Sidney
Rosen regroupe dans ce livre de brèves histoires, pédagogiques, de
Milton Erickson (créateur de l’hypnose ericksonienne), le plus
souvent des anecdotes familiales ou des vignettes cliniques. Si la
plupart des textes peuvent sembler simples voire simplistes, le
recueil n’est pas (contrairement à ce que peut laisser craindre la
très élogieuse intro) une simple invitation à s’émerveiller
de la sagesse d’Erickson : chaque histoire illustre une, voire
des, indications cliniques précises, et parfois comporte plusieurs
niveaux de lecture, indiqués ou non en commentaire.
Si
des termes comme transe bien sûr, mais aussi l’opposition entre
niveau conscient et niveau inconscient ou la notion de marquer
certains mots ou certaines phrases sont présents, il est en fait très
peu question de la technique même de l’hypnose, et ce sont des
principes thérapeutiques qui sont présentés. L’idée qui réunit
peut-être l’essentiel des textes est que la demande du ou de la client·e, si
on y répond trop directement, va plutôt le·a conduire à
perfectionner ses propres symptômes qu’à vraiment aller mieux. Si
l’idée d’un·e thérapeute assertif·ve et autoritaire est rejetée, ça
semble surtout être parce que c’est contre-productif (sinon à
titre de provocation pour déclencher une réaction) :
l’horizontalité est bien présente dans la mesure où le·a client·e
est pris·e au sérieux en tant qu’individu, où ses valeurs sont
respectées, mais Erickson garde le contrôle total de ce qui a lieu,
souvent par une manipulation certes bienveillante. Ça peut passer
par la prescription du symptôme (à une adolescente qui suce
constamment son pouce, au grand désespoir de ses parents et
enseignants, Erickson prescrit de sucer son pouce très bruyamment à
des moments bien précis qui vont être particulièrement
désespérants pour son entourage, ce qui la poussera rapidement à arrêter, par agacement), par une attitude inattendue (il
rentre d’office dans le conflit avec une enfant particulièrement
réticente à rencontrer un thérapeute, avant de lui dire quelque
chose de gentil là où elle attendait une méchanceté), en faisant
le contraire de ce qui avait été essayé jusqu’ici (une étudiante
qui arrivait toujours en retard en promettant à chaque fois de ne
jamais recommencer est accueillie par une révérence de toute la
classe en arrivant dans le cours d’Erickson, elle devient ensuite ponctuelle alors qu’aucun reproche des enseignant·e·s ne l’avait
fait arriver à l’heure), en proposant aux client·e·s un point de vue
différent sur le symptôme (il reproche à une cliente qui a
développé une phobie sociale grave suite à des flatulences en
classe, très religieuse, de manquer de respect, par sa honte, à la
complexe construction divine qu’est le corps humain), … Si des
solutions plus conventionnelles sont parfois proposées (optimiser la
concentration de tireurs sportifs, par l’hypnose, en leur
permettant de percevoir chaque tir de la compétition comme le
premier, surmonter quelque chose qui semble impossible en imaginant,
en transe hypnotique, se rapprocher de l’objectif très
progressivement), il n’est pas surprenant qu’un chapitre soit
consacré à la confrontation avec des prestidigitateurs, et un autre
à des blagues faites par Milton Erickson et des membres de sa
famille. Surprendre l’autre, c’est un point récurrent, implique
non seulement d’être très attentif·ve à ses valeurs, à sa demande
explicite, à sa situation, à ses résistances, à son langage non
verbal, mais aussi à élargir le spectre des perceptions du ou de la
thérapeute comme celles du ou de la client·e.
Si
l’intérêt pédagogique du livre est son intérêt principal, et
que le·a professionnel·le de l’hypnose y verra probablement un nouvel
enseignement à chaque lecture (s’iel a suffisamment élargi le
spectre de ses perceptions depuis la lecture précédente!),
l’alignement de réussites, renforcé par le fait qu'Erickson est souvent présenté comme un faiseur de miracles (ne faites pas de jeu à boire où vous buvez chaque fois qu'il est dit qu'il est consulté en dernier recours, ce serait dangereux même avec de l'eau), ferait presque oublier qu’utiliser la
déstabilisation comme ressort thérapeutique est une prise de
risques. On n’est plus dans la thérapie brève mais dans la
thérapie ultrabrève, et même les client·e·s qui quittent le cabinet
en exprimant leur désapprobation de manière pas tout à fait
ambigüe se manifestent des mois ou des années plus tard,
éventuellement en envoyant d’autres client·e·s, expliquant à quel
point Erickson leur a sauvé la vie. J’aurais été curieux d’avoir
au moins quelques anecdotes où il s’est planté, ou même d’avoir
à peu près la proportion de fois où il a échoué.
Le
livre reste précieux dans la mesure où il présente une approche
originale, et, qu’on s’intéresse ou non à l’hypnose, donne un
point de vue intéressant sur la relation thérapeutique et la
relation au symptôme, à la distinction éventuelle entre demande
exprimée et besoin réel, tout en rappelant le besoin d’être
attentif·ve à l’infinité de modes d’expression des client·e·s.
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