Le
rédacteur en chef du Cercle Psy regroupe des expert·e·s de secteurs
très variés de la psychologie (Alison Gopnik, Daniel Kahneman,
Boris Cyrulnik, Antonio Damasio, Tobie Nathan, …), mais aussi
quelques journalistes scientifiques et écrivain·e·s, pour parler, dans
un texte court ou dans le cadre d’une interview, de ce sujet que
beaucoup s’accorderont à trouver inépuisable. Une entreprise
racoleuse qui sera surtout une occasion d’exprimer son mépris
contre ceux qu’on juge médiocres en assénant quelques vannes
entre deux ou trois concepts? Pas particulièrement, même si on
pourrait faire ce reproche à quelques articles. Bien que tenant en
trois lettres, le sujet est en effet complexe. Définir
rigoureusement l’intelligence est une entreprise ambitieuse, alors
définir la connerie, qui ne se limite même pas à l’absence
d’intelligence…
Il
sera en effet question, en plus de l’idiot (à moins qu’il ne
s’agisse d’un incompétent? de quelqu’un qui enchaîne
les erreurs?), du ou de la bullshitter·euse qui, contrairement au ou à la
menteur·se, ne cherche pas à faire croire des choses fausses mais dira
indifféremment des choses vraies ou fausses, l’essentiel étant
d’avoir un auditoire, ou encore du connard ou de la connasse, qui se caractérise par
sa méchanceté et sa volonté d’être traité comme un être
supérieur (certains observeront que Donald Trump semble souvent
relever à la fois des trois catégories, ce qui n’empêche pas
Alison Gopnik, spécialiste de la psychologie du développement, de
déplorer qu’il soit comparé à un enfant de quatre ans, car la
comparaison est insultante pour les enfants de quatre ans). Mais
surtout, le premier article, de Serge Ciccotti, explique pourquoi on
voit des con·ne·s partout : parmi les éclairages donnés, le fait
que l’individu moyen s’estime plus brillant que la moyenne
(pire : plus on est con, plus on a l’impression que les autres
le sont!), ou encore que l’être humain tend à être plus attentif
à ce qui ne va pas. Le fait qu’être brillant·e dans un domaine
ne préserve pas soit d’être con·ne, soit de faire des conneries quand on en sort (avoir un bac+10 n’empêche pas nécessairement
d’ingurgiter sans recul des infos complotistes), est aussi évoqué
dans plusieurs articles. Daniel Kahneman explique par exemple
pourquoi on ne peut pas être intelligent·e tout le temps (ce serait
beaucoup trop long et épuisant de prendre les décisions nécessaires
au quotidien), un ancien professionnel du marketing (Ryan Holiday)
révèle comment tirer parti de la connerie des gens pour générer
du clic (et diffuser des conneries à grande échelle), Sébastien
Dieguez argumente que la lutte contre les fake news demande
des efforts disproportionnés et que la solution est peut-être de
jouer au plus con… Certains contenu sont particulièrement
originaux, comme l’article de Delphine Oudiette qui permettra de se
demander de façon plus éclairée si le contenu des rêves est si
con que ça, et montrera comment les rêves permettent d’être un
peu moins con·ne.
Sans
surprises, Brassens est cité plusieurs fois, même si à mon grand
regret il n’est pas question de Quand les cons sont braves.
Et, c’est inévitable avec une telle variété de contenu, le livre
n’est pas exempt de conneries, comme le fait que Daniel Kahneman
soit à plusieurs reprises présenté comme le détenteur d’un prix
Nobel (au point de dire que c’est le seul psychologue a avoir
obtenu un prix Nobel, ce qui va loin pour induire en erreur), alors
qu’il est Nobel d’économie, qui n’est PAS un prix Nobel (c’est
le "prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire
d’Alfred Nobel"… ne pas faire la différence un peu comme si
quelqu’un organisait un "championnat de chessboxing en
l’honneur de l’esprit olympique" -oui, le chessboxing ça existe
vraiment- et que le vainqueur était désigné comme champion
olympique). L’injustice est d’autant plus criante que le prix Ignobel d’un autre contributeur, Laurent Bègue, n’est à aucun
moment mentionné. Le livre nous gratifie d’un autre grand moment
quand Patrick Moreau, à l’issue d’un article par ailleurs
intéressant sur la novlangue, qualifie d’idiotismes conceptuels
les concepts de genre (disqualifier un concept qui permet de
complexifier la pensée, à l’issue d’un article sur la
novlangue, est particulièrement ironique), de culture du viol
(balayant du revers de la main la quantité astronomique de données
qui vont dans ce sens) ou de racisme d’État… un choix bien
particulier dans le cadre de ce livre, puisque dénigrer de façon
insultante ces concepts (en plus de constituer une violence envers
les personnes concernées par la dysphorie de genre), permet de dire
que le racisme et le sexisme sont uniquement l’affaire de quelques
con·ne·s, et évite de remettre en question la société dans son
ensemble. Mais c’est peut-être moi qui suis con, de reprocher à
un professeur de littérature de tenir à vivre dans la fiction.
Alors
que le format (intitulé accrocheur autant que flou, articles courts
voire recyclage d’interviews déjà publiées dans le Cercle
Psy) laissait présager du pire, l’entreprise est loin d’être
conne puisque le résultat permet d’aborder des sujets aussi variés
que les biais cognitifs, les spécificités de l’intelligence de
l’enfant, les rêves, le lien entre intelligence et émotions et
bien d’autres d’une façon très accessible.
De Gaulle aurait dit "vaste programme" en réponse au slogan militaire "mort au con". Et, c'est que la connerie comme le révèle le livre comme le résumé, est infiniment humaine et complexe, comme le révèle les études sur l'intelligence artificielle, qui démontrent que c'est la connerie elle-même qui est le moteur de l'intelligence, ce que disait déjà Georges Bataille : on ne peut pas construire son intelligence si l'on ne s'est pas senti con. Bon, désolé, je n'ai pas lu le livre dont on peut louer la tentative audacieuse de vouloir contenir le sujet en un seul ouvrage ... et d'ailleurs, je suis tellement con, que je n'ai pas encore lu le livre. Je m'y attelle immédiatement. Merci pour se résumé qui donne effectivement envie d'aller plus loin sur ce sujet inépuisable
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