Dans ce
récit autobiographique, le journaliste David Sheff raconte l’enfer
qu’il a vécu, pendant des années, suite à l’addiction de son
fils aîné. De la peur ressentie, l’impossibilité de trouver la
bonne attitude (est-ce qu’il ne prend pas de risques inconsidérés
en étant trop sévère? en ne prenant pas assez l’incident au
sérieux? en n’étant pas assez dans une attitude d’écoute?) en
trouvant une première boulette de cannabis dans le sac à dos de son
ado de 12 ans au basculement bien plus définitif, quand Nic adulte disparaîtra pendant
plusieurs jours et admettra la consommation de méthamphétamines
(selon de nombreux·ses spécialistes consulté·e·s par l’auteur, cette
drogue se démarque des autres par les conséquences directes de sa
consommation et les difficultés du sevrage) pour arriver, de
nombreuses mais surtout interminables années plus tard, au soulagement
(relatif : même après 20 ans de sobriété, la rechute n’est
pas impossible). La difficulté de s’en sortir est telle que Nic a
fait une rechute après la sortie du livre, pourtant publié dans une
période encourageante : ce n’est que lorsqu’une psychiatre,
insatisfaite du fait de considérer les rechutes comme faisant partie
du processus, a pu faire un diagnostic de bipolarité et dépression,
qu’un traitement a pu être proposé et que la stabilisation a pu
être bien plus solide.
Si le
livre est très documenté (l’auteur a publié d’autres livres
sur le même thème), c’est avant tout son vécu de père que David
Sheff partage. Les éléments factuels même font d’ailleurs
partager son angoisse : les statistiques sont variables ("on ne
sait jamais si notre enfant va faire partie des 9, 17, 40, 50 ou je
ne sais quoi pour cent qui constituent la vraie proportion de ceux qui
s’en sortent") et le seul consensus et que l’adversaire est
d’une puissance formidable, il est d’autant plus difficile de se
renseigner sur les centres de désintoxication que c’est aussi un business juteux, les réponses ne sont satisfaisantes que
temporairement et amènent d’autres questions (certes la drogue
modifie le cerveau et c’est un raccourci d’en faire une question
de volonté, mais est-ce que ce ne serait pas aussi un raccourci
d’absoudre la personne dépendante de la moindre part de
responsabilité? et quel espace laisserait cette perspective aux
solutions à proposer?), les conseils, des proches et même des
thérapeutes, sont contradictoires, … Adroitement, l’auteur fait
rentrer dans l’introduction (Nic rentre pour les vacances d’été)
l’essentiel des éléments de son calvaire : le jeune adulte
joyeux, adoré de son frère et de sa sœur de 10 et 12 ans plus
jeunes, la peur glaçante quand il ne rentre pas à l’horaire
imposé, à essayer de garder son calme en attendant d’avoir des
nouvelles, l’esprit successivement se préparant au pire ou
recherchant des explications rassurantes, puis Nic apparaissant
enfin, menteur et agressif, avec les signes de consommation que son
père sait maintenant instantanément identifier.
Le récit,
tragiquement, tourne d’ailleurs beaucoup sur la répétition. La
défiance, la colère, l’espoir, la culpabilité (est-ce que le
divorce, dans de mauvaises conditions, y est pour quelque chose?
est-ce que fumer un joint avec Nic ado, dans l’espoir de le mettre en
confiance et de rompre le cercle du mensonge, a été un point de
non-retour?), et surtout la douleur, intense, reviennent
régulièrement. Le·a lecteur·ice devient vite familier·ère avec le rituel
d’appeler les commissariats et les hôpitaux à chaque disparition,
la consigne de ne jamais donner d’argent à Nic quel que soit son
récit parce qu’il le dépensera immédiatement pour consommer (Nic
ira jusqu’à voler l’argent de poche de son petit frère), le
poids sur l’ensemble de la famille de l’angoisse constante, les
périodes de sobriété en sortant de centre de désintoxication puis
la rechute, puis le combat éprouvant pour réussir à communiquer
avec lui pour le faire retourner en centre de désintoxication, …
Ce récit est aussi celui de l’importance de ne pas rester seul·e :
le fait que la famille soit soudée aide Nic mais aide aussi la
famille à tenir, le fait de briser le tabou et d’en parler permet
à l’auteur de découvrir que de nombreuses personnes de son
entourage sont dans une situation similaire mais le gardent pour eux,
les groupes de parole (Al-Anon) en plus d’offrir un espace
d’échange proposent des mantras qui sont parfois difficiles à
écouter (les trois C, "you didn’t cause it, you can’t control
it, you can’t cure it" -vous ne l’avez pas provoqué, vous ne
pouvez pas le contrôler, vous ne pouvez pas le soigner-) mais qui
sont salutaires à d’autres moments, …
Le livre
donne souvent l’impression d’être celui que l’auteur aurait
aimé lire pour traverser ces épreuves, qui l’ont amené à des
endroits dont il n’aurait jamais soupçonné l’existence (changer
les verrous de sa maison pour se protéger contre son propre fils,
être surpris de comprendre des gens soulagés que leur proche soit
en prison car au moins ils savent où il est et il est relativement
en sécurité, …). Il a d’ailleurs été beaucoup contacté par
des personnes concernées suite à sa publication, mais aussi suite à
un article qu’il avait écrit bien plus tôt pour le Times.
La fin est moins autobiographique et concerne plus les orientations
qu’il souhaite pour la lutte contre l’addiction en général,
soulignant que la criminalisation du problème a des effets
désastreux et que le fait de l’approcher comme une question de
santé publique (couverture des soins par les mutuelles, thérapies
correspondant aux conclusions de la recherche scientifique, …), en
plus d’être économiquement rentable, fonctionne (c’est la
direction prise par Obama avant que Trump ne fasse marche arrière).
En plus d’être bien écrit et documenté, le livre a le courage de
montrer à quel point les solutions existantes sont limitées, et
appelle à la compassion (et l’autocompassion!) pour les victimes
directes d’addiction et les proches.
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