Le
livre est le résultat d’environ 20 ans de travail de l’auteur,
qui est pour le moins passionné par la question puisqu’il a commencé
à y réfléchir comme sujet de thèse… dans un camp de prisonniers
en 1944 (et moi qui me plaignais que les études par correspondance
en travaillant à temps complet c’était dur!). Le contenu est
appuyé par des concepts de psychanalyse et des réflexions de
philosophes (Sartre, Jankélévitch, Bergson, …), mais se base
principalement sur des entretiens et analyses de questionnaires auprès
de divers publics (enfants, étudiant·e·s, lectrices d’un magazine
féminin, …).
Sans grande surprise,
le livre s’ouvre sur la thématique du mensonge à autrui, et les diverses raisons
qui peuvent y pousser (mensonges d’attaque et de défense, mensonge
dans l’intérêt d’autrui, mensonges d’exploration, mensonges
dits gratuits et mensonges partiellement inconscients). Le mensonge a
pour principal intérêt la création d’un rapport de force
favorable au menteur. Le menteur souhaite obtenir quelque chose de
l’autre ("le but du mensonge est en effet d’exercer une
influence sur l’interlocuteur, et non de l’informer ; mais,
pour cela, on fait semblant de l’informer") : d’une part il trouve un moyen frauduleux de l’obtenir, et d’autre part l’autre
ne va a priori ni se défendre ni protester puisqu’il ne sait pas
que le moyen était frauduleux. S’il s’agit d’une forme d’usage
de la force conforme à ce que la société permet, l’auteur
n’estime bien entendu pas qu’une société où le mensonge est
inutile serait par essence préférable : il s’agit d’une
limite plus que d’une remise en question totale ("le mensonge
n’est pas le produit de la civilisation, mais le signe d’un échec
partiel de celle-ci : c’est un retour à l’agression, à
travers les lois", "l’hypocrisie, c’est le début de la
tolérance").
C'est pourtant, ce qui peut être inattendu, au mensonge à soi-même que l’essentiel du livre sera consacré. Dans la mesure où le
mensonge implique de donner délibérément une information fausse,
donc de savoir que l’information est fausse et la faire passer pour
vraie, le concept de mensonge à soi-même peut paraître absurde ("on
voit mal en effet comment une personne pourrait se tromper elle-même.
C’est à peu près comme si elle disait : "Je vais
cacher mon assiette sous la table, et ensuite je ne la retrouverai
pas" "). Il est pourtant possible, sous différentes modalités (dont,
par exemple, le refoulement freudien), dans la mesure où la vérité
est accessible mais où, d’une façon ou d’une autre, la personne
qui se ment à elle-même va se la dissimuler ("Il ne dit pas : "Je
vois cette situation, et je vais me la cacher", mais plutôt :
"Ce que je vois est pénible, pourvu que ce ne soit pas vrai" ").
De nombreux cas de mensonge à soi-même sont décrits, dont une part
importante ressemble fortement à la dissonance cognitive, concept
qu’on ne peut que regretter que l’auteur ne connaisse pas,
peut-être à cause de l’ancienneté du livre (aujourd’hui tout·e
étudiant·e en psycho de 2ème année en a au moins entendu parler en
psychologie sociale, mais ce livre date de 1971). L’objectif
peut être, parmi bien d’autres, de ne pas faire face à une
situation insupportable ("si les forces qui m’attaquent sont cent
fois plus grandes que les miennes, et si toute action de ma part est
devenue dérisoire, à quoi bon regarder ma mort et mon bourreau"),
de surestimer ou sous-estimer ses chances de réussite selon qu’au
fond on préfère agir ou ne pas agir ("nous tendons à appeler
persévérance les obstinations qui ont réussi, et obstination les
persévérances qui ont échoué"), d’estimer, parmi nos diverses
motivations à faire une chose en particulier, que la plus noble
était la raison principale (l’exemple est donné d’un enfant fan
de voitures qui propose gentiment à sa mère très fatiguée de l’amener à
un salon de l’auto "pour se détendre"), … La procrastination
est aussi considérée comme une forme de mensonge à soi-même, et
décrite avec une acuité qui parlera probablement à beaucoup
d’étudiant·e·s de l’IED ("on tarde à se mettre à un ouvrage,
parce que l’on en craint la difficulté, ou que l’on a d’autres
préoccupations. Alors on taille soigneusement un, deux ou même
trois crayons, on classe et reclasse les dossiers, on met des
chemises neuves à quelques-une d’entre eux, on s’assure que la
lampe soit en bon état, et l’on s’aperçoit que l’on a
quelques ongles trop longs, ce qui permet d’aller chercher des
ciseaux"). Concernant l’aspect moral, une comparaison est faite
avec l’enfant qui ment à l’adulte pour pouvoir faire quelque
chose d’interdit : l’adulte n’ayant plus de tuteur dont la
vigilance est à contourner, il se fournit des prétextes à
lui-même, la morale reste, d’une certaine façon, externe plutôt
qu’interne, comme pour l’enfant à un certain stade de son
développement.
Le résumé ne fait
qu’aborder vaguement les différentes problématiques du livre,
dont l’enjeu est par ailleurs bien plus philosophique que
clinique : si des clefs pertinentes sont données pour mieux
comprendre le psychisme humain, l’auteur abandonne par exemple,
faute de données, l’idée de comprendre le comportement du
mythomane, mais tire des conclusions, entre autres, sur le rôle du
langage ou même le sens de la vie.
Résumé enrichissant sur un sujet effectivement à la base de toute vie sociale. Je me souviens d'une pièce de théâtre "Mars attaque", inspirée d'un roman de Bradbury. Les martiens étaient incapables de mensonges et instauraient l'absence totale de secret, rendant la société sur terre invivable
RépondreSupprimer"Mars Attaque" est un film de Tim Burton, tu parles peut-être de "Chroniques Martiennes"?
RépondreSupprimerEn effet une société ou tout mensonge est impossible serait radicalement différente, l'exercice d'imagination est bien adapté à la science-fiction...