vendredi 15 mars 2019

Les Chatouilles, d'Andréa Bescond et Eric Metayer



 Adaptation au cinéma, par les mêmes auteur et autrice, de la pièce Les Chatouilles ou la danse de la colère, ce film, dans lequel la réalisatrice joue son propre rôle, est le courageux récit autobiographique de sa recherche de guérison, après les viols qu'elle a subis enfant par un proche de la famille.

 Le film est explicite dès les premières minutes sur les violences vécues, sur leur répétition, sur l'attitude manipulatrice de l'auteur des violences (douceur qui succède à de la fermeté, cadeaux fréquents, "je croyais que tu aimais ça" lorsqu'un refus est opposé, avant de feindre de s'attrister puis d'ignorer le refus, ...), mais aussi sur les opportunités non saisies de parler, qui rendent d'autant plus perceptible le poids du secret, la crainte de ce qui pourra se passer s'il est révélé, voire si la victime se l'admet à elle-même. Le film est aussi explicite sur ce qui lui permet de tenir : si la pratique intensive (et professionnelle) de la danse, des relations stables (un ami d'enfance, puis la psychologue qui se fait envoyer promener de façon très directe quand elle propose de la rediriger vers une professionnelle plus compétente, ce qui impliquerait l'insupportable épreuve de répéter ce qui vient d'être dit), sont des éléments importants, les aspects destructeurs du traumatisme ont eux aussi une place centrale dans le film. Odette (c'est le nom du personnage) se drogue, couche avec de nombreux partenaires d'une façon qui semble compulsive (en tout cas aux autres personnes de la même troupe de danse), disparaît parfois plusieurs jours sans prévenir personne... Autant de séquelles qui sont clairement identifiées et expliquées par exemple dans Le Livre noir des violences sexuelles, de Muriel Salmona, et qui expriment bien dans le cadre du film l'urgence de guérir, ce qui se fera, dans la narration mais aussi musicalement, par des retrouvailles entre l'adulte et l'enfant qu'elle a été (ces retrouvailles passeront par différentes étapes, dont la condamnation pénale de l'auteur des violences, et la communication d'Odette avec ses parents).

 "Ça ressemble à quoi un pédophile???", s'emporte le père quand la mère met en doute ce que leur fille, adulte, vient enfin de leur rapporter. Le film est aussi une réponse à cette question : un pédophile n'a pas nécessairement l'air d'un pédophile. Celui du film est un ami proche de la famille, père puis grand-père, bien intégré socialement et professionnellement, a "peut-être" subi des violences sexuelles dans sa jeunesse (comme la mère d'Odette le suggère entre autres tentatives de le défendre)... et, le public et Odette l'apprendront au moment du dépôt de plainte, a de nombreuses victimes (dont sa propre sœur, qui oppose au tribunal la prescription des faits au fait qu'elle-même revit l'agression tous les jours). Le film est incroyablement énergique, optimiste (c'est possible de s'en sortir, même quand le traumatisme dure depuis des années), mais ne verse à aucun moment dans l'angélisme : Odette n'obtiendra pas le soutien de sa mère (qui ira jusqu'à lui reprocher les conséquences de la plainte sur le violeur et sa famille), l'accusé à la barre dira qu'elle était consentante et qu'il ne comprend pas bien ce qu'il fait là, le secret est difficile à briser au point que les premières révélations faites à des proches ont en fait lieu dans l'imagination d'Odette, ...

 L'orfèvrerie dans le rythme de la narration, l'utilisation régulière de la danse comme support, sans parler de l'aspect autobiographique pour l'actrice principale et co-réalisatrice, donnent une force  particulièrement intense à ce film, à la fois lorsqu'il parle de douleur insupportable et lorsqu'il parle de reconstruction, et cette force est mise au service de la documentation et de la médiatisation d'un sujet trop mal connu (il est rappelé au moment du générique de fin qu'un enfant sur cinq est victime selon les statistiques du Conseil de l'Europe).

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