mardi 4 décembre 2018

Les fondements du mensonge, de Guy Durandin




 Le livre est le résultat d’environ 20 ans de travail de l’auteur, qui est pour le moins passionné par la question puisqu’il a commencé à y réfléchir comme sujet de thèse… dans un camp de prisonniers en 1944 (et moi qui me plaignais que les études par correspondance en travaillant à temps complet c’était dur!). Le contenu est appuyé par des concepts de psychanalyse et des réflexions de philosophes (Sartre, Jankélévitch, Bergson, …), mais se base principalement sur des entretiens et analyses de questionnaires auprès de divers publics (enfants, étudiant·e·s, lectrices d’un magazine féminin, …).

 Sans grande surprise, le livre s’ouvre sur la thématique du mensonge à autrui, et les diverses raisons qui peuvent y pousser (mensonges d’attaque et de défense, mensonge dans l’intérêt d’autrui, mensonges d’exploration, mensonges dits gratuits et mensonges partiellement inconscients). Le mensonge a pour principal intérêt la création d’un rapport de force favorable au menteur. Le menteur souhaite obtenir quelque chose de l’autre ("le but du mensonge est en effet d’exercer une influence sur l’interlocuteur, et non de l’informer ; mais, pour cela, on fait semblant de l’informer") : d’une part  il trouve un moyen frauduleux de l’obtenir, et d’autre part l’autre ne va a priori ni se défendre ni protester puisqu’il ne sait pas que le moyen était frauduleux. S’il s’agit d’une forme d’usage de la force conforme à ce que la société permet, l’auteur n’estime bien entendu pas qu’une société où le mensonge est inutile serait par essence préférable : il s’agit d’une limite plus que d’une remise en question totale ("le mensonge n’est pas le produit de la civilisation, mais le signe d’un échec partiel de celle-ci : c’est un retour à l’agression, à travers les lois", "l’hypocrisie, c’est le début de la tolérance"). 

 C'est pourtant, ce qui peut être inattendu, au mensonge à soi-même que l’essentiel du livre sera consacré. Dans la mesure où le mensonge implique de donner délibérément une information fausse, donc de savoir que l’information est fausse et la faire passer pour vraie, le concept de mensonge à soi-même peut paraître absurde ("on voit mal en effet comment une personne pourrait se tromper elle-même. C’est à peu près comme si elle disait : "Je vais cacher mon assiette sous la table, et ensuite je ne la retrouverai pas" "). Il est pourtant possible, sous différentes modalités (dont, par exemple, le refoulement freudien), dans la mesure où la vérité est accessible mais où, d’une façon ou d’une autre, la personne qui se ment à elle-même va se la dissimuler ("Il ne dit pas : "Je vois cette situation, et je vais me la cacher", mais plutôt : "Ce que je vois est pénible, pourvu que ce ne soit pas vrai" "). De nombreux cas de mensonge à soi-même sont décrits, dont une part importante ressemble fortement à la dissonance cognitive, concept qu’on ne peut que regretter que l’auteur ne connaisse pas, peut-être à cause de l’ancienneté du livre (aujourd’hui tout·e étudiant·e en psycho de 2ème année en a au moins entendu parler en psychologie sociale, mais ce livre date de 1971). L’objectif peut être, parmi bien d’autres, de ne pas faire face à une situation insupportable ("si les forces qui m’attaquent sont cent fois plus grandes que les miennes, et si toute action de ma part est devenue dérisoire, à quoi bon regarder ma mort et mon bourreau"), de surestimer ou sous-estimer ses chances de réussite selon qu’au fond on préfère agir ou ne pas agir ("nous tendons à appeler persévérance les obstinations qui ont réussi, et obstination les persévérances qui ont échoué"), d’estimer, parmi nos diverses motivations à faire une chose en particulier, que la plus noble était la raison principale (l’exemple est donné d’un enfant fan de voitures qui propose gentiment à sa mère très fatiguée de l’amener à un salon de l’auto "pour se détendre"), … La procrastination est aussi considérée comme une forme de mensonge à soi-même, et décrite avec une acuité qui parlera probablement à beaucoup d’étudiant·e·s de l’IED ("on tarde à se mettre à un ouvrage, parce que l’on en craint la difficulté, ou que l’on a d’autres préoccupations. Alors on taille soigneusement un, deux ou même trois crayons, on classe et reclasse les dossiers, on met des chemises neuves à quelques-une d’entre eux, on s’assure que la lampe soit en bon état, et l’on s’aperçoit que l’on a quelques ongles trop longs, ce qui permet d’aller chercher des ciseaux"). Concernant l’aspect moral, une comparaison est faite avec l’enfant qui ment à l’adulte pour pouvoir faire quelque chose d’interdit : l’adulte n’ayant plus de tuteur dont la vigilance est à contourner, il se fournit des prétextes à lui-même, la morale reste, d’une certaine façon, externe plutôt qu’interne, comme pour l’enfant à un certain stade de son développement.

 Le résumé ne fait qu’aborder vaguement les différentes problématiques du livre, dont l’enjeu est par ailleurs bien plus philosophique que clinique : si des clefs pertinentes sont données pour mieux comprendre le psychisme humain, l’auteur abandonne par exemple, faute de données, l’idée de comprendre le comportement du mythomane, mais tire des conclusions, entre autres, sur le rôle du langage ou même le sens de la vie.

2 commentaires:

  1. Résumé enrichissant sur un sujet effectivement à la base de toute vie sociale. Je me souviens d'une pièce de théâtre "Mars attaque", inspirée d'un roman de Bradbury. Les martiens étaient incapables de mensonges et instauraient l'absence totale de secret, rendant la société sur terre invivable

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  2. "Mars Attaque" est un film de Tim Burton, tu parles peut-être de "Chroniques Martiennes"?
    En effet une société ou tout mensonge est impossible serait radicalement différente, l'exercice d'imagination est bien adapté à la science-fiction...

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