Titre pas original ni contrariant, joli dessin de Noël sur la couverture (intitulé La lecture de Grand-Maman )... ça sentirait pas un peu la guimauve? Oui, mais sur la couverture il y a aussi le nom de l'autrice, Anne Ancelin Schützenberger, Mme Psychogénéalogie, Mme Psychodrame, qui a fait une partie de son analyse didactique avec Dolto et travaillé avec des élèves directs de Kurt Lewin, qui nous écrit du haut de ses 90 ans, alors le moins qu'on puisse dire c'est qu'on ne risque pas grand chose à aller plus loin.
Et, si l'agréable et magnifique avant propos constitue un éloge des petits (et pourquoi pas des grands) plaisirs du quotidien ("ce plaisir de vivre améliore la situation quelle qu'elle soit"), même (presque surtout) à un âge avancé ("les petits rien de la vie sont la terre de l'existence. Quatre plaisir par jour, tous les jours, redonnent du sel à la vie"), ce livre à l'argumentation (la narration?) étrangement articulée nous guidera vers une façon d'exister qui limite les effets du cancer (le vrai cancer qui se soigne avec des chimios, pas le cancer métaphorique qui désigne tout truc d'abord insidieux qui pourrit l'existence de façon de plus en plus inéluctable). Et le mot de la fin ("Pour guérir, il faut vouloir guérir. Pour vouloir guérir, il faut avoir envie de vivre. On a d'autant plus envie de vivre qu'on a réellement affronté la mort, qu'on s'est découvert soi-même, ses possibilités et sa voie.") fait tout de suite moins guimauve que la couverture.
L'avant-propos est suivi par un développement sur le concept de sérendipité avec des exemples vécus, un récapitulatif des recherches effectuées, un résumé du conte Les trois Princes de Serendip, ... La sérendipité est une réceptivité aux coïncidences heureuses et décisives. Les Princes de Serendip ont en effet une vie remplie de ce genre d'évènements, qui permet si mes souvenirs sont bons (oui là maintenant j'ai la flemme de relire) de sauver le monde, entre autres, dont, comme il se doit, une princesse. En même temps ils trichent un peu, non seulement ce sont des princes mais ce sont aussi des personnages principaux de conte (et en plus ils sont trois, ce qui a tendance à être bien vu dans les contes, mais ça c'est compliqué à expliquer à son·a conjoint·e). Qu'est-ce que ça fait entre un avant-propos et un récit autobiographique? La conclusion est que si seul le hasard peut initier les coïncidences, on ne peut en bénéficier que si on sait les saisir. Cette conclusion est une grille de lecture qui explique l'intérêt du parcours de vie raconté ensuite.
Histoire et géographie ont en effet pas mal promené Anne Ancelin Schützenberger. Départ aux Etats-Unis (où elle découvrira plus tard la psychologie sociale qui ne s'appelle pas encore comme ça mais surtout le psychodrame) annulé par trois fois (dont une par la seconde guerre mondiale)... mais si elle était partie plus tôt, ses aller-retour entre Europe et Amérique alors que la psychologie cherche à se définir auraient-ils été si décisifs? Mari rencontré à une soirée entre étudiant·e·s où elle se sentait obligée d'aller et voulait ne faire que passer... parce qu'elle avait un rendez-vous galant programmé ce soir là (il a dû passer une bonne soirée, lui!). Contacts avec des universitaires influents indirectement obtenus grâce aux réseaux constitués en tant que résistante puis bénévole. Recherche financée par un chercheur rencontré à une journée de conférences... où elle était de passage un quart d'heure avant de prendre l'avion. Rencontre avec Moreno (créateur du psychodrame) qui a mal démarré (une amie, estimant qu'il était indispensable qu'elle le rencontre, la "kidnappe" et lui fait faire dix-huit heures de voiture au prétexte d'une petite course, ce qui n'empêche pas l'intéressée d'estimer encore aujourd'hui "j'ai horreur des surprises, des cadeaux, et de ce que l'on fait pour moi sans me prévenir ni me demander mon accord") et s'est mal terminée (une conférence de très grande ampleur sur le psychodrame, initialement organisée en Hongrie, a dû être déplacée en panique en Autriche... sauf que rien en Autriche n'a été financé, et Moreno fait le sourd quand les organisateurs frappent à la porte de sa chambre d'hôtel en disant qu'ils doivent tout annuler si personne ne passe à la caisse... Schützenberger, dos au mur, dépense sa propre épargne et s'endette, ce qui lui vaut... la rancœur de Moreno qui ne lui reparlera que sur son lit de mort -cet épisode n'y sera pas évoqué-). En fait de chercheuse, Anne Ancelin Schützenberger ne serait qu'une plume ballotée par le vent, qui n'a rien trouvé mais qui a été trouvée par ses découvertes? Oui mais... si elle avait renoncé à son voyage aux Etats-Unis après trois coups du sort? Si elle n'avait pas relevé le challenge quasi imposé d'organiser des conférences sur le psychodrame en Europe (elle reçoit une plaquette présentant la conférence... et découvre qu'elle y est désignée organisatrice!)? Si les conditions matérielles difficiles de l'après-guerre l'avaient conduite à sécuriser carrière et salaire (elle travaillait au départ dans le droit des assurances) plutôt que de reprendre des études, au détriment du niveau de vie de son jeune couple? Le tout est raconté dans un style très simple (une feinte? "Les gens sont très gentils, quand on est plein de bonne volonté mais un peu stupide, ils vous aident beaucoup. Alors que si on est intelligent, ils ont peur de vous. Ainsi je dis : je ne comprends pas... Et ils expliquent. Ils rentrent dans les détails.") qui rappelle Candide sans l'ironie. La simplicité sera d'ailleurs un élément important dans son approche de la thérapie du cancer ("tout le monde se méfie toujours des choses simples, gratuites et pleines de bon sens").
Marquée par la mort de sa cousine d'un cancer duquel tout était réuni pour qu'elle survive ("bonne chimiothérapie", "opération réussie" "à Paris par les princes de la cancérologie", elle-même "médecin", "directrice d'un centre de recherche médicale", "mère de famille, grand-mère, sportive, très épanouie, l'image de la joie, de la bonne humeur"), elle s'est intéressée aux travaux de chercheur·se·s (en particulier Carl Simonton et son épouse Stephanie Matthews) qui se demandaient ce qui différenciait ceux·elles qui survivaient de cancers réputés incurables des autres patient·e·s. Le développement qui suit, l'essentiel du livre à mon avis, convoque d'autres chercheur·se·s et l'expérience clinique personnelle d'Anne Ancelin Schützenberger. L'essentiel consiste à développer un projet de vie ("ceux qui étaient soignés dans des hôpitaux parlaient de survivre, alors que ceux qui utilisaient la méthode Simonton en plus parlaient de vivre")... et à savoir être égoïste! D'une part prendre conscience des bénéfices secondaires de la maladie (le·a patient·e a-t-iel une raison de vouloir mourir?), ce à quoi la psychogénéalogie aide considérablement (loyauté invisible, script de vie inconscient, ...). D'autre part, parler de ses souffrances quand le besoin s'en fait sentir (tant pis pour l'autre s'iel n'est pas disponible pour accueillir cette douleur) et élaborer des projets, ce qui va d'être acteur·ice du projet de soin ou prévoir de réaliser un rêve (perdu pour perdu, une patiente au stade terminal a quitté l'hôpital pour faire le tour du monde qu'elle avait toujours voulu faire... et a miraculeusement guéri) à se ménager des moments de plaisir chaque jour (écouter de la musique, manger un carreau de chocolat...), même si les circonstances ne semblent pas s'y prêter (les moments de plaisir se voient... prescrits par l'équipe soignante -"on les "oblige" donc à faire des choses agréables"-). En plus de ça, la méditation plusieurs fois par jour est capitale, pour se représenter les mauvaises cellules redevenir bonnes mais aussi mieux supporter la douleur ("quand on est trop angoissé ou quand on a mal, on ne peut plus consacrer ses forces à guérir").
Toutefois, Anne Ancelin Schützenberger prend bien soin de préciser ce qu'elle ne dit pas ("Ne me faites pas dire qu'il suffit de changer de manière de penser et de vivre, de manger, de renverser la vapeur pour sauver tous les malades. Je ne le dis pas, et ne le pense pas"). Et, point essentiellissime, il est précisé que cette méthode (ces méthodes) ne dispensent pas d'un traitement médical conventionnel ("cette méthode est une méthode adjuvante de la médecine classique"), même si la méditation est infiniment plus sexy que la chimiothérapie. Non parce que je vous entends d'ici, dire qu'avec Isabelle Filliozat je suis tellement énervé qu'on m'entend crier à travers l'ordinateur (et encore je n'ai pas lu le livre où elle parle expressément de psychosomatique) alors que là je suis béat d'admiration:p Ma première réaction à toute explication psychologisante du cancer est d'ailleurs la défiance, car cette explication est à la fois trop commode et insupportable par ce qu'elle sous-entend (n'auraient de cancer que ceux·elles qui le veulent bien). De formation scientifique, Schützenberger cite quelques études avec des chiffres en plus de ses cas cliniques. Mais, bien qu'elle relève qu'un chercheur... ayant voulu démontrer le contraire a validé scientifiquement les bienfaits de cette méthode (et que les cas cliniques présentés pour des raisons pédagogiques donnent une impression de quasi-infaillibilité), elle reste très humble sur son évaluation des guérisons effectives ("on peut passer de 46 à 49% de guérison à un peu plus, mettons 50 à 51%"), ce qui ne l'empêche pas de parler, quelle que soit l'issue, d'une grande amélioration de la qualité de vie ("il s'agit de rendre au malade la paix de l'âme et du cœur et de lui permettre de vivre pleinement ce qu'il vit, et souvent alors la stabilisation, la guérison, arrive de surcroit").
Vous l'aurez compris, c'est un livre que je recommande, qu'on se destine à être soignant·e ou pas et, bien entendu, même si on est en bonne santé! Facile à lire, il peut aussi s'offrir à quelqu'un qui n'y connaît rien en psychologie.
Vous l'aurez compris, c'est un livre que je recommande, qu'on se destine à être soignant·e ou pas et, bien entendu, même si on est en bonne santé! Facile à lire, il peut aussi s'offrir à quelqu'un qui n'y connaît rien en psychologie.
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