Dans ce livre, Rollo May partage ses réflexions sur, vous ne le devinerez jamais, l'amour et la volonté, qui sont selon lui les piliers d'une vie épanouissante, dont l'absence mène à l'apathie puis, conséquence du sentiment d'impuissance à mener sa propre existence qui en découle, à la violence. C'est d'ailleurs en interpellant l'un de ses clients, écrivain, souffrant de l'angoisse de la page blanche (puis, dans la vignette clinique suivante... d'impuissance) sur sa colère que l'auteur lui fait prendre conscience de sa complaisance à rester dans la plainte plutôt qu'à se responsabiliser de sa situation.
May inscrit ses réflexions dans un contexte social : le progrès technologique, qui permet de surmonter d'innombrables difficultés, met aussi dans une situation de passivité. En effet, les personnes qui en bénéficient n'ont plus à chercher en elles des ressources pour surmonter les problèmes d'hier qui aujourd'hui n'en sont plus, passivité redoublée par le fait qu'elles ne sont pour rien dans les avancées technologiques dont elles bénéficient. L'auteur déplore aussi que la sexualité, qui auparavant était entravée par des barrières morales, est aujourd'hui (aujourd'hui en 1969) (oui, c'est la vraie année de parution, ce n'est pas moi qui ai fait une blague avec 69), entre l'accès massif à la contraception (dont il dit qu'il serait aberrant de ne pas se réjouir en soi) et la libération des mœurs, dévalorisée, voire désacralisée : ce n'est plus une entrée forte dans une vie affective pleine de sens, mais au contraire un moyen de ne pas s'engager dans une vraie vie affective.
Si j'arrive à suivre l'auteur dans une certaine mesure sur ces éléments là, j'ai comme pour son livre précédent certaines réserves sur ces réflexions qui évoquent plus l'éditorialiste que le thérapeute, et qui semblent considérer la société (et les personnes qui la composent!) comme un bloc monolithique, ce qui semble pour le moins paradoxal pour un proche de Carl Rogers. Impossible de ne pas me demander, par exemple, ce qu'il pense du fait qu'il y a des personnes asexuelles a priori épanouies, alors qu'il écrit des pages et des pages sur la sexualité comme passerelle vers l'amour, lui-même indispensable à une vie profonde et véritablement heureuse (il décrète aussi que l'amitié n'existe plus parce qu'on n'a plus le temps, et que du coup certaines personnes ont des relations homosexuelles parce qu'elles ne peuvent plus rentrer en relation authentique avec d'autres personnes qui auraient dû être des amies -philia-... disons que ce n'est pas la vision la plus convaincante des relations humaines que je n'ai jamais lue).
Si le propos général reste plutôt clair et facile à saisir, Rollo May rentre en profondeur dans les nuances des concepts qu'il mobilise, et les relie bien sûr aux enjeux existentiels qui sont au centre du livre (et a priori de son œuvre en général). Il distingue par exemple la volonté du souhait (qui devient réalisable à partir du moment où il existe donc met en mouvement) et de l'intentionnalité (il critique fortement les comportementalistes qui n'en voient que la manifestation musculaire à travers le geste qui suit l'intentionnalité, pour lui c'est un mouvement qui engage le psychisme dans son ensemble), ou encore explique longuement dans quelle mesure la vision psychanalytique de la sexualité comme pulsion lui semble erronée. Une complexité particulièrement appropriée, et argumentée ce qui permet aussi de se positionner, pour l'articulation entre philosophie et psychothérapie propre à la thérapie existentialiste.
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