dimanche 5 mai 2019

The Creative Connection, de Natalie Rogers



 Si riche que soit le travail de Carl Rogers, il faut bien admettre que la thérapie, en Approche Centrée sur la Personne, on est plutôt statique (du moins dans le sens où on reste assis·e, parce que le système nerveux végétatif a tendance à faire du rock acrobatique). Natalie Rogers l'optimise considérablement en y intégrant la création artistique : dans ce livre, la peinture, la sculpture, le chant, la danse, l'écriture, n'auront vocation ni au succès public et critique, ni même à soigner telle ou telle pathologie (encore que, quoi qu'en dise l'autrice, elle propose des applications spécifiques pour, par exemple, le deuil ou la résilience après des violences sexuelles), mais à permettre d'accéder plus pleinement à l'authenticité et à la connaissance de soi.

  Les objectifs sont donc les mêmes que dans la version classique de l'Approche Centrée sur la Personne, et les moyens coïncident aussi en grande partie... en particulier la présence empathique du ou de la thérapeute, et le non-jugement. Or, l'autrice le rappelle, en matière d'art, le non-jugement est un objectif ambitieux en soi! Entre l'habitude d'être évalué·e, en particulier avec le milieu scolaire, et la peur de ce qu'on va révéler de soi avec un médium qu'on ne maîtrise pas, les obstacles sont nombreux pour retrouver la spontanéité de l'enfant qui va sculpter, dessiner, chanter, sans trop se poser de questions. Natalie Rogers elle-même révèle avoir failli quitter au dernier moment un atelier (de chant, de mémoire) où elle s'était inscrite parce qu'elle ne se sentait pas compétente. L'un des moyens proposés pour se libérer de cette appréhension (en plus de rappeler aux participant·e·s que ce qu'iels vont créer leur appartient et qu'il n'est pas question d'accomplir une performance) est de multiplier les médiums dans un même exercice (de nombreux exemples sont proposés) ou encore de dessiner avec sa main la moins adroite, de commencer par écouter ses ressentis en prenant son temps avec une séance de méditation, de pratiquer l'écriture automatique (écrire pendant dix minutes ce qui passe par la tête, sans s'arrêter -en écrivant "je ne trouve rien à écrire" en continu aux moments où rien ne vient-, et sans se soucier du sens ni de la ponctuation), ... Si Natalie Rogers confie que ses séances durent généralement plutôt de une heure à une heure vingt, elle lève aussi l'éventuelle crainte du manque de temps en disant que ces exercices permettent plutôt en général d'accélérer le processus pour le client. Et, peut-être encore plus que dans une thérapie rogerienne classique, le·a thérapeute doit s'approprier ses éventuelles interprétations (dire "je perçois ça dans l'oeuvre" plutôt que "l'oeuvre représente ça"), pour éviter de créer des inhibitions ou de perturber le processus créatif, alors même que c'est une part de soi que le·a client·e révèle, et éventuellement découvre.

 La continuité avec les objectifs de la thérapie rogerienne est telle que j'ai été tenté de conclure ce résumé en disant que le livre resterait plus clair pour des lecteur·ice·s qui sont déjà familiarisés avec l'Approche Centrée sur la Personne... mais ça aurait été mettre de côté les chapitres qui expliquent magnifiquement, avec de nombreux exemples précis (souvent intenses), lesdits objectifs, de l'acceptation de ses parts d'ombre et leur intégration aux parts plus lumineuses, de la découverte, parfois dans un laps de temps très court, d'un aspect occulté de la personnalité qui se révèle avec une intensité et un sentiment de vérité insoupçonnables quelques instants avant, en passant par les enjeux sociaux de la bienveillance et de l'empathie, et par extension de l'action politique bienveillante et empathique, à la fois par un sentiment de connexion au monde et à chaque individu, et parce que, pour l'autrice, la Connexion Créatrice est un véhicule pour passer de l'émotion dormante au projet d'action. La façon dont les propositions de Natalie Rogers optimisent ces objectifs est tout aussi clair même si, comme pour l'Approche Centrée sur la Personne, la pratique est probablement le seul moyen de pleinement accéder au message transmis. Le livre est assez accessible (aux anglophones seulement, hélas...) pour pouvoir bénéficier aux thérapeutes qui voudraient enrichir leur pratique comme aux enseignant·e·s ou aux l'animateur·ice·s à la recherche d'activités ou aux personnes en quête de développement personnel et de différentes voies pour mieux se connaître.


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