dimanche 20 avril 2014

La pratique de l'entretien clinique, de Gérard Poussin


 Ce livre se veut un mode d'emploi de l'entretien clinique, tout en reconnaissant qu'il est impossible de faire tenir la conduite à suivre pour le·a clinicien·ne dans un mode d'emploi. En faisant référence au livre de Colette Chiland sur le même sujet, il se rassure en constatant qu'il n'est pas le seul à être empêtré dans cette contradiction : "C. Chiland a écrit : "il faut se méfier de ceux qui, dans notre domaine, disent "il faut toujours..., il ne faut jamais...," Nous sommes devant des situations uniques auxquelles il faut savoir répondre". En relisant mon texte, je me suis aperçu que je disais souvent "ll faut" ou "Il ne faut pas". Cela dit, je remarque que la phrase de C. Chiland commence et se termine de la même façon ("Il faut se méfier..."/"Il faut savoir répondre"), ce qui me rassure un peu sur tous mes propres "Il faut" . "

 L'entretien clinique est d'autant plus central dans la pratique des psychologues clinicien·ne·s que le·a patient·e n'a généralement rien à négocier dans la consultation, de traitement médicamenteux ou d'autorisation de sortie de l'hôpital par exemple ("C'est précisément parce qu'il est sans pouvoir réel que le psychologue peut redonner le pouvoir au sujet"). Il existe bien sûr des exceptions, mais Gérard Poussin parle bien dans ce cas de négociation ("l'entretien de négociation est tout aussi noble que l'entretien clinique, mais il n'obéit pas tout à fait aux mêmes règles"), et exclut d'évacuer cet aspect de l'entretien, de faire comme s'il n'existait pas. Il donne aussi l'exemple de la consultation sur injonction judiciaire : en ce qui le concerne, il refuse de "signer le papier" si le·a consultant·e vient uniquement pour faire acte de présence et non en tant que patient·e.

 Les "Il faut" et "Il ne faut pas" assumés mais un peu regrettés par l'auteur viennent du fait que l'ouvrage s'apparente souvent à un manuel de déminage : nombre de pièges se glissent dans ce qui ressemble à priori à une simple situation de dialogue (voire de monologue entrecoupé de "hmm"). On échange même quand on ne veut pas échanger ("tout message est en fait interprété", "l'interprétation, au sens commun du terme, est notre pente naturelle"), et le·a patient·e le sait, voire le devance même quand ça n'arrange pas le·a psychologue qui cherche à être et paraître neutre -et bienveillant·e, bien sûr- ("le sujet cherche constamment à savoir ce que cherche l'interlocuteur, ce qu'il veut lui communiquer"). Le cadre lui-même fait partie intégrante de la situation clinique, et ce dès la prise de rendez-vous ("il faut toujours garder à l'esprit la façon dont les patients prennent rendez-vous"), et il n'est pas évident de trouver un équilibre entre le respect du cadre et l'adaptation aux demandes et spécificités des patient·e·s et des situations, même si l'avis de l'auteur sur celles et ceux qui sacralisent le cadre est plutôt limpide ("le soi-disant respect des règles, appliqué de manière obsessionnelle, n'est rien d'autre que l'aveu d'une rigidification à l'encontre des manifestations projectives agressives ou séductrices du patient lui-même").

 Le·a psychologue a aussi un grand devoir d'humilité, déjà parce que l'entretien clinique est impossible à maîtriser parfaitement, mais aussi parce que son attitude peut être néfaste aux patient·e·s, et ça a plus de risques d'arriver quand on est trop sûr·e de sa bienveillance ("le psychologue n'intervient pas. C'est par la médiation de son écoute, et de sa parole, qu'il permet au patient d'intervenir en sa propre faveur", une autre attitude risque de l'infantiliser et/ou de l'enfermer dans son trouble)... ou de son infaillible niveau technique ("on ne répond pas au vide mental en le remplissant de ses propres mentalisations", "les psychologues ne sont pas différents des autres humains et sont victimes eux aussi de préjugés", ...). Iel doit aussi, dans le cas où iel travaille en institution, ce qui est selon l'auteur indispensable dans un premier temps ("la pratique s'acquiert au sein d'une équipe, et non dans la solitude d'un cabinet", même quand on a un beau Master 2 -la chance!-, et même quand on a fait une analyse didactique et qu'on peut désormais répliquer "j'ai fait une analyse!" à chaque fois qu'un Moldu ose nous contredire), veiller à ce que l'institution ne le·a contraigne pas à des pratiques contraires à son éthique (consultation forcée, non-respect de la confidentialité, qui revient à avoir une fonction de "psychologue flic" ou de "psychologue bonne conscience"), quitte à brandir le code de déontologie si besoin, même si ça peut être difficile quand on débute parce qu'on est moins sûr de ses compétences donc c'est plus difficile d'envoyer promener le reste de l'équipe et en plus, comme le monde est mal fait, on est tout en bas de la hiérarchie (et, normalement, en CDD et/ou en temps partiel, même quand on a un beau Master 2 -la chance quand même!-) : l'auteur "pense néanmoins qu'il faut s'en tenir à ces règles et s'y accrocher, quel qu'en soit le prix". L'institution peut également être une excuse pour prendre des libertés : une patiente, par exemple, avait la sensation d'avoir été trahie parce qu'une partie des propos tenus lors de l'entretien clinique avait été restitué lors d'une réunion d'équipe. C'est normalement un peu le but des réunions d'équipe (non, le rôle des psychologues ne consiste pas à regarder, muet, les autres échanger avec un sourire entendu pour dire qu'iels savent plein de trucs que les autres ne savent pas), mais il s'est avéré qu'il n'y avait aucun intérêt clinique à répéter ces propos en particulier, l'attitude du psychologue était donc effectivement déplacée.

 J'ai utilisé les termes de mode d'emploi ou de manuel parce que les conseils donnés sont le plus souvent très spécifiques, même si des apports théoriques plus généraux sont fournis (comme la différence entre empathie -être capable de savoir ce que ressent l'autre-, transfert -représentation particulière de l'autre, accompagné d'un ressenti qui peut être intense, en fonction de son propre psychisme- et clivage -division du monde en bon et mauvais, qui implique d'inclure l'interlocuteur·ice dans une des catégories-), avec en particulier pas mal de notions de linguistique (la partie sur la méthodologie de l'entretien de recherche était pour moi parfaitement incompréhensible, mais pour le reste c'est quand même clair). Des conseils sont par exemple donnés pour les consultations avec des enfants ou des personnes âgées, mais aussi à des patient·e·s atteint·e·s de pathologies qui rendent la pratique de l'entretien clinique particulièrement difficile, comme la paranoïa, la dépression ou la psychose ("renoncer de mener des entretiens avec des personnes atteintes de certaines pathologies, c'est renoncer à leur reconnaître le statut de personne").

Si la psychanalyse reste le modèle théorique principal, l'auteur a une approche pragmatique et intègre ce qui lui semble fiable et avoir de l'intérêt quand c'est pertinent, et n'hésite pas à le préciser quand une notion psychanalytique est contredite par une avancée scientifique (il se sent obligé de s'en expliquer au début du livre, les missiles entre pro et anti fusant à un certain rythme depuis quelques années... c'est l'occasion de constater que le livre est récent, puisque le fameux livre de Michel Onfray sur Freud -sur lequel j'ai bien envie d'être désobligeant, mais je ne peux pas parce que je ne l'ai pas lu, et hélas il est long- fait partie des exemples donnés et il date de 2010). Une étude de psychologie sociale nous fournit ainsi un renseignement précieux : dans les techniques pour inviter l'interlocuteur·ice à continuer de parler de la façon la plus neutre possible, la reformulation et la complémentation sont plus efficaces qu'une nouvelle question ou une interprétation.

 Ecrit, on en a en tout cas l'impression, avec passion, ce couteau suisse est bien utile pour éviter de se vautrer dans des pièges d'autant plus dangereux qu'ils ne sont pas évidents à identifier.

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