samedi 10 février 2024

Person-Centred Experiential Counselling for Depression, de David Murphy


 

 Un petit point pratique avant de commencer : j'ai pris ce livre parce que je ne trouvais pas celui de Pete Sanders et Andy Hill sur le sujet, et c'est en fait le même, sauf que la seconde édition a impliqué un changement d'auteurs. On peut donc considérer ce livre comme une collaboration de Pete Sanders, Andy Hill et David Murphy (et par la même occasion se réjouir d'avoir une édition aussi récente -2019-, en particulier pour la revue de littérature scientifique qui figure dans le dernier chapitre).

 L'Approche Centrée sur la Personne est polyvalente : son nom semble flou, ce qui peut être frustrant quand (un exemple au hasard) on cherche à la présenter pour démarrer une activité, mais il devient pour le moins clair quand on l'oppose aux approches centrées sur les symptômes. En effet, ce qui est proposé aux client·e·s est une écoute empathique, et en aucune façon un mode d'emploi pour se débarrasser de telle ou telle souffrance ou pathologie, qui impliquerait une vision normative de ce en quoi aller mieux consiste, mais aussi une détermination très arbitraire de ce qui est important pour la personne accompagnée. Certaines figures de l'ACP, en cohérence avec ce principe, ont donc un point de vue assez virulent sur le concept de diagnostic, dont... Pete Sanders (co-auteur de la première édition) qui donne assez régulièrement (articles, conférences, ...) son point de vue sur le sujet. A titre personnel, sans en remettre en question la légitimité, je n'adhère pas à cette vision (pour moi le diagnostic est un outil parmi d'autres, qui peut parfaitement être utilisé conformément aux principes de non-directivité et d'autodétermination du ou de la client·e... le sens qui lui est donné par la personne accompagnée, par exemple, est en soi un élément de compréhension important qui peut être mis au service de l'écoute), et je ressentais le besoin de savoir, depuis mes connaissances par ailleurs floues, si cette approche était pertinente pour les personnes dépressives : est-ce que le ralentissement cognitif permet 45 minutes, 1 heure d'écoute dans de bonnes conditions? Est-ce qu'une personne qui potentiellement a du mal à trouver l'énergie de s'habiller ou de sortir de chez elle peut voir un intérêt dans la perspective de parler, fut-ce avec un·e thérapeute, le temps d'une séance? Est-ce que le contact avec ses émotions, dans ces conditions, est possible et peut apporter quelque chose, est-ce qu'au contraire une difficulté à les contacter peut augmenter le découragement et le désespoir?

 La réponse à cette question semble être... oui! Si une méthode spécifique, celle dont il va être question dans le livre, a été mise au point (celle qui donne son titre au livre!), ça semble surtout être pour des besoins institutionnels, pour pouvoir être prescrite ou proposer des formations aux professionnel·le·s, tant, et ce sera confirmé dans les vignettes cliniques (pour des raisons de mise en page, une part importante d'entre elles est illisible sur la liseuse à moins de disposer d'un microscope, préférez la version papier), elle consiste en l'application des fondamentaux de l'Approche Centrée sur la Personne : une écoute empathique qui respecte le rythme du ou de la client·e et l'amène à explorer ses émotions dans la temporalité qui lui convient. Les vignettes cliniques rappellent aussi que cette écoute n'a rien d'un automatisme, qu'elle implique une réflexion en temps réel, une observation fine et des prises de décision actives et constantes. Une dizaine d'hypothèses sont présentées pour expliquer la dépression selon ce modèle, qui relèvent le plus souvent d'une contradiction intérieure (écart entre la vie qu'on a et la vie qu'on estime qu'on devrait avoir, conflit entre différents aspects de la personnalité, ...), mais elles ne seront pas activement exploitées. Ce suivi a toutefois des spécificités, comme l'importance de connaître les médicaments proposés en cas de dépression, leurs effets et surtout leurs effets quand le traitement est arrêté, pour pouvoir mieux accompagner les client·e·s dans leur vécu, ou encore, quand un nombre de séances limité est prescrit, de faire confiance aux client·e·s pour exploiter au mieux cette temporalité imposée et donc ne pas chercher à influer le rythme de la thérapie, même avec une bonne intention (l'auteur précise par ailleurs que l'ACP ayant pour objectif le développement de la personne, et non l'atténuation de symptômes, les effets pourront se prolonger après la fin du suivi).

 C'est semble-t-il un passage obligé dans un livre britannique sur l'ACP, mais il sera énormément question des institutions et de la place que l'ACP doit y prendre ou refuser d'y prendre. Quel sens peut avoir, dans un système de santé qui fonctionne à l'opposé de l'ACP (tel traitement doit pouvoir être mis en face de telle pathologie pour pouvoir être légitimé et proposé), une telle approche? Est-ce qu'elle doit tout de même chercher à s'inscrire dedans pour gagner en légitimité institutionnelle, voire comme un cheval de Troie pour modifier le système de l'intérieur, ou est-ce que chercher à rentrer dans les cases, même avec de la vigilance, risque d'aboutir à ce que ces spécificités soient écrasées. L'auteur rapporte par exemple des témoignages de formateur·ice·s qui observaient le soulagement de soignant·e·s à être formées à cette approche plutôt que d'appliquer les protocoles des thérapies comportementales et cognitives.

 Concernant l'efficacité de l'approche... c'est compliqué à déterminer parce que la science, c'est compliqué. L'auteur présente de nombreux résultats de méta-analyses, mais c'est difficile d'en tirer des conclusions fermes car la qualité des études, voire ce qui est évalué (dans de nombreux cas, ce qui est en fait évalué est l'efficacité des approches expérientielles en général, souvent l'ACP, la Gestalt-thérapie et l'Emotionally Focused Therapy, plutôt que l'ACP spécifiquement), varie beaucoup d'une recherche à l'autre. Ce qui a le plus retenu mon attention (parce que c'était en lien avec ma question de départ!) est une étude observant une efficacité pour les dépressions d'intensité faible ou modérée, mais pas pour les plus sévères.

 Le livre a la spécificité de rentrer dans le détail du fonctionnement de l'ACP et surtout de la compréhension du psychisme qui la sous-tend, ce qui sera redondant pour les personnes déjà spécialistes mais en font un livre qui a tout intérêt à être recommandé à des thérapeutes qui s'intéressent de façon plus générale aux diverses approches qui peuvent être proposées pour aider les personnes dépressives.

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