vendredi 30 septembre 2016

Choisir une psychothérapie efficace, de Jean Cottraux



 Les types de psychothérapie existants sont nombreux, très nombreux, au point que même l'étudiant·e en psychologie peut parfois être perdu·e quand iel entend parler de telle méthode ou de tel courant pour la première fois alors qu'iel pensait avoir à peu près fait le tour... ce qui donne une idée de ce que le·a patient·e en souffrance peut éprouver lorsque, après avoir pris la décision de se faire aider par un·e professionnel·le, il lui faut encore deviner rechercher la meilleure solution à ses difficultés. Le Code de déontologie des psychologues est par ailleurs là pour rappeler qu'avoir un bac + 5 ne dispense pas de se préoccuper des limites de sa méthode, ce qui peut impliquer de rediriger le cas échéant le·a patient·a vers le·a confrère·sœur qui proposera une aide plus adaptée ("Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute intervention lorsqu'il n'a pas les compétences requises", principe 2). L'enjeu du livre est donc plutôt central, et l'auteur est bien placé pour en parler puisqu'il a été l'un des participants à un rapport de l'INSERM en 2004 qui portait précisément sur ce sujet là. Ledit rapport étant bien plus célèbre pour les réactions qu'il a provoquées (d'un côté pression d'associations psychanalytiques qui ont abouti à l'enterrement du rapport, le ministre arguant que "la souffrance psychique n'est ni évaluable ni mesurable" -le sujet dépressif ou schizophrène sera ravi d'apprendre qu'il ne peut pas savoir s'il va mieux, ni tant qu'on y est qu'il ne va pas bien-, de l'autre rédaction du Livre Noir de la Psychanalyse se convainquant de s'attaquer au plus redoutable des adversaires parce que "on peut pas critiquer la psychanalyse c'est plus possible heureusement on est trop des rebelles" -la psychanalyse est critiquée depuis sa création, y compris mais bien sûr pas seulement par des psychanalystes, mais on va pas chipoter- ) que pour son contenu, on ne peut que se réjouir que l'un de ceux qui l'ont élaboré nous éclaire sur le contenu en question.

 Utilisant comme source principale des méta-analyses (analyse et comparaison des résultats de nombreuses études sur un même sujet), les différentes méthodes thérapeutiques sont notées entre A et C selon le niveau de preuve d'efficacité disponible, pour divers troubles (anxiété, phobies, addiction, stress post-traumatique, anorexie mentale, …). Un tableau récapitule le tout à la fin, ce qui permet à un·e patient·e d'éventuellement orienter son choix de thérapie en un coup d'œil sans pour autant acheter lire le livre en entier, livre qui commence par un récapitulatif complet et intéressant des enjeux et de la méthodologie de l'évaluation. Les psychothérapies sont divisées en cinq grands courants : les thérapies psychodynamiques (dérivées de la psychanalyse mais plus centrées sur la guérison du symptôme), les psychothérapies cognitives et comportementales (que l'auteur connaît bien pour être un pionnier de ces thérapies), la thérapie interpersonnelle (j'admets ne pas trop avoir compris de quoi il retournait), les psychothérapies humanistes et les psychothérapies familiales (la thérapie systémique en est la version la plus connue mais il en existe dérivées de la psychanalyse ou des TCC). Une place est également consacrée aux méthodes de relaxation et à la méditation de pleine conscience (si j'ai bien compris l'hypnose est rangée là-dedans, mais il en est hélas très peu question), ou encore, mais très brièvement, à la psychologie positive, lorsqu'il sera question de l'avenir des psychothérapies. Le livre comprend aussi un chapitre original et intéressant sur les liens entre psychothérapie et religion. Chaque courant est décrit dans une perspective historique, avant d'en revenir aux informations scientifiques disponibles, en particulier les limites, les indications et contre-indications de chaque méthode.

 On peut hélas tiquer, pour un livre qui se veut si rigoureux, de voir plusieurs erreurs factuelles se glisser ça et là. Bon, je dis ça et là pour l'ensemble du livre, parce que sur la biographie de Freud qui introduit le chapitre sur la psychanalyse, c'est un festival. Pour mieux démolir l'image quasi-divine de Freud qu'auraient ceux qui apprécient son travail (gné?), l'auteur s'en donne à cœur joie pour le diaboliser le plus possible. C'en est au point où au moment de ma lecture où je m'étonnais qu'il n'ait pas parlé de "Freud et la coke", qui dans les solutions de facilité pour faire du Freud-bashing primaire se place quand même assez haut, je tombe sur une phrase sur le sujet (une phrase toute seule, sans contextualisation aucune, pour les lecteur·ice·s qui douteraient qu'on est dans la solution de facilité). On a également droit au point Godwin qui est peut-être le plus tiré par les cheveux de l'Histoire du point Godwin, alors que cette figure rhétorique est l'emblème même de la paresse argumentative : parmi les milliers de pages publiées par Freud, celui-ci déplore, dans L'avenir d'une illusion, que le peuple ne délaissera ses bas instincts pour se hisser vers la civilisation "que grâce à l'influence de personnes qu'ils reconnaissent comme leurs guides". Vous n'y voyez qu'un éloge de la verticalité, une admiration des grands hommes plutôt répandue? Malheureux·ses, c'est que vous ignorez que "guide", en allemand, se dit Führer! Avec un tel raisonnement, si Jean Cottraux a par hasard parlé de cortex préfrontal dans l'un de ses livres à un moment ou à un autre, c'est une allégeance évidente au Front National (surtout s'il mentionne qu'il concerne les fonctions supérieures!). Freud se voit par ailleurs prêter, en plus de ses affinités avec le régime nazi, des pouvoirs de divination, puisque L'avenir d'une illusion date de 1927 et que Freud était Autrichien et non Allemand. Dans les arguments qui laissent perplexe, on peut ajouter, par une dynamique dont la logique m'échappe, le fait que la théorie analytique devienne soudain valide... quand il s'agit de descendre la psychanalyse. Par une interprétation sortie de son chapeau, Jean Cottraux décrète que le concept du complexe d' Oedipe s'est imposé à Freud parce qu'il avait une liaison avec sa belle-sœur (ne cherchez pas d'autres rapports que le chiffre trois, il n'y en a pas), ou fait une telle description du transfert qu'il donne l'impression qu'après être passé sur le divan, remettre en question la psychanalyse est un exploit à peu près du même ordre que de s'adonner à la brasse papillon après avoir avalé des somnifères. Aliénation supplémentaire : les psychanalystes sont obligés d'exercer longtemps pour amortir le coût de leur analyse didactique... ça alors, il n'y a bien que ces salauds de psychanalystes pour avoir l'idée d'une formation payante, ou encore de la rémunération du travail! Ajoutons à ça que critiquer les positions politiques droitières de Freud ou son souci de notoriété après avoir loué entre autres le travail de Michel Onfray, c'est, disons, rigolo. Le livre contient pourtant des critiques sérieuses de la psychanalyse, dont celle, non négligeable, que l'hypothèse centrale de la substitution du symptôme (faire disparaître un symptôme sans résoudre le conflit psychique qui l'a provoqué ne soignerait en fait rien du tout, le symptôme disparu serait remplacé par un autre) s'est avérée fausse, ce qui a été confirmé par des études portant sur des suivis de plusieurs années, ou, plus anecdotique mais intéressant, que Freud avait tendance à faire le contraire de ce qu'il recommandait (le fait qu'il ait pris sa fille en analyse me fait, à titre personnel, particulièrement tiquer, mais on pourrait ajouter qu'il n'a pas fait d'analyse didactique, qu'il était souvent directif ce qui est contraire au principe d'associations libres, …). Dans les reproches faits aux psychanalystes, l'accusation de manquer d'esprit critique est récurrente : il semble pourtant que la psychanalyse perturbe aussi l'esprit critique de ses détracteur·ice·s.

 Si on peut prêter le passage surréaliste sur Freud à une aversion personnelle, d'autres passages m'ont posé problème, même si c'est plus anecdotique. Inscrivant les thérapies humanistes dans la période "Flower Power", l'auteur les décrit comme centrées sur une idéologie hédoniste. Rogers n'est qu'un exemple parmi d'autres, mais dire qu'il faisait l'éloge de l'hédonisme a à peu près autant de sens que de dire que Freud était réticent à parler de sexualité (et pour un autre exemple, en ce qui concerne Fritz Perls, cet aspect m'a échappé dans ce que j'ai lu de lui). Les thérapies humanistes sont en revanche centrées sur les émotions, ce qui n'est pas spécialement mentionné, en tout cas pas avec insistance (autre élément surprenant : la thérapie centrée sur la personne de Rogers, par ailleurs plus souvent appelée approche centrée sur la personne, est rebaptisée thérapie centrée sur le patient, alors qu'une spécificité plutôt voyante des thérapies humanistes est de parler de client·e plutôt que de patient·e). Tant qu'à être casse-pieds je continue sur un autre chapitre : après avoir parlé du concept systémique d'injonction contradictoire (ou double lien, ou double contrainte, selon les termes choisis pour traduire double bind), et précisé utilement que son rôle dans le développement de troubles ultérieurs n'en est qu'au stade de l'hypothèse car il n'a jamais été prouvé, l'auteur donne des exemples... qui ne sont pas des injonctions contradictoires! Pour présenter le concept, l'exemple donné est celui, incontournable et emblématique, de l'enfant à qui sa mère tend les bras tout en ayant une expression de rejet. Si l'enfant répond à l'invitation, il s'expose donc audit rejet, mais s'il garde ses distances, il se le verra reprocher. La situation le contraint donc à agir, mais son action se retournera forcément contre lui. Si on rappelle que l'attachement est un besoin fondamental, on imagine le niveau de détresse de l'enfant qui se trouve dans cette situation. Mais, comme exemples supplémentaires, l'auteur présente des injonctions qui ont pourtant un rapport assez éloigné, telles que "En démocratie, on est libre, mais personne n'est censé ignorer la loi" (ça alors, les libertés ont des limites! Il ne manquerait plus que de découvrir que l'intérêt général consiste à équilibrer les libertés des uns et des autres!), "Sois spontané!" (l'injonction, dans la forme, peut en effet prêter à sourire, mais elle n'a rien d'un piège sans issue si elle est adressé à quelqu'un qui par exemple est trop scolaire ou inhibé dans son domaine) ou encore "Tu peux partir, je ne dirai rien, simplement, je pleurerai" (on peut si on y tient déplorer une formulation hypocrite ou passive-agressive, mais c'est plutôt clair qu'il y a une injonction de rester et de ne pas faire le contraire). Je suis conscient que mon relevé est pointilleux et redondant, mais ce qui me perturbe dans ces erreurs qui isolément sont presque anecdotiques, c'est précisément que j'ai pu les relever, y compris dans des domaines que, franchement, je connais plutôt superficiellement. Ma vulnérabilité pour avaler tout rond des erreurs du même type par exemple sur les thérapies familiales, sur l'analyse transactionnelle, sur la psychologie positive et encore bien d'autres domaines évoqués dans le livre était donc à peu près totale, alors même que le livre est supposé être placé sous le signe de la suprême rigueur. C'est problématique en soi, ça l'est encore plus quand l'auteur fait en abondance l'éloge des thérapies comportementales et cognitives, tout en étant membre du comité scientifique de l'Iffortecc (ce qui, c'est important de le préciser, n'est absolument pas dissimulé, pas plus que sa participation, enthousiaste de son propre aveu, au Livre Noir de la Psychanalyse). L'efficacité démontrée des thérapies comportementales et cognitives dans de nombreux domaines est peu suspecte, puisque l'efficacité démontrée est précisément l'essence de ces thérapies (ce qui fait partie des reproches qui leurs sont adressés : "la psychothérapie ne prétend pas répondre à l'ensemble des problèmes existentiels", rappelle l'auteur au moment de la conclusion... certains pourront argumenter que c'est une limite préoccupante), et leurs limites et contre-indications ne sont pas oubliées, mais on pourra plus tiquer quand l'éloge sera très peu nuancé ("la TCC s'obligeait elle-même à être efficace ou à périr. Désormais, toutes les écoles de psychothérapie sont obligées d'y répondre. Les bonnes questions ouvrent des chemins sans retour"), quand des principes des TCC sont détectés dans presque toutes les thérapies (ça fera partie, cela va de soi, de leurs qualités) ou quand par exemple l'EMDR sera désigné comme un vulgaire plagiat et expédié en quelques lignes.

 C'est pourtant appréciable que l'auteur ne parle pas que de méta-analyse quand il rapporte des vignettes cliniques (dont... deux exorcismes!), détaille le fonctionnement de la réalité virtuelle comme apport technologique aux TCC, ou décrit sa perplexité devant des pratiquants de kyudo à l'occasion d'un voyage au Japon ou son bref séjour à Esalen, centre des thérapies humanistes, au moment de son apogée. Ce livre qui s'annonçait très impersonnel a donc des aspects extrêmement personnels, ce qui est plus ou moins heureux selon les moments.

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