mercredi 2 janvier 2019

Maintenant ou jamais! de Christophe Fauré




 Le milieu de la vie, ou la période qui s’en approche, est potentiellement initiatrice d’un sentiment de vide, d’angoisse profonde, malgré un quotidien qui pourrait, de l’extérieur, sembler accompli. Bien que le livre indique dès la couverture se préoccuper de cette transition du milieu de la vie, l’auteur prend rapidement des distances avec cette notion : plus que la prise de conscience de notre propre mortalité, c’est celle d’un contraste entre la vie menée jusqu’ici, en partie guidée par des injonctions sociales ou familiales, et nos aspirations profondes, qui crée cette douleur, qui ne se traduira donc pas nécessairement par l’achat d’une voiture de sport ou des liaisons avec des partenaires plus jeunes. Si cette transition n’arrive pas nécessairement au milieu de la vie, plusieurs éléments favorisent sa survenue à ce moment là. Les performances sportives déclinantes, le fait de devenir moins attirant, peuvent faire réaliser brusquement la part que prenait notre corps dans notre identité. L’usure d’une relation amoureuse au bout de dix ou vingt ans, la lassitude professionnelle dans une carrière qui stagne, peuvent pousser à se demander ce qu’on fait là. Le départ des enfants plus si enfants que ça du domicile familial amène par la force des choses à moins se définir par la parentalité. La confrontation à la maladie peut aussi constituer un choc qui remue des choses qu’on supposait établies.

 Christophe Fauré parle d’un diamant à multiples facettes : si une facette se trouve ternie (la vie amoureuse, professionnelle, familiale, …), c’est l’ensemble du diamant qui en devient moins brillant. Et si la prise de conscience d’un besoin de changement est positive, la remise en question, la peur de ne pas pouvoir s’accomplir, peuvent être brutales et douloureuses. Le livre va prendre le temps d’explorer plusieurs de ces facettes individuellement (le corps, le couple, la vie professionnelle, les relations aux enfants qui se permettent de grandir et aux parents qui vieillissent alors qu’on a soi-même grandi, redéfinissant doublement le lien initial), mais aussi donner des conseils plus généraux pour que le changement se fasse dans de bonnes conditions, la plus récurrente et importante étant d’éviter la précipitation, de prendre le temps de s’écouter vraiment. La tentation peut être pressante, alors qu’on se rend compte de ce qui ne nous convient pas dans le chemin qu’on a parcouru, d’estimer que le problème vient de l’extérieur et que d’envoyer promener par exemple son ou sa conjoint·e, ou son employeur·se, va tout régler. Si rien n’exclut que c’est l’un des passages qui vont finalement s’imposer, le point de départ doit être d’identifier ce qui ne va pas en nous, au risque dans le cas contraire de réaliser à court terme que la solution magique qui devait tout régler n’a pas réglé grand-chose. Identifier les croyances qui nous ont fait arriver là ("je suis nul, je n’arriverai jamais à rien", "je n’ai pas le droit de revendiquer mes propres besoins", ...), et d’où elles viennent ("votre père vous répétait sans cesse que vous étiez un bon à rien", "vous avez dû prendre en charge l’éducation de votre plus jeune frère", ...), est une première étape pour mieux déterminer où aller. Et si la prise de risque, sans nier ses aspects insécurisants, est souvent récompensée ("la confiance en soi est le fruit de l’action ; c’est le résultat de décisions ou de démarches que l’on entreprend, alors même qu’on est dans le doute où la peur", "quand nous prenons soin de nous, quand nous faisons preuve d’amour à notre égard, nous suscitons peut-être un peu d’envie et de jalousie, mais nous devenons également inspirants"), mais aller vers la nouveauté n’implique pas de rejeter en bloc notre passé et ce qu’on a acquis, qui peut avoir eu un sens et une utilité dans le passé, et en avoir encore aujourd’hui. Le changement peut aussi être pleinement épanouissant sans être aussi radical qu’on ne se le représentait, comme dans la vignette clinique de Bernadette qui, lassée de sa vie professionnelle, a considérablement augmenté son investissement dans ses activités artistiques (chant et peinture) pour en faire son métier : elle s’est alors rendue compte que c’est de cet investissement en soi qu’elle avait besoin, sans pour autant en faire une reconversion. L’auteur propose une longue série de questions précises pour mieux guider ce cheminement vers une nouvelle identité ("essayez-vous de compenser certaines carences de vos parents?", "Qu’avez-vous appris de la première moitié de votre vie, quels enseignements?", "Où vous sentez-vous bloqué, coincé, inhibé dans votre vie ?", "Quels sont vos talents? Comment s’exprime au mieux votre créativité ?", "quels sont les rêves et désirs nouveaux qui émergent en vous ?", …).

 Le dernier chapitre passe à une autre échelle d’ambition, de "voici ce qui peut provoquer cette douleur en vous et comment transformer cette énergie en projet de vie positif" à "vous êtes mille fois plus que ce que vous croyez être". De clinique, le propos devient (tout en restant appuyé sur une base théorie clinique!) philosophique, sur le sens de la vie. Bref mais argumenté, c’est un plaidoyer pour le don de soi selon ce qu’on est en mesure de donner ("En accompagnant les personnes en fin de vie dans les services de soin palliatifs, je n’ai jamais entendu quelqu’un dire : "Ma vie a eu du sens parce que j’ai été aimé." J’ai toujours entendu l’inverse : "Ma vie a eu du sens parce que j’ai aimé"), sur la méditation de pleine conscience pour savoir se centrer sur l’ici est maintenant (une analogie est faite avec un verre d’eau pure dans lequel on verserait de la terre : si on secoue le verre, la terre prend plus de place, obscurcit la clarté de l’eau, alors que si on pose le verre, elle est toujours là dans la même quantité mais reste au fond, permettant d’apprécier la pureté de l’eau), … Ce chapitre permet de mieux comprendre pourquoi dans l’intro l’auteur, tout psychiatre qu’il est, désignait ce livre comme un ouvrage particulièrement personnel (il a lui-même "tout quitté" à l’aube de ses 40 ans, suite à un "effondrement intérieur").

 Comme dans son livre sur le deuil, le propos de l’auteur est particulièrement clair tout au long du livre, et ce qui pourrait se résumer à une injonction, certes argumentée, à questionner ses choix de vie pour aller vers plus d’authenticité (que ce soit au milieu de la vie ou non, d’ailleurs), est accompagné de conseils pratiques précis pour le faire dans de bonnes conditions.

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