samedi 3 février 2024

The Science of Trust, de John Gottman


 Le prestigieux et très actif chercheur et thérapeute de couple John Gottman livre ici un travail sur le sujet de la confiance dans le couple, un sujet à la fois évident à circonscrire et fondamental... du moins, c'est ce qu'on pourrait penser avant la lecture du livre. Après la lecture, le sujet semble tout aussi fondamental sinon plus, mais complexe et multidimensionnel.

 Si les précédents livres de John Gottman que j'ai lus sont pragmatiques, pertinents et extrêmement accessibles, il devient évident que celui-ci va être bien plus ardu quand l'auteur commence à aborder le sujet par le biais du modèle mathématique de la théorie des jeux. J'avoue ne pas m'être assez méfié quand il révèle qu'avant de bifurquer vers la psycho, il était étudiant en mathématique et que cette vision lui a permis de renouer avec son ancienne passion, mais la réalité m'a vite rattrapé. Pour autant, même s'il va effectivement être question d'équations (mais pas autant qu'on pourrait s'y attendre), les réflexions restent ancrées sur des enjeux extrêmement concrets. Si le détour par l'histoire des mathématiques évoque deux stratégies opposées étudiées en théorie des jeux (gagner en ayant moins de pertes que l'adversaire, ou gagner en ayant plus de gains), c'est pour mieux revenir sur deux façons de vivre le couple en particulier dans la résolution de conflits (pour une simplification extrême -parce qu'il faut aussi que je fasse avec ce que j'en ai compris et retenu-, ne céder sur aucun compromis au risque de ne pas être en mesure d'en demander non plus, ou chercher des changements qui conviennent mieux à chacun·e-), la seconde augurant d'une vie de couple bien plus heureuse que la première.

 Les développements qui ne s'appuient pas sur les maths restent complexes, parce qu'ils restituent les observations et questionnements fins d'un expert. Le·a lecteur·ice se verra par exemple proposer des éléments très détaillés sur ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas dans la résolution de conflit (pendant le conflit donc à très court terme mais aussi sur l'impact sur le couple à plus long terme), qui auront le défaut de profiter surtout à des couples hétéros car très genrés (cette limite, dont l'auteur a conscience, concerne un seul chapitre). Même dans l'extrême immédiateté d'une dispute, où les capacités de prise de distance, l'auteur le souligne régulièrement, sont fortement détériorées par l'état de détresse, la confiance est un enjeu majeur : comment s'apaiser sans avoir la sensation d'être pris·e au sérieux, que les engagements vont être tenus? D'autant que, ça a été observé rigoureusement, les blessures gardées pour soi pèsent lourdement sur la relation : éviter les conflits, ça peut être une fausse bonne idée qui aura un impact conséquent pour la suite. L'auteur rappelle par ailleurs ce qu'il suggérait fortement dans ce livre : si le couple s'éloigne imperceptiblement du fait des tensions, plus rien ne les rassemblera une fois les problèmes résolus, ce qui aboutira un échec difficile à comprendre pour les personnes concernées et potentiellement aussi pour le·a thérapeute ("tout est réglé, pourquoi ça ne marche pas?"). Manifestation (conséquence?) de l'éloignement parmi d'autres, la projection dans une autre relation ou la recherche d'autres relations (abrégée par CL-ALT, "currently looking at alternatives") est très longuement commentée et est un signal d'alarme qui appelle à une grande vigilance. L'auteur précise qu'une relation entretenue avec quelqu'un d'autre, même sans aller jusqu'à l'adultère, a nécessairement des conséquences : même si le secret n'est pas découvert, le simple fait de garder un secret change l'attitude dans la relation. En cas d'adultère, dont l'auteur précise qu'il peut générer des séquelles comparables au stress post-traumatique, ou autres trahisons de même importance, le besoin de réparations et les demandes qui vont avec doivent être respectés de façon non-négociable. Gottman va jusqu'à préciser que, alors que la règle en thérapie de couple est généralement de préserver l'équité dans les échanges, dans cette situation c'est à la personne trahie de s'exprimer de façon unilatérale, et c'est alors cet équilibre là que le·a thérapeute devra préserver pour que le couple ait une chance de se remettre.

 Je n'ai abordé qu'une partie des thèmes abordés dans ce livre, et encore je les ai à la fois esquissés et grossièrement simplifiés. Le livre est riche, dense, et s'appuie sur une grande expertise. Il reste bien entendu lisible sans avoir un doctorat en thérapie de couple, mais il y a largement de quoi faire plusieurs lectures et prendre beaucoup de notes. Les thérapeutes de couple les plus chevronné·e·s sont assuré·e·s d'y trouver de quoi nourrir leurs réflexion et ajuster leur pratique.

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