mercredi 22 mars 2023

The Resilient Practitioner, de Thomas Skovholt et Michelle Trotter-Mathison

 


 

 L'activité de thérapeute est exigeante à plusieurs niveaux, et souvent relativement solitaire. Ce livre, qui annonce sur la couverture concerner la "prévention du burn-out et de la fatigue compassionnelle et des stratégies pour prendre soin de soi pour les professions d'aide" a attiré mon attention : ça me paraît plus prudent de me préoccuper du sujet avant de percevoir chez moi ou chez d'autres (les thérapeutes ont souvent la particularité de connaître d'autres thérapeutes) des signes que la situation est déjà urgente. Le livre concerne d'ailleurs les professions d'aide en général (médecins, infirmier·ère·s, enseignant·e·s, travailleur·es·s sociaux·ales, ou encore avocat·e·s), qui se trouvent être celles qui sont exposées au burnout tel qu'il est généralement défini (mais dans ce résumé je vais faire comme si seul·e·s les thérapeutes étaient évoqué·e·s sinon ça va faire des phrases très longues).

 Sentiment d'impuissance, agressivité des client·e·s (jusqu'au risque d'agression physique), exposition répétée à des récits de traumatismes, ou même risque de poursuites judiciaires, pas besoin d'avoir consacré un doctorat au sujet pour se rendre compte que l'activité de thérapeute peut être éprouvante. Pour autant, prendre de la distance et se constituer une armure est une fausse solution : c'est aussi l'engagement dans la rencontre avec l'autre qui rend la pratique gratifiante et permet, précisément, de faire face au reste. Pour l'auteur et l'autrice, le·a thérapeute doit se comparer à une tortue : une carapace solide, mais associée à une autre face plus tendre qui est tout aussi nécessaire. Même sans rencontrer de difficulté spécifique, les capacités, parfois contradictoires, à créer une relation (la relation Je-Tu de Buber est une référence qui revient souvent) et à accueillir la séparation sont d'ailleurs nécessaires, à moins d'avoir affaire aux mêmes personnes pendant toute sa carrière, ce qui ne doit pas concerner grand monde. Face aux situations les plus dures, il faut aussi accepter, point particulièrement délicat, d'avoir (et de poser!) des limites, voire de faire des erreurs ("parfois, on se sent inefficace, et le sentiment correspond à une réalité : on est inefficace!"). S'il s'achève sur un chapitre plus directif et synthétique, le livre consiste surtout en de nombreuses listes, de points de vigilance et de ressources à créer et solliciter, pour tenir sur le long terme et réaliser les promesses d'épanouissement qui étaient a priori à l'origine de la vocation.

 Une session est consacrée aux difficultés spécifiques des débutant·e·s, confronté·e·s au passage de la théorie à la pratique, ce qui revient en substance à passer de recommandations générales à des situations bien plus spécifiques qui demandent une adaptation propre, mais aussi à l'enseignement (et l'évaluation!) de pair·e·s qui se trouvent être humain·e·s et peuvent donc aussi avoir leurs défauts (dogmatisme, exigences inadaptées ou trop élevées, voire incompétence). L'auteur et l'autrice ont pu observer dans leurs recherches que les étudiant·e·s avaient tendance à ressentir des émotions vives, qu'elles soient positives ou négatives, dans leur relation avec les formateur·ice·s... ce qui a aussi l'avantage de confirmer que leur rôle est important : la sensation d'avoir un impact ou de ne pas en avoir est un élément intimement lié au sujet du livre, ce qui peut avoir l'effet insidieux de pousser à aller chercher, plus ou moins consciemment, les élèves ou les client·e·s les plus gratifiant·e·s. Livre dans le livre, un chapitre de 70 pages présente les résultats des recherches de l'un des auteurs (Thomas Skovholt) avec Michael Ronnestad, qui le coécrit, sur l'évolution des thérapeutes tout au long de leur carrière (ils ont d'ailleurs publié deux livres sur le sujet). Si le thème est légèrement distinct, c'est intéressant de voir les points qui se recoupent, dans la mesure où la carrière de thérapeute implique de faire face à des difficultés et de rechercher des ressources. Il est, là encore, souvent question d'équilibre, entre confiance en soi et perfectionnisme, investissement  et respect de ses limites... Bonne nouvelle, les résultats poussent à l'optimisme, les thérapeutes âgé·e·s semblent généralement satisfait·e·s de leur carrière.

 Le guide est à la fois complet, humain, accessible, et semble plutôt exhaustif ou en tout cas brasse large (il est même question par exemple des ressources financières, sujet qui ne va pas de soi voire qui peut être tabou dans une profession où l'humain est au centre et où on a potentiellement soi-même affaire à un public particulièrement défavorisé, mais qui est pourtant difficilement contournable dans la mesure où les revenus sont liés au moins implicitement à la reconnaissance et où en dessous d'un certain niveau de vie c'est plus compliqué de prendre soin de soi -par contre, j'ai trouvé les recommandations décevantes... en exagérant à peine il est surtout recommandé de dépenser moins-). Il me semble par contre qu'il n'est malheureusement pas traduit.

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