Tiré d'une conférence de l'auteur, dont le contenu a été
développé en fonction des interventions du public, le livre a, même
s'il est admis que c'est impossible, l'ambition d'être exhaustif et
concis. D'un côté, personne ne niera qu'il est concis : ses 55
pages se lisent très vite.
L'ambition d'exhaustivité sera surtout servie par la précision du
message : le titre n'est pas uniquement une accroche
provocatrice ou un truc facile à retenir pour inciter à l'achat,
mais le thème du livre. Si les bases de la psychologie sociales sont
rappelées, l'objet est d'expliquer que nous sommes tou·te·s concerné·e·s
par les stéréotypes, et que ça peut parfaitement être
involontaire et inconscient ("que je le veuille ou non, je possède
une série de stéréotypes concernant les femmes, les maghrébins,
les juifs, les travailleurs sociaux, les artistes, etc."), même
quand ça aboutit à des discriminations.
Le livre commence par un rappel du vocabulaire de base, ce qui est
plutôt une bonne idée, ça permet par exemple de comprendre la
phrase "les stéréotypes sont moins prédicteurs de la
discrimination que ne le sont les préjugés". En fait, les préjugés
désignent l'aspect affectif de l'attitude (bien/mal, j'aime/j'aime
pas). Par exemple, j'adore les personnes qui sont nées un mardi. Les
stéréotypes concernent la partie cognitive de l'attitude, je prête
telle ou telle caractéristique au sujet (les gens qui sont nés un
mardi sont doués en informatique et fans de Maria Carey). Enfin, la
discrimination désigne ce qu'on fait, les actions qui sont la
conséquence de l'attitude. Pour reprendre l'exemple
précédent, quand je rencontre quelqu'un qui est né un mardi, je
lui propose une partie d'échecs en parlant en javanais (sauf, bien
sûr, s'il mesure 1m74). Bon, c'est génial, maintenant vous pouvez
comprendre la phrase au début du paragraphe! On peut
regretter, quand l'auteur précise que les stéréotypes peuvent être
positifs, qu'il ne rappelle pas qu'en général quand les stéréotypes
sont positifs il y a quand même anguille sous roche. Dire que les
Noirs sont naturellement sportifs ou bons danseurs est une manière
bien commode de sous-entendre qu'ils ne sont pas très malins (on ne
peut pas tout avoir), de la même façon que dire que les femmes ont
des compétences relationnelles fantastiques peut les dissuader
implicitement par exemple de faire des études scientifiques (les
chiffres ce n'est pas très relationnel, on ne va tout de même pas
leur faire ça), ce qui, mais c'est forcément une coïncidence, éloigne de débouchés plus lucratifs.
C'est bien de savoir qu'on a
tous des stéréotypes, mais on peut se demander d'où ils viennent
(et en plus c'est utile, "l'application automatique des stéréotypes,
qui peut entraîner la discrimination, est proche de la conduite
automobile ou de nombre de nos routines quotidiennes : elle
résulte d'un apprentissage"). Seront listés, en précisant qu'ils
n'expliquent pas tout, le contexte socio-économique (quand c'est la
crise, on est prompt à désigner un coupable), le conflit entre
groupes (sans blague!), le milieu social (telle la télégénique candidate FN aux municipales qui, habituée qu'elle est à être
entourée de militants FN, enchaîne une série des clichés les
moins subtils sur les Noirs tout en répétant le plus sincèrement
du monde qu'elle n'est pas raciste), la répétitions des stéréotypes
des parents ou de ceux induits par la société discriminante dans
laquelle on vit, que ce soit en observant ce qui se passe réellement
ou ce que les médias nous expliquent, … En ce qui concerne les
cause individuelles, la personnalité autoritaire est évoquée et un
peu trop vite éjectée. D'une part on peut regretter que, dans un
livre ultra récent (2012!), la personnalité autoritaire soit
présentée telle qu'Adorno la définissait comme si rien n'avait été
fait depuis ([mode branleur on] Pascal Morchain devrait lire mon blog [mode branleur off]), et d'autre part, si on peut effectivement
dire des stéréotypes qu' "au sein d'une société particulière,
ils sont partagés par tout un chacun" et que, si on a un livre de
psychologie sociale entre les mains, c'est qu'on ne niera pas que les
contextes situationnels "apparaissent pourtant déterminants dans la
compréhension du phénomène", il y a quand même des gens qui
prennent beaucoup moins de distance que d'autres avec les
stéréotypes. Ce n'est certes pas le sujet du livre, pour
l'excellente raison que y a pas la place et donc il y a des choix
frustrants à faire, mais si au sens strict les stéréotypes ne sont
pas générés spontanément par le tempérament des gens, rejeter du
revers de la main cet aspect peut induire en erreur. Dernier aspect,
les stéréotypes existent aussi pour la simple raison qu'ils sont
bien pratiques : le classement en catégories permet d'avoir
plus de données (ou d'avoir l'impression d'en avoir plus) avec moins
d'infos au départ, et on aime bien avoir plus de données. Et la
catégorisation reine, c'est la différence qu'on fait entre Eux et
Nous ("le simple fait d'être catégorisé dans un groupe ou une
catégorie entraîne la perception que NOUS valons (un peu) mieux
qu'EUX, et entraîne facilement la discrimination"). J'ai dit plus
tôt que l'auteur ne précisait pas, quand il disait qu'un stéréotype
pouvait être positif, qu'en général les stéréotypes positifs ne
l'étaient pas tant que ça : en fait là il le fait un peu
quand il explique que les stéréotypes qui concernent les autres
sont spontanément négatifs. Il va sans dire que les stéréotypes
positifs qu'on s'applique à soi sont, eux, sincèrement positifs.
Cette explication sur la catégorisation s'achève sur un tableau bien
pratique qui rappelle en un coup d'œil comment cette tendance évolue selon le contexte : en situation
standard, les autres sont bien, on est juste meilleurs, en situation
de compétition, on est bien meilleurs, et en cas de conflit on passe
à gentils VS méchants. Un élément particulièrement insidieux, et
qui peut paraître contradictoire avec la fonction d'économie
cognitive du stéréotype, est qu'on aura moins de scrupules à céder
au dit stéréotype si on a plus d'infos sur la situation ("des
experts peuvent être amenés à produire des jugements plus
stéréotypés que les non-experts"). L'auteur relate ainsi une
expérience où il était demandé aux sujets de se prononcer sur une
petite fille (des informations, différentes selon les sujets,
étaient fournies sur son niveau socio-économique et sur la
profession des parents). Les sujets se prononçaient alors plutôt
mollement. Dans une autre situation, il était suggéré que la
petite fille avait passé un test d'intelligence : dans cette
deuxième condition, les sujets se sont prononcés sur son
intelligence de façon parfaitement conforme aux stéréotypes
induits.
Les stéréotypes n'ont pas seulement des causes, ils ont aussi des
conséquences, au delà de l'éventuelle discrimination. Ils peuvent
par exemple, et c'est là qu'ils sont très dangereux,
s'autojustifier. La prophétie autoréalisatrice peut être
autoréalisée par le stéréotypeur (qui adapte son comportement
aux attentes qu'il a envers la personne concernée, une attitude
méprisante aura par exemple un impact sur l'estime de soi de
l'interlocuteur) et même par le stéréotypé (ça s'appelle alors
la menace du stéréotype) : dans une expérience
particulièrement éloquente, où on faisait passer un test de
mathématique à des femmes asiatiques, le groupe auquel on disait
tester les compétences en maths des femmes avait de mauvais
résultats, et le groupe auquel on disait tester les compétences en
maths des asiatiques avait de bons résultats. Certaines recherches
ont aussi montré que, si le sujet sait à l'avance que
l'expérimentateur veut vérifier un stéréotype, l'effet de la
menace du stéréotype est atténué.
Le livre se termine sur des
propositions pour lutter, en cohérence avec le titre du livre, non
pas contre l'ardente propagande anti-roms ou anti-musulmans qui nous
entoure ou contre l'homophobie dans sa forme la plus décomplexée,
mais contre nos propres stéréotypes (et en fait, c'est déjà pas
mal). Prendre conscience de nos propres croyances (et éventuellement
les noter sur papier) est une première étape (plus le droit de dire "je suis pas raciste"... et encore moins "je suis pas raciste,
mais"). Le contact entre groupes discriminants et groupes
discriminés est une autre solution, mais seulement sous certaines
conditions (pas de hiérarchie préalable, contexte de coopération
si possible, …). Une autre solution est d'utiliser le moins
possible les termes qui suggèrent des endogroupes et exogroupes (les
anglophones ont par exemple la bonne idée de parler de Human Rights
-droits de l'être humain- au lieu de Droits de l'Homme, qui mettent
50% de l'humanité de côté à chaque fois qu'on a la flemme de
faire une périphrase pour dire que l'Homme en fait c'est tout le
monde) ou encore la catégorisation croisée, mais ça pour vous en
parler il faudrait que je comprenne ce que l'auteur a bien pu vouloir
dire par "on parle de catégorisation "croisée" quand il y a pour
chaque sujet une dichotomie entre sa catégorie d'appartenance et
l'autre catégorie selon une première catégorisation qui ne se
recouvre pas mais qui se croise avec sa catégorie d'appartenance et
l'autre catégorie selon une seconde catégorisation". Et aussi,
bonne nouvelle, légiférer, ça marche ("le contexte sociétal est
important dans la génération ou le contrôle de ces phénomènes"...
ce qui veut dire à l'inverse que des responsables politiques qui
font la course aux propos xénophobes ont un effet néfaste sur les
comportements individuels). L'auteur fait une autre proposition
intéressante et non consensuelle : "dans le domaine éducatif,
nier les différences ethniques n'apparaît pas comme une bonne
stratégie d'intégration", "affirmer et exploiter les différences
apparaît plus intéressant. Et si l'on en croit Saint-Exupéry,
combien plus enrichissant?". Sur un sujet si complexe et explosif,
c'est regrettable que le propos ne soit pas plus développé, avec
des propositions plus concrètes. Si les hurlements de rage ou de
panique des éditorialistes qui s'alarment de la fin approchante de
la culture française me font surtout, selon leur niveau d'influence,
rire ou pleurer, la lutte contre la xénophobie m'apparaît plus
compliquée que se prendre tous par la main et faire une ronde dans
les champs en chantant "all you need is love" sous le soleil
couchant, même si le Petit Prince intègre la ronde (et même si
l'image d'Eric Zemmour et Dieudonné dansant avec le Petit Prince
sous le soleil couchant n'a pas de prix). "Affirmer et exploiter les
différences", est-ce que ce n'est pas justement faire un mode
d'emploi des stéréotypes? Pascal Morchain connaît son sujet et sa
proposition est probablement censée, mais elle reste trop vague (on peut lui
faire dire tout et n'importe quoi, d'ailleurs je viens de le faire)
et il faudrait à mon humble avis plus de 55 pages pour la
développer.
En plus de cette proposition, ce livre qui consiste principalement à
reprendre les bases de la psy sociale, serait-ce pour faire prendre
conscience d'une vérité peu agréable à entendre, contient
quelques éléments qui sont eux aussi non consensuels, qui font du
livre quelque chose de plus personnel. Je pense par exemple à une
critique de l'hétérosexualité comme norme (dire que l'hétérosexualité
n'est pas plus normale que l'homosexualité, c'est aller
beaucoup plus loin que de seulement dire que l'homophobie c'est mal) qui
apparaît discrètement au détour d'une critique de publicité
("l'image et le texte activent non seulement un stéréotype
féminin, mais aussi une représentation des relations de couple,
dans lequel l'un des membres est obligatoirement une femme"), ou
encore une comparaison, où il cite un livre publié en 2009 qu'il a
lui-même écrit (Psychologie sociale des valeurs), entre la
notion de race créée de toutes pièces sur des critères absurdes
pour justifier une oppression institutionnelle et le sexisme (une
critique aussi virulente et directe du sexisme est loin d'être
admise comme une évidence... y compris en psychologie sociale, j'ai
le mauvais souvenir d'avoir lu des choses douteuses écrites par Joule et
Beauvois).
Le livre est court (il se lit à peu près aussi vite qu'un manga),
et traite un sujet qui concerne tout le monde, il peut donc être
judicieux de le faire tourner à un éventuel entourage un peu
coopératif. Si on veut chipoter on peut éventuellement reprocher à
l'auteur d'utiliser du vocabulaire technique certaines fois où ce
n'est pas nécessaire (il arrive quand même à caser "résultante
évaluative" dès le 3ème paragraphe!), ce qui demandera un peu
d'efforts aux lecteur·ice·s profanes sans pour autant rendre le texte
inaccessible. Et s'il vient à l'auteur l'idée de publier quelque
chose de plus long, je pense qu'on peut y aller en toute confiance.
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