?id=61559172222596 (bien sûr que oui, vous souhaitez y faire un tour!)

 Et un lien vers mon site, vous aurez compris qu'il me reste une place ou deux 😬 : https://www.gt-therapeuteacp-lyon.fr/

jeudi 9 mai 2024

Tact-Pulsion, de Régine Prat


 Ce livre fait, par bien des aspects, très fortement écho au livre précédent de la même autrice, mais est bien plus ambitieux car il propose, en invitant à en débattre, une nouvelle compréhension de la constitution du psychisme et de la relation thérapeutique, rien que ça!

 Les échos à Maman-Bébé, Duo ou duel ne résident pas seulement dans le fait que le développement du bébé (et les hommages à Esther Bick à peu près toutes les trois pages) occupera une place importante du développement, mais aussi dans le fort intérêt pluridisciplinaire (transdisciplinaire, dira Bernard Golse dans la postface) porté aux développements scientifiques et aux aspérités de la pratique clinique. La formule "il n'y a rien de plus pratique qu'une bonne théorie" est selon moi un bon baromètre de la qualité de la théorie, et pour Régine Prat il semble qu'une bonne théorie ne peut qu'émerger de la pratique, et même des pratiques puisqu'elle juge indispensable de se nourrir des autres disciplines scientifiques, jusqu'à, sans méchanceté (c'est presque pire), comparer les psychanalystes qui ne veulent rien savoir hors des frontières de la psychanalyse aux théoriciens de la Terre plate.

 Il serait injuste de dire que la psychanalyse n'a pas évolué depuis Freud, mais il serait aussi illusoire d'oublier que, dans de nombreux domaines sur lesquels les réflexions de Freud s'appuyaient, les connaissances ont explosé. Les premiers chapitres seront consacrés aux apports de la recherche entre autres en psychologie du développement ou en neurologie (malheureusement, les références des recherches évoquées ne sont pas toutes fournies, loin de là) sur le développement sensoriel et cognitif du bébé, et ce dès la vie intra-utérine, en s'intéressant en particulier aux capacités à interagir. Un extrait, qui aurait parfaitement pu figurer dans le premier livre de Régine Prat, clarifie particulièrement l'enjeu clinique : "le premier soin psychique est le soin du corps. Prendre soin de l'autre, c'est toucher son corps avec respect, prévisibilité, sans effraction, le contenir sans le contraindre ou le coincer, en lui permettant d'être actif par l'anticipation de ce qu'on va faire pour lui." Ça pourrait être tautologique mais c'est toujours utile à rappeler, la relation est une interaction. La théorie de l'attachement, à laquelle il est largement fait référence, le rappelle d'ailleurs, peut-être de façon implicite. Régine Prat resitue cette dimension interactionnelle, nommée Tact-Pulsion ou parfois par le concept voisin de tenu-lâché, au centre du développement affectif et cognitif : l'identité se détermine par l'effet qu'on peut observer avoir chez l'autre ou sur l'environnement ("toucher, établir le contact, se rapprocher, fonde l'essence même du psychisme").

 Si le terme peut donner cette impression, le toucher au sens strict n'est pas le seul sens impliqué dans le Tact-Pulsion (l'autrice précise qu'elle n'invite pas les psychanalystes à intégrer le contact physique dans leur clinique... du moins pas obligatoirement). Elle parle d'ailleurs d' "opéra de la rencontre", et la période du Covid qui a secoué la pratique assez brusquement nourrit de nombreuses vignettes cliniques. Ces vignettes cliniques, en plus d'illustrer que le concept a bien vocation à s'appliquer à la thérapie d'adultes (et ce même dans le dispositif désuet antique ultraclassique divan-fauteuil, que l'autrice a tenté de répliquer sur Skype), rendent concret et parlant cette attention portée sur la dimension interactionnelle, qu'on pourrait penser être là par définition ("on ne peut pas ne pas communiquer", rappellent les systémiciens) (cette citation aussi est dans le livre, quand je dis que l'approche est pluridisciplinaire...). Régine Prat raconte comment, une fois le regard porté sur ses propres malaises, ses propres difficultés à entrer en contact, de la somnolence vive et récurrente au trop grand confort de la patiente qui semble faire sa thérapie toute seule, elle a pu surmonter un obstacle antithérapeutique qui parfois n'était même pas identifié. Elle invite aussi à s'intéresser à ce qu'il se passe hors-cadre, dans une rencontre fortuite hors du cabinet où l'attitude à tenir n'est pas claire mais aussi dans les moments où on se salue, où chacun·e s'installe... Un exemple particulièrement parlant est donné où une cliente lui offre un livre sur les bateaux, tout en précisant qu'elle est au courant que ce type de cadeau ne se fait pas. L'autrice se voit donc mise en face d'une injonction à blesser sa patiente, en refusant un cadeau, ou à être prise en défaut sur sa capacité à garantir le cadre, ce qui n'est pas la moindre des remises en questions. Elle approche le fauteuil, puis l'éloigne, feuillette le livre avec la patiente, commente "on se sent tout petit" (le "on" réunit patiente et analyste)... ouf, il y a bien eu interaction, contact, plutôt que l'une des deux prises de distances qui semblaient à première vue être les seules alternatives. 

 Je suppose qu'il faudra du temps pour mesurer l'importance, l'influence, du concept de Tact-Pulsion (et j'imagine qu'il va surtout concerner la psychanalyse, donc c'est une évolution que je ne vais éventuellement suivre que de loin). On pourrait presque être cynique et dire qu'après tout, il n'y a rien là de bien nouveau. La théorie de l'attachement a depuis longtemps souligné l'importance des interactions mère-enfant et de leur synchronicité, l'analogie avec le rythme et la musicalité est loin d'être inédite, et des concepts tels que transfert et contre-transfert, alliance thérapeutique, nourrissent, ce n'est vraiment pas une nouveauté, des réflexions semblables. Pour autant, Régine Prat fournit un travail particulièrement complet et solide, souligne à quel point ça a apporté à sa propre pratique qu'on ne peut qu'imaginer exigeante, et surtout invite au débat, démarche qui paraît être en bonne voie puisqu'elle donne l'exemple par la multiplicité de ses inspirations, et que son livre a été évoqué plusieurs fois dans un colloque de psychanalyse auquel je suis allé récemment.

lundi 6 mai 2024

Moi en double, de Navie et Audrey Lainé

 


 Navie est en obésité morbide. C'est un fait, puisque c'est son IMC qui le dit, et "l'IMC n'a pas été inventé par les magazines féminins pour nous pourrir la tronche et nous faire entrer dans un bikini qui coûte un SMIC, mais par l'OMS pour évaluer les risques liés au surpoids". Certes elle n'a pas de problèmes de santé pour l'instant, elle sait cacher ses moments de mal-être ("pour l'image, j'étais une experte"), mais derrière le surpoids il y a une hyperphagie, qu'elle associe à une part dépressive. Au sens propre et au sens figuré, c'est comme si elle portait le poids d'une autre personne ("vous portez sur vos épaules le poids moyen d'une femme de votre âge" "Je peux dire à mon mec qu'on fait des plans à trois, alors?").

 Après une prise de conscience brutale (la peur de ne pas rattraper à temps son fils qui courait vers la piscine), elle décide de tuer ce double, en commençant par se mettre au sport de façon très active ("J'aimerais vous dire quelque chose de plus chic, mais la vérité c'est que c'est Chris Powell, le coach de "Extreme Weight Loss", qui m'a donné envie de faire du sport"). Le double, joyeux, tente constamment de mettre cette détermination en échec ("Viens, on mange là! Allez! J'ai faim, moi! Un bon GROS burger! Et des FRITES! OHLALA des frites! HAN! Et des nuggets! Avec une petite sauce curry...").

 Au delà des parcours de prise et de perte de poids tout au long de la vie ("Je me souviens du goût des shakers Weight Watchers, j'avais 12 ans. Avec ma mère, c'était notre repas du soir", "A 19 ans, a commencé la valse à mille temps des nutritionnistes. En 12 ans, j'ai tout vu, tout entendu, tout essayé pour en arriver à chaque fois à la prise de poids supplémentaire. Histoire banale de tous les obèses."), c'est surtout la grande complexité du vécu avec l'obésité que le livre évoque. La figure du double permet de l'articuler tout au long du récit, mais pour autant il y a infiniment plus que deux facettes. L'alternance entre la joie de vivre (pour de vrai, pour convaincre les autres... ou pour se convaincre soi) et une violente détresse qui peut brusquement prendre toute la place, la légèreté et le sérieux ("Vous avez jamais remarqué que quand on est obèse, si on met plus de 10cm d'eau dans le bain il déborde? Je suis tellement plus écolo que vous. Sauf pour l'huile de palme. Rapport au Nutella" "Vous avez jamais remarqué que quand on est obèse au milieu de la foule on voudrait disparaître sous terre et crever?"), la tension entre prendre soin de soi en mangeant comme on en a envie et prendre soin de soi en s'astreignant à une hygiène de vie ultra exigeante, entre cibler le comportement hyperphagique ou le mal-être qui pourrait en être la cause ("Comme j'ai peur de la police, j'ai choisi une addiction légale"), ... Complexité, en plus de celle, quasi constante, de son propre regard, du regard des autres : "Quand ça fait quinze ans que t'annonces que tu vas faire un régime, que tu perds 10kg en un mois et que tu reprends à chaque fois le double six mois plus tard tes proches, bien que bienveillants, ont toujours la même réaction : 1°) ils t'encouragent comme des pom-pom girls. 2)° ils se taisent quand tu reprends", "Parce que si on adore faire des compliments, on ne dit pas : "Merde, t'as pris vachement de poids, qu'est-ce qu'il se passe? C'est volontaire?" ".

 Le récit, en apparence linéaire, devient vite avec un peu de recul une invitation constante aux questionnements. La certitude d'une page peut être fortement nuancée dix pages plus tard, la stabilité n'existe pas dans cette bande-dessinée qui ressemble parfois presque à un dessin animé tant les dessins rendent extrêmement bien la sensation de mouvement, en particulier dans les moments de lutte entre Navie et son double.

samedi 27 avril 2024

Maman-bébé : duo ou duel? de Régine Prat


 

 Le sujet de la parentalité est partout, au point que les personnes qui n'ont pas ou ne veulent pas avoir d'enfant (enfin, surtout les femmes) sont souvent exposées à des questions ou des injonctions déplacées. C'est un sujet sur lequel il est facile de se documenter, qu'on le veuille ou non d'ailleurs puisque la grossesse et les premiers mois après l'accouchement sont généralement l'occasion d'une avalanche de consign conseils pas nécessairement sollicités et parfois contradictoires (et c'est loin d'être exclu que les conseils contradictoires entre eux viennent de la même personne). Pourtant, de l'expérience théorique à l'expérience réelle de l'accouchement et de la vie d'après, il y a pour les mères (et les pères trans) un gouffre, dans lequel nous précipite l'autrice de façon pour le moins éloquente en évoquant sa propre expérience, de tourbillon en tourbillon, dans l'introduction. Cette entrée en matière éclaire de façon assez directe le choix d'intituler les trois chapitres qui vont suivre en énumérant des traumatismes ("Premier temps du traumatisme : de "je suis enceinte" à "j'attends un bébé" ", "Deuxième temps du traumatisme. La découverte d'un nouveau monde", "Troisième temps du traumatisme. De l'expérience à la pensée, l'expérience de la pensée").

 Pour l'autrice, "jeune parent" ne désigne en effet pas l'âge des parents mais le fait d'être parent récemment, qui est déstabilisant au même titre qu'une naissance et... implique que parents et bébé ont, d'une certaine façon, le même âge, même si on pourrait argumenter en la suivant qu'une part importante de la parentalité psychique se joue pendant la grossesse (elle déplore d'ailleurs que face à la liste interminable de recommandations pour préserver la santé physique du bébé et de la mère, il n'y a rien ou presque à propos de la santé psychique, malgré l'enjeu tout aussi important) et la préparation à l'accouchement, dont elle parle avec un regard critique qui n'est pas sans rappeler le blog (allez lire l'intégrale tout de suite) Marie accouche là. Si Régine Prat propose un regard d'experte, appuyé par la psychanalyse bien sûr, mais aussi la théorie de l'attachement (elle estime à titre personnel que la psychanalyse est "passée à côté d'une révolution" en ne s'en emparant pas suffisamment), des expériences de psychologie du développement et la méthode d'observation du bébé d'Esther Bick pour laquelle elle rappelle très régulièrement sa gratitude, c'est surtout sa posture de se mettre, autant que possible, à la place de l'autre (ce qui explique le choix de l'introduction et fait sa force) qui donne toute sa puissance au livre.

 Les observations sur les changements corporels (la prise de poids et le fait de devoir porter de nouveaux vêtements pour s'en débarrasser après mais aussi le fait de porter un bébé en elle puis que ledit bébé soit à l'extérieur), de statut social, accessoirement d'emploi du temps!, le tout sur fond de limites physiques et psychiques éprouvées au quotidien n'ont rien de nouveau mais sont portées au centre et non en périphérie, rappellent à quel point il s'agit d'un vécu, bouleversant, avant d'être un processus psychique ou une étape de vie. Dans une dimension plus pratique, elle recommande pour aider la jeune mère, en plus de lui demander ce dont elle a besoin plutôt que de décider à sa place, non pas de s'occuper en priorité du bébé pour lui laisser du temps seule, mais de la débarrasser autant que possible de tout le reste pour qu'elle puisse passer un temps apaisé avec le bébé. Elle aide aussi à se mettre à la place du bébé avec la métaphore filée du dentiste (tout en s'excusant auprès des dentistes) : être installé sous des machines à l'apparence et la sonorité improbable pour se faire triturer de façon moyennement agréable, c'est une image qui rappellera probablement des souvenirs pour le moins vifs aux lecteur·ice·s. Et pourtant, chez le·a dentiste, on sait ce qui va se passer et quand (on a même pris rendez-vous!), et pourquoi. Lors des soins quotidiens, le bébé est déplacé, manipulé, déshabillé, sans avoir de prise sur la situation ou être en mesure de demander une pause ni, potentiellement, de prévoir le début ou la fin. L'autrice fait plusieurs rapprochements avec l'autisme. Si entendre un·e psychanalyste parler d'autisme a tendance à me faire tiquer, les rapprochements qui sont faits dans le livre, soit la recherche de prévisibilité et la vigilance à la pénibilité sensorielle, m'ont semblé plutôt pertinents. Elle recommande en particulier d'expliquer chaque geste au bébé pendant la toilette, qu'il soit en mesure ou non de comprendre les explications, et de procéder lentement. A travers des vignettes cliniques, elle observe également qu'accompagner (par un regard, des commentaires, des aides ponctuelles) les périodes d'exploration sans les précéder (par exemple donner un bébé un objet qu'il peut atteindre lui-même) est une attitude optimale.

 Le regard de l'autrice fait que le livre se lit très vite dans l'ensemble, tout en étant plutôt riche au niveau théorique. Je n'ai malheureusement pas les compétences pour remettre en question tel ou tel point technique, mais Régine Prat s'appuie sur son expérience clinique tout en se nourrissant de différents modèles théoriques, et en gardant une humilité exposée clairement dès l'introduction, ce qui met plutôt en confiance.

dimanche 14 avril 2024

Existential psychotherapy and counselling, contributions to a pluralistic practice, de Mick Cooper

 


 Mick Cooper reprend dans ce livre les fondamentaux de la (ou plutôt des, d'ailleurs) thérapie(s) existentielle(s) d'un point de vue qui éclaire les passerelles, existantes ou possibles, avec d'autres modèles (il précise d'ailleurs que selon lui l'Approche Centrée sur la Personne est voisine mais ne s'inscrit pas à proprement parler dans les thérapies existentielles, et je tiens à dire que je suis outré) (le rapport à la liberté, l'accompagnement dans les aspects sombres de l'existence, l'influence de Kierkegaard sur Rogers... bref je vous laisse vous faire votre propre opinion tant que vous concluez que j'ai raison).

 De nombreux éléments sont détaillés, tels que l'importance du lien (comme Mick Cooper est relou et aime vérifier il précise que l'assertion plutôt limpide de Yalom "C'est la relation qui soigne, c'est la relation qui soigne, c'est la relation qui soigne" est à nuancer -c'est un facteur très important mais il y en a d'autres, et les données ne permettent pas de trancher entre corrélation et causalité- ), l'aspect phénoménologique (qu'il fait l'exploit de détailler tout en le rendant clair et en mettant en lumière les utilisations pratiques), le rapport à la liberté et au choix (les rogérien·ne·s connaissent bien trop l'inconfort, parfois exprimé de façon disons directe, lorsque la personne -en consultation individuelle, et plus encore en groupe de rencontres ou dans un cadre pédagogique- est invitée à prendre des décisions dès le début plutôt que s'en remettre au ou à la professionnel·le), les limites (le chapitre sur le choix peut donner l'impression que quand on veut on peut, mais si on veut se téléporter sur la lune, être immortel·le, finir son mémoire dans les délais en gardant un temps de sommeil normal quand on a procrastiné comme il se doit, ou être traité·e sans condescendance quand on est par exemple handicapé·e ou exposé·e au sexisme ou au racisme, ça s'annonce compliqué), la recherche de sens (oui la ref était facile et j'ai d'autant moins de mérite qu'elle est dans le livre) (du coup je rajoute celle-ci) ou, j'ai plus de mal à faire le lien avec le courant existentialiste (pour autant c'est un chapitre extrêmement riche), les perceptions et métaperceptions interpersonnelles (c'est un terme extrêmement pompeux donc je compte bien le garder pour me donner l'air intelligent, mais ça concerne simplement les projections qu'on fait sur les autres selon les éléments qu'on perçoit, et la façon dont on suppose qu'on est perçu... Cooper donne l'exemple potentiellement très commun du ou de la thérapeute qui sous-estime le caractère intimidant de son statut et, en insécurité pour une raison ou une autre, va en rajouter pour dégager une aura artificielle d'expertise... si le ou la client·e a une réaction pour être moins intimidé·e --plaisanter, critiquer, ...-, ce sera perçu comme une confirmation de la sensation de départ, avec les réactions défensives qui peuvent l'accompagner, alors que le·a client·e a précisément eu la sensation inverse).

 A la fin de la lecture, et même sans le tableau récapitulatif de Cooper des points communs et différences avec d'autres approches (TCC classiques et 3ème vague, approches psychodynamiques, humanistes, ... et il ne classe toujours pas l'ACP dans les approches existentialistes, grrrr), difficile d'imaginer un modèle qui fait l'impasse sur la relation thérapeutique (enfin j'espère!), le questionnement des perceptions, la négociation entre choix et limites, ... Et si les TCC classiques se préoccupent peu du sens de la vie, on ne peut pas en dire autant des TCC 3ème vague. L'aspect pluridisciplinaire est renforcé par le témoignage de l'auteur que dans son parcours de patient/client ce ne sont pas nécessairement les thérapies existentialistes qui l'ont le plus aidé, ou encore par des références fréquentes à la psychologie sociale (en particulier Système 1/Système 2, qui parle en effet avec une éloquence désobligeante des limites de nos perceptions).

 La lecture en plus d'être enrichissante est fluide et magnifiquement articulée à la pratique thérapeutique, le livre est peut-être à recommander plus encore aux thérapeutes qui ne s'inscrivent pas dans le courant existentialiste, pour enrichir leur pratique ou éclairer des points flous ou aveugles qui peuvent émerger dans l'espace thérapeutique.

mardi 2 avril 2024

La psychothérapie centrée sur la personne, de Bérénice Dartevelle


 Ce livre de la première présidente et cofondatrice de l'AFP-ACP est l'objet, à l'occasion des 25 ans de l'association, d'une réédition hommage. La richesse de l'Approche Centrée sur la Personne y est présentée avec un regard à la fois factuel et personnel, en insistant sur ses spécificités spirituelle et humaniste.

 Les fondamentaux du travail de Carl Rogers sont regroupés avec clarté dans ce petit espace d'environ 50 pages, ce qui permet à l'étudiant·e qui a l'ouvrage sous la main d'éviter de rechercher des concepts disséminés dans plusieurs livres par ailleurs relativement épais : les 7 étapes du développement personnel centré sur la personne, les trois attitudes du ou de la thérapeute (empathie, congruence, approche positive inconditionnelle), les six conditions nécessaires et suffisantes pour que la thérapie fonctionne... et surtout la puissance, la richesse, presque la magie, de ce qui se déroule dans l'espace thérapeutique, qui ne se limite pas aux techniques énumérées mais a aussi une dimension artistique ("c'est en suivant ce fil de vie -où s'entrelacent la pensée, l'émotion, la sensation, sans le parcelliser- que le client et le thérapeute peuvent commencer à voir surgir ces lignes de force, ces structures motivationnelles propres au client, où se mêlent les forces vitales et leurs freins et limitations", "Comment dire en un mot ce qu'est la psychothérapie centrée sur la personne? C'est pour moi le mot VIE").

 L'énergie portée par le texte est magnifiquement accompagnée par les illustrations, photos d'une graine en train de pousser au fil des pages. Étant meilleur thérapeute que botaniste (enfin j'espère, sinon c'est de très très mauvais augure pour mes client·e·s) je vais passer mon tour, mais une graine de fenugrec est jointe aux livres pour les personnes qui voudraient faire pousser une graine à leur tour. En attendant, on peut contribuer à faire pousser la graine de l'Approche Centrée sur la Personne en adhérant à l'AFP-ACP ou en commandant le livre sur leur site.




samedi 30 mars 2024

Les grandes figures de la psychopathologie existentielle, dirigé par Jacques Quintin et Christian Thiboutot

 


  A travers 10 chapitres qui présentent la vie et les apports théoriques d'autant de figures de la psychopathologie phénoménologique (ou existentialiste, pour Rollo May), les auteurs rendent hommage à une pensée qui a vocation à "nous sortir du désenchantement du monde induit par une approche technoscientifique, à laquelle contribuent trop souvent nos programmes d'enseignement et nos pratiques de psychiatrie et de psychologie", une approche certes résiliente ("elle a survécu à la vague psychanalytique et à la machine à symptômes qu'est le DSM") mais peu représentée, alors qu'elle permet de remettre au centre la subjectivité, le rapport au monde.

 Petit piège toutefois, que j'ai mentionné dans mon intro mais qui n'est pas dans le titre : il sera bien plus question de psychopathologie phénoménologique que de psychopathologie existentielle (au point que dans le chapitre sur Rollo May, il sera régulièrement rappelé qu'il s'est intéressé tardivement à la phénoménologie). Et la phénoménologie est une approche particulièrement complexe, créée par les philosophes qui sont probablement réputés pour être les plus illisibles de l'histoire de la philosophie. Les chapitres, souvent rédigés par des professeurs de psychiatrie ou de philosophie généralement spécialistes de la personne présentée, n'épargneront pas cette complexité, et la lecture sera bien plus profitable pour les personnes qui ont déjà des connaissances solides sur le sujet.

 Un regret à la lecture, en dehors de celui de ne toujours pas avoir la motivation de chercher à comprendre les finesses (ni même les fondamentaux, qui portent déjà de belles promesses de consommation d'aspirine) de Husserl et d'Heidegger, je trouve dommage que dans ce livre qui présente des figures, des pensées, du début et du milieu du XXème siècle, il n'y ait pas ou presque pas de recontextualisation. La psychiatrie, de façon plus générale la psychopathologie, ont de toute évidence évolué depuis, et c'est à mon sens un peu facile de balayer a priori ces avancées en prenant de grands airs pour dénoncer "une approche technoscientifique". Ça aurait été à mon avis particulièrement riche de dire dans quelles mesures les pensées des auteurs présentés ont influencé, nuancé, été contredites par, les avancées qui ont été faites ensuite.