mardi 28 mars 2023

The dynamics of power in counselling and psychotherapy, de Gillian Proctor

 


 Sensibilisée aux enjeux de pouvoir au cours de sa formation, de par ses convictions, ou encore son expérience de client·e (elle évoquera en particulier son expérience de l'ACP et d'une thérapie de type analytique) et de thérapeute ("en tant que psychologue clinicienne en formation, le pouvoir et le statut d'experte qui m'étaient donnés sur des clients en détresse qui me demandaient de l'aide me mettaient dans un inconfort constant, et je m'inquiétais de la facilité avec laquelle je pouvais abuser de ma position"), l'autrice a entre autres codirigé Politicizing the person-centred approach. Certains retours ayant argumenté que la suite logique était de renoncer à l'outil oppressif qu'est la psychothérapie, elle développe ce sujet spécifique dans ce livre qui en est à sa seconde édition. 

 Le livre s'ouvre sur un développement théorique et complexe (en même temps, elle avait prévenu dans l'intro... elle a même dit qu'elle avait fait des efforts) sur les multiples dimensions que recouvre la notion, d'apparence simple, de pouvoir. De nombreuses approches, qui par ailleurs ne se recoupent pas forcément (Marx, Hobbes, ...), décrivent le pouvoir comme unilatéral et forcément négatif. Le postmodernisme, critique aussi, est plus complexe (Foucault est beaucoup cité, avec une observation, sinon ce serait trop simple, de l'évolution de sa pensée). Cependant, on peut aussi donner, restituer du pouvoir, ou en acquérir. Le pouvoir peut être sur l'autre mais aussi sur soi. Le féminisme intersectionnel, par exemple, articule plusieurs de ces aspects, comme la multiplicité des systèmes d'oppression (capitaliste, patriarcal, raciste, ...), théorise le fait que la prise de pouvoir individuelle peut avoir ses limites (voire renforcer le système d'oppression que la personne a au moins partiellement surmonté), mais célèbre aussi la force du collectif et la capacité de lutter. Ce résumé n'est bien entendu qu'un aperçu du chapitre, mais je vais m'arrêter là entre autres pour limiter les risques de contresens sur l'une des nombreuses réflexions qui le constituent. 

 Tout en étant critique sur la thérapie nécessairement inscrite dans une société inégalitaire (elle précise d'ailleurs que selon elle, plus une société est inégalitaire, plus la psychothérapie est proposée aux personnes qui en ont le moins besoin) et en argumentant solidement sur les aspects qui appellent à une vigilance particulière (sa critique par exemple de la psychiatrie telle qu'elle est théorisée et pratiquée rappelle par plusieurs aspects ce livre là, elle observe en particulier qu'alors que certaines pathologies sont selon l'état de la science provoquées ou renforcées par un manque de pouvoir, le réflexe de la psychiatrie est de retirer du pouvoir aux patient·e·s, et en particulier aux patientes), l'autrice n'invite bien entendu pas à tout arrêter. Ses observations se concentreront sur trois approches : les TCC, l'ACP, et les théories de type analytique. Si les TCC attachent une importance explicite à la relation thérapeutique, dans la mesure où l'adhésion des client·e·s au programme proposé est un critère essentiel de la réussite, l'asymétrie reste forte : la dite relation thérapeutique consiste surtout à expliquer à la personne concernée pourquoi le programme proposé par le·a thérapeute, qui peut brandir la science (Foucault revient, pour le plus grand bonheur des personnes qui ont tout suivi dans le chapitre compliqué) pour se légitimer, constitue la marche à suivre. Des critiques plus techniques sont faites, justement, sur l'appui sur des publications scientifiques, dont le fait que certains biais amènent à surestimer l'efficacité évaluée ou que cette culture de l'évaluation permet à cette approche d'avoir un poids institutionnel disproportionné. L'ACP a de loin, sur le sujet traité, la préférence de l'autrice (et elle a bien raison) (il va de soi que je ne dis absolument pas ça parce que je suis formé à cette approche), même si elle en relaye certaines critiques, l'une pour la contester (Carl Rogers se souciait bien du pouvoir des groupes et des dynamiques sociales de pouvoir, même si c'était plus explicite à la fin de sa carrière), l'autre pour la nuancer (elle évoque le dialogue entre Rogers et Buber dont je parle ici -et dans mon mémoire, aussi-) en relayant le propos d'un auteur qui argume que la divergence de point de vue vient peut-être d'une compréhension différente de la notion de pouvoir. Les réflexions sur la psychanalyse sont nécessairement plus complexes dans la mesure où, que ce soit dans la théorie et dans la pratique, tou·te·s les psychanalystes n'ont pas le même rapport au pouvoir dans ses différents aspects! Pour ne rien arranger, l'autrice vient à la toute fin complexifier sa propre expérience, très éclairante, de cliente (elle pouvait contester les interprétations et c'était bien accueilli, mais qu'elle remette quelque chose en question dans l'attitude de la thérapeute, qu'elle veuille arrêter la thérapie, et c'était la faute du contre-transfert, ce qui avait pour conséquence une invitation à la remise en question très très unilatérale) en disant qu'elle était récemment retournée voir la même thérapeute avec un tempérament différent et qu'elle n'observait plus la même chose (elle ne dit pas, par contre, si elle s'est demandé si la thérapeute avait elle aussi changé de tempérament ou même évolué dans sa pratique).

 L'autrice annonce avoir voulu proposer un livre accessible à tout·e·s et... disons que ça dépend ce qu'on entend par accessible. Je suis thérapeute et sensible au sujet et, en dehors du fait que j'ai du parfois franchement froncer les sourcils, je sais que je n'ai saisi qu'une parti des subtilités du développement. Mais d'un autre côté, il n'y a absolument pas besoin de tout comprendre pour avoir, en tant que client·e, un éclairage sur une colère éveillée par un séjour en psychiatrie ou des éléments pour choisir un·e thérapeute plus respectueux·se de l'ensemble des dimensions de sa personne (par contre, en attendant une traduction, il va falloir être anglophone).

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