Les
types de psychothérapie existants sont nombreux, très nombreux, au point que même l'étudiant·e en psychologie peut parfois
être perdu·e quand iel entend parler de telle méthode ou de tel
courant pour la première fois alors qu'iel pensait avoir à peu près
fait le tour... ce qui donne une idée de ce que le·a patient·e en
souffrance peut éprouver lorsque, après avoir pris la décision de
se faire aider par un·e professionnel·le, il lui faut encore deviner rechercher la meilleure solution à ses difficultés. Le Code de
déontologie des psychologues est par ailleurs là pour rappeler
qu'avoir un bac + 5 ne dispense pas de se préoccuper des limites de
sa méthode, ce qui peut impliquer de rediriger le cas échéant le·a
patient·a vers le·a confrère·sœur qui proposera une aide plus adaptée ("Il
définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son
expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute
intervention lorsqu'il n'a pas les compétences requises", principe
2). L'enjeu du livre est donc plutôt central, et l'auteur est bien
placé pour en parler puisqu'il a été l'un des participants à un
rapport de l'INSERM en 2004 qui portait précisément sur ce sujet
là. Ledit rapport étant bien plus célèbre pour les réactions
qu'il a provoquées (d'un côté pression d'associations
psychanalytiques qui ont abouti à l'enterrement du rapport, le
ministre arguant que "la souffrance psychique n'est ni évaluable ni
mesurable" -le sujet dépressif ou schizophrène sera ravi
d'apprendre qu'il ne peut pas savoir s'il va mieux, ni tant qu'on y est qu'il ne va pas bien-, de l'autre
rédaction du Livre Noir de la Psychanalyse se convainquant de
s'attaquer au plus redoutable des adversaires parce que "on peut pas critiquer la
psychanalyse c'est plus possible heureusement on est trop des rebelles" -la psychanalyse est critiquée
depuis sa création, y compris mais bien sûr pas seulement par des
psychanalystes, mais on va pas chipoter- ) que pour son contenu, on
ne peut que se réjouir que l'un de ceux qui l'ont élaboré nous
éclaire sur le contenu en question.
Utilisant comme source principale des méta-analyses (analyse et
comparaison des résultats de nombreuses études sur un même sujet),
les différentes méthodes thérapeutiques sont notées entre A et C
selon le niveau de preuve d'efficacité disponible, pour divers
troubles (anxiété, phobies, addiction, stress post-traumatique,
anorexie mentale, …). Un tableau récapitule le tout à la fin, ce
qui permet à un·e patient·e d'éventuellement orienter son choix de
thérapie en un coup d'œil sans pour autant acheter lire le livre
en entier, livre qui commence par un récapitulatif complet et
intéressant des enjeux et de la méthodologie de l'évaluation. Les
psychothérapies sont divisées en cinq grands courants : les
thérapies psychodynamiques (dérivées de la psychanalyse mais plus
centrées sur la guérison du symptôme), les psychothérapies
cognitives et comportementales (que l'auteur connaît bien pour être
un pionnier de ces thérapies), la thérapie interpersonnelle
(j'admets ne pas trop avoir compris de quoi il retournait), les
psychothérapies humanistes et les psychothérapies familiales (la
thérapie systémique en est la version la plus connue mais il en
existe dérivées de la psychanalyse ou des TCC). Une place est également consacrée aux méthodes de relaxation et à la méditation de pleine
conscience (si j'ai bien compris l'hypnose est rangée là-dedans,
mais il en est hélas très peu question), ou encore, mais très
brièvement, à la psychologie positive, lorsqu'il sera question de
l'avenir des psychothérapies. Le livre comprend aussi un chapitre
original et intéressant sur les liens entre psychothérapie et
religion. Chaque courant est décrit dans une perspective historique,
avant d'en revenir aux informations scientifiques disponibles, en
particulier les limites, les indications et contre-indications de
chaque méthode.
On
peut hélas tiquer, pour un livre qui se veut si rigoureux, de voir
plusieurs erreurs factuelles se glisser ça et là. Bon, je dis ça
et là pour l'ensemble du livre, parce que sur la biographie de Freud
qui introduit le chapitre sur la psychanalyse, c'est un festival.
Pour mieux démolir l'image quasi-divine de Freud qu'auraient ceux
qui apprécient son travail (gné?), l'auteur s'en donne à cœur
joie pour le diaboliser le plus possible. C'en est au point où au
moment de ma lecture où je m'étonnais qu'il n'ait pas parlé de
"Freud et la coke", qui dans les solutions de facilité pour faire
du Freud-bashing primaire se place quand même assez haut, je tombe
sur une phrase sur le sujet (une phrase toute seule, sans
contextualisation aucune, pour les lecteur·ice·s qui douteraient qu'on est
dans la solution de facilité). On a également droit au point Godwin qui
est peut-être le plus tiré par les cheveux de l'Histoire du point
Godwin, alors que cette figure rhétorique est l'emblème même de la
paresse argumentative : parmi les milliers de pages publiées
par Freud, celui-ci déplore, dans L'avenir d'une illusion,
que le peuple ne délaissera ses bas instincts pour se hisser vers la
civilisation "que grâce à l'influence de personnes qu'ils reconnaissent comme leurs guides". Vous n'y voyez qu'un éloge de la
verticalité, une admiration des grands hommes plutôt répandue?
Malheureux·ses, c'est que vous ignorez que "guide", en allemand, se dit
Führer! Avec un tel raisonnement, si Jean Cottraux a par hasard
parlé de cortex préfrontal dans l'un de ses livres à un moment
ou à un autre, c'est une allégeance évidente au Front National (surtout s'il mentionne qu'il concerne les fonctions supérieures!).
Freud se voit par ailleurs prêter, en plus de ses affinités avec le
régime nazi, des pouvoirs de divination, puisque L'avenir
d'une illusion date de
1927 et que Freud était Autrichien et non Allemand. Dans les
arguments qui laissent perplexe, on peut ajouter, par une dynamique
dont la logique m'échappe, le fait que la théorie analytique
devienne soudain valide... quand il s'agit de descendre la
psychanalyse. Par une interprétation sortie de son chapeau, Jean
Cottraux décrète que le concept du complexe d' Oedipe s'est imposé
à Freud parce qu'il avait une liaison avec sa belle-sœur (ne
cherchez pas d'autres rapports que le chiffre trois, il n'y en a
pas), ou fait une telle description du transfert qu'il donne
l'impression qu'après être passé sur le divan, remettre en
question la psychanalyse est un exploit à peu près du même ordre
que de s'adonner à la brasse papillon après avoir avalé des
somnifères. Aliénation supplémentaire : les psychanalystes
sont obligés d'exercer longtemps pour amortir le coût de leur
analyse didactique... ça alors, il n'y a bien que ces salauds de
psychanalystes pour avoir l'idée d'une formation payante, ou encore
de la rémunération du travail! Ajoutons à ça que critiquer les
positions politiques droitières de Freud ou son souci de notoriété
après avoir loué entre autres le travail de Michel Onfray, c'est,
disons, rigolo. Le livre contient pourtant des critiques sérieuses
de la psychanalyse, dont celle, non négligeable, que l'hypothèse
centrale de la substitution du symptôme (faire disparaître un
symptôme sans résoudre le conflit psychique qui l'a provoqué ne
soignerait en fait rien du tout, le symptôme disparu serait remplacé
par un autre) s'est avérée fausse, ce qui a été confirmé par
des études portant sur des suivis de plusieurs années, ou, plus
anecdotique mais intéressant, que Freud avait tendance à faire le
contraire de ce qu'il recommandait (le fait qu'il ait pris sa fille
en analyse me fait, à titre personnel, particulièrement tiquer,
mais on pourrait ajouter qu'il n'a pas fait d'analyse didactique,
qu'il était souvent directif ce qui est contraire au principe
d'associations libres, …). Dans les reproches faits aux
psychanalystes, l'accusation de manquer d'esprit critique est
récurrente : il semble pourtant que la psychanalyse perturbe aussi l'esprit critique de ses détracteur·ice·s.
Si on peut prêter le passage surréaliste sur Freud à une aversion
personnelle, d'autres passages m'ont posé problème, même si c'est plus
anecdotique. Inscrivant les thérapies humanistes dans la période
"Flower Power", l'auteur les décrit comme centrées sur une idéologie
hédoniste. Rogers n'est qu'un exemple parmi d'autres, mais dire
qu'il faisait l'éloge de l'hédonisme a à peu près autant de sens
que de dire que Freud était réticent à parler de sexualité (et
pour un autre exemple, en ce qui concerne Fritz Perls, cet aspect m'a
échappé dans ce que j'ai lu de lui). Les thérapies humanistes sont
en revanche centrées sur les émotions, ce qui n'est pas
spécialement mentionné, en tout cas pas avec insistance (autre
élément surprenant : la thérapie centrée sur la personne de
Rogers, par ailleurs plus souvent appelée approche centrée sur la
personne, est rebaptisée thérapie centrée sur le patient, alors qu'une
spécificité plutôt voyante des thérapies humanistes est de parler
de client·e plutôt que de patient·e). Tant qu'à être casse-pieds je
continue sur un autre chapitre : après avoir parlé du concept
systémique d'injonction contradictoire (ou double lien, ou double
contrainte, selon les termes choisis pour traduire double
bind), et précisé
utilement que son rôle dans le développement de troubles ultérieurs
n'en est qu'au stade de l'hypothèse car il n'a jamais été prouvé,
l'auteur donne des exemples... qui ne sont pas des injonctions
contradictoires! Pour présenter le concept, l'exemple donné est
celui, incontournable et emblématique, de l'enfant à qui sa mère
tend les bras tout en ayant une expression de rejet. Si l'enfant
répond à l'invitation, il s'expose donc audit rejet, mais s'il
garde ses distances, il se le verra reprocher. La situation le
contraint donc à agir, mais son action se retournera forcément
contre lui. Si on rappelle que l'attachement est un besoin fondamental, on imagine le niveau de détresse de l'enfant qui se
trouve dans cette situation. Mais, comme exemples supplémentaires,
l'auteur présente des injonctions qui ont pourtant un rapport assez
éloigné, telles que "En démocratie, on est libre, mais personne
n'est censé ignorer la loi" (ça alors, les libertés ont des
limites! Il ne manquerait plus que de découvrir que l'intérêt
général consiste à équilibrer les libertés des uns et des
autres!), "Sois spontané!" (l'injonction, dans la forme, peut en effet prêter à sourire, mais elle n'a rien d'un piège sans issue si elle est
adressé à quelqu'un qui par exemple est trop scolaire ou inhibé
dans son domaine) ou encore "Tu peux partir, je ne dirai rien,
simplement, je pleurerai" (on peut si on y tient déplorer une
formulation hypocrite ou passive-agressive, mais c'est plutôt clair
qu'il y a une injonction de rester et de ne pas faire le contraire).
Je suis conscient que mon relevé est pointilleux et redondant, mais
ce qui me perturbe dans ces erreurs qui isolément sont presque
anecdotiques, c'est précisément que j'ai pu les relever, y compris
dans des domaines que, franchement, je connais plutôt superficiellement. Ma
vulnérabilité pour avaler tout rond des erreurs du même type par
exemple sur les thérapies familiales, sur l'analyse
transactionnelle, sur la psychologie positive et encore bien d'autres
domaines évoqués dans le livre était donc à peu près totale,
alors même que le livre est supposé être placé sous le signe de
la suprême rigueur. C'est problématique en soi, ça l'est encore
plus quand l'auteur fait en abondance l'éloge des thérapies
comportementales et cognitives, tout en étant membre du comité
scientifique de l'Iffortecc (ce qui, c'est important de le
préciser, n'est absolument pas dissimulé, pas plus que sa
participation, enthousiaste de son propre aveu, au Livre
Noir de la Psychanalyse).
L'efficacité démontrée des thérapies comportementales et
cognitives dans de nombreux domaines est peu suspecte, puisque
l'efficacité démontrée est précisément l'essence de ces
thérapies (ce qui fait partie des reproches qui leurs sont
adressés : "la psychothérapie ne prétend pas répondre à
l'ensemble des problèmes existentiels", rappelle l'auteur au moment
de la conclusion... certains pourront argumenter que c'est une limite
préoccupante), et leurs limites et contre-indications ne sont pas
oubliées, mais on pourra plus tiquer quand l'éloge sera très peu
nuancé ("la TCC s'obligeait elle-même à être efficace ou à
périr. Désormais, toutes les écoles de psychothérapie sont
obligées d'y répondre. Les bonnes questions ouvrent des chemins
sans retour"), quand des principes des TCC sont détectés dans
presque toutes les thérapies (ça fera partie, cela va de soi, de
leurs qualités) ou quand par exemple l'EMDR sera désigné comme un
vulgaire plagiat et expédié en quelques lignes.
C'est pourtant appréciable que l'auteur ne parle pas que de
méta-analyse quand il rapporte des vignettes cliniques (dont... deux
exorcismes!), détaille le fonctionnement de la réalité virtuelle
comme apport technologique aux TCC, ou décrit sa perplexité devant
des pratiquants de kyudo à l'occasion d'un voyage au Japon ou son
bref séjour à Esalen, centre des thérapies humanistes, au moment
de son apogée. Ce livre qui s'annonçait très impersonnel a donc
des aspects extrêmement personnels, ce qui est plus ou moins heureux
selon les moments.
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