Articulé avec le site peaklivingnetwork.org , le livre propose une méthode originale pour se remettre de traumatismes profonds, mais qui est valable aussi pour construire une vie pleinement épanouissante pour chacun·e. L'auteur révèle à la fin que les principes fondateurs de cette méthode lui ont permis de se remettre d'une dépression mais, même s'il ne le mentionne pas particulièrement, le fait qu'il soit spécialisé dans les violences conjugales, vécu dont il peut être particulièrement long et difficile de se remettre (dénigrement constant, perte de repères et isolement provoqués par l'agresseur, adaptation physiologique à la vigilance constante nécessaire et aux violences subies, ...), lui donne une légitimité particulière pour évaluer la méthode proposée. Le projet est non pas de réparer ce qui ne va pas, de combler des besoins du passé, mais de rentrer plus profondément en contact avec soi-même, en particulier avec les émotions non exprimées : pour Bancroft, il n'y a pas de dysfonctionnements à rectifier mais des défenses (évitement du contact avec l'autre, automutilation, addiction, dissociation, ...) qui ont été indispensables pour supporter le passé et dont on doit s'affranchir pour retrouver sa pleine authenticité (on ne doit donc pas changer, mais se retrouver). Des objectifs, qui pourraient sembler contradictoires, s'articulent : se pardonner plus souvent et être plus exigeant·e envers soi-même, être plus compréhensif·ve envers les difficultés des autres et être plus intransigeant·e sur la façon dont on est traité·e, comprendre plus profondément les blessures et verrous du passé et se concentrer de plus en plus sur le potentiel du présent et de l'avenir.
Le pilier principal pour ce chemin vers soi-même est... la rencontre avec l'autre. Le livre est centré sur l'action plus que sur la réflexion, et la première action consistera à trouver un·e partenaire de guérison, éventuellement à travers le site du PeakLivingNetwork. Il s'agira bien d'un·e partenaire et non d'un·e thérapeute : aider l'autre et s'aider soi vont ensemble, permettre à l'autre d'aller mieux, c'est thérapeutique (entre autres parce que c'est une façon de reprendre du pouvoir, de sortir de l'impuissance, que l'on peut observer et constater directement). Ici, aider l'autre consistera principalement à être là, à l'écouter. L'auteur le rappelle régulièrement : le fait, simplement, d'être l'objet d'une attention bienveillante, a un pouvoir thérapeutique intense. L'idéal est une session d'écoute (il parle de partage du temps) de deux heures par semaine, où chacun·e écoute l'autre successivement, pour la même durée. Les étapes (qui peuvent être adaptées pour des sessions plus courtes) seront de commencer par évoquer des choses positives (émotions agréables, réussites, même anecdotiques, depuis la dernière session), puis parler de difficultés mineures, avant, enfin, d'engager des sujets plus intenses et profonds, et, pour clore la session, de rediriger la personne qui parle dans l'ici et maintenant (engager la conversation sur un sujet léger, parler des projets de la journée, faire travailler les 5 sens, ...). Des consignes sont données pour optimiser l'écoute : donner toute son attention à la personne qui s'exprime (téléphone éteint dans l'idéal, si ce n'est pas le cas il faudra en parler avant), exprimer de l'empathie verbalement et non-verbalement, éviter les conseils saufs s'ils sont demandés explicitement (et là encore, ne les donner qu'avec humilité, sans prétendre détenir une solution infaillible), mais aussi ne pas féliciter l'interlocuteur·ice pour l'éventuelle productivité de la session (pour sortir d'une dynamique d'évaluation, même positive). Deux heures par semaine, c'est contraignant, mais l'auteur garantit que les bienfaits rentabiliseront largement le temps consacré, et si c'est vraiment impossible matériellement, il précise que même quelques minutes (peut-être plus régulièrement si une session hebdomadaire longue n'est pas envisageable) peuvent avoir un effet étonnamment puissant. Exprimer intensément des émotions (pleurer, crier, ...), c'est souvent rappelé, est thérapeutique en soi, c'est déjà guérir et non simplement communiquer. Rien n'oblige pour autant les sessions de partage du temps à être consacrées à la parole et à l'expression des émotions : selon les besoins, et de façon tout aussi bénéfique, l'écoutant·e peut accorder sa présence et son attention à une personne qui réfléchit et planifie un projet, accomplit une tâche appréhendée comme pénible (administratif, déménagement, ...) ou, simplement, dort. Si le·a partenaire de soin peut être un·e ami·e ou le·a conjoint·e, l'idéal est que la relation se limite à ce rôle spécifique : le lien qui se crée est profond et intense, mais les autres relations et leurs exigences peuvent interférer, par exemple avec la confidentialité ou l'approche positive inconditionnelle (l'auteur précise que les relations sexuelles, en général, c'est la fausse bonne idée par excellence : les bénéfices thérapeutiques attendus, s'il y en a -insécurité spécifique au niveau de la sexualité- ne seront pas au rendez-vous, mais les inconvénients sur la co-thérapie seront bien réels).
Bancroft déplore on ne sait pas trop pourquoi que l'essentiel des thérapies existantes font l'impasse sur l'importance à la fois du travail sur soi et des actes (mais d'où il sort ça???). Et, chose promise chose due, il donne une méthodologie pour passer à l'action en... rédigeant un planning des objectifs à court, moyen et long terme (3 mois, un an, et 5 ans). J'espère que vous n'êtes pas trop bouleversé·e·s par une proposition aussi révolutionnaire, n'hésitez pas à prendre quelques minutes pour vous en remettre... ça valait bien la peine de balayer du revers de la main tous les modèles cliniques qui ont existé jusqu'à maintenant. Bon, en fait, sa proposition est bien plus élaborée, mais l'intérêt de présenter ce qui ressemble au mieux à de l'ignorance crasse comme une supériorité indéniable, pour autant, m'échappe. Les projets devront concerner des actions précises (planifier enfin ces vacances tant attendues, d'autant plus attendues qu'on les repousse depuis des années, reprendre le contact pour de bon avec tel·le ami·e, ...), couvrir un ensemble de domaines importants pour l'épanouissement (lien avec les proches, hobbies, guérison émotionnelle, travail, impact positif sur le monde, ...), et surtout, pour chaque action, il importe d'identifier les ressources nécessaires (plus de sommeil, demander de l'aide, ...). Le planning dans l'idéal devra être refait tous les 3 mois... et, au moment du bilan, l'auteur invite à se réjouir de ce qui a été fait, plutôt que de déplorer ce qui n'a pas été fait.
Aider, c'est se soigner, et se soigner donne plus de ressources pour aider. Le livre s'achève donc sur des propositions pour, au delà de soi-même, de ses proches et de son ou sa ou ses co-thérapeutes, participer à la construction d'un monde meilleur. Reprendre le pouvoir sur soi est un premier pas, puisque c'est reprendre du terrain, dans une mesure plus ou moins importante, sur les puissants qui prennent des décisions pour nous dans des domaines qui nous concernent pourtant (politique et législation, monde du travail, ...). L'auteur insiste particulièrement sur les discriminations (ce serait intéressant qu'il applique cette insistance au domaine de la transphobie, lui qui tient un propos transphobe aussi insultant que dangereux dans l'un de ses articles de blog), et, si certaines choses avancées me laissent perplexe, comme le fait que tout le monde a fait l'expérience de la discrimination parce que les enfants sont discriminés (il s'est relu et il n'a pas vu le problème d'une analogie entre les discriminations raciales, de genre, de sexualité, de classe, qui reposent sur une supériorité des dominants complètement fictive, et la relation entre adultes et enfants?) ou l'exemple pris pour différencier, ce qui est en effet très important, comportement individuel ou discrimination systémique (il parle de refus de louer un appartement à cause de la couleur de la peau des locataires... sauf que ce phénomène est le résultat de discriminations non pas individuelles mais systémiques, qui ici sans aucune donnée pour le justifier diffusent l'idée répandue que c'est moins souhaitable de louer un appartement à certaines personnes -un propriétaire plus progressiste pourra louer son appartement à des candidats blancs, à dossier égal, tout en se convaincant lui-même que la couleur de la peau n'était pas un critère pour lui-, et qui donne un pouvoir de nuisance au propriétaire raciste parce que justement il ne sera pas seul à faire cette discrimination), le chapitre dans son ensemble est intéressant. L'élément le plus important est le rappel qu'il faut le prendre comme un cadeau quand on se fait attraper la veste par une personne discriminée parce qu'on s'est mal comporté, éventuellement sans s'en rendre compte, et le voir comme une opportunité de se remettre en question et d'évoluer (c'est là que les compétences d'écoute thérapeutique auront un lien direct avec l'action à impact collectif). L'auteur précise plus généralement qu'être actif politiquement peut se faire d'une infinité de façons différentes (en adhérant à un syndicat, en disant "non" à une injustice qui nous concerne ou qui concerne quelqu'un d'autre, en protégeant les plus vulnérables -l'auteur prend le temps de distinguer charité et justice sociale tout en estimant que les deux sont indispensables-, ...).
La méthode proposée a une vraie force et une vraie originalité : en particulier, le fait de se soigner à plusieurs, le fait de voir ses souffrances comme une adaptation qui a été indispensable plutôt que comme des faiblesses dont il faudrait se débarrasser voire avoir honte, le lien entre s'aider et aider les autres ou encore l'association directe entre prendre le pouvoir sur soi et rendre le monde meilleur. Aller jusqu'au bout du livre est pourtant inutilement douloureux à cause de problèmes de forme : tous ces points forts, indéniables, sont entrecoupés de généralités simplistes, voire binaires, et absurdes. Après avoir lu d'autres livres de l'auteur, comme Why does he do that? dont l'argumentation est de grande qualité, ou When dad hurts mom qui permet d'y voir clair dans une situation complexe avec une écriture précise et pragmatique, il y a de quoi se frotter les yeux plusieurs fois. J'ai déjà parlé de la condescendance gratuite envers les autres thérapies (quelle valeur ajoutée, une fois qu'il a insisté sur les points forts de ce qu'il propose, d'en remettre une couche en prêtant des défauts imaginaires à... tout le reste, rien que ça?), ou du fait de dire que les enfants sont discriminés. Oui, parce que la société, du moins la société contemporaine (parce que souvent, avec lui, c'était mieux avant... on ne sait pas quand ni pourquoi, mais c'était mieux avant... par exemple, maintenant, les parents passent moins de temps en famille parce qu'ils travaillent, le·a lecteur·ice apprendra donc avec émotion qu'avant, les semaines de travail étaient aussi courtes qu'épanouissantes), considère l'enfance comme un état à dépasser plutôt que comme une période de la vie comme une autre. C'est vrai ça, si seulement, par exemple, il y avait des parcs d'attraction, une production culturelle destinée aux enfants, des thérapies qui invitaient à contacter l'enfant intérieur... Et d'ailleurs, l'école, sachez-le, est méchante (oui, toutes les écoles, quel·le que soit l'enseignant·e, ne cherchez pas) : par exemple, "l'un des objectifs principaux de l'école est d'empêcher les enfants d'interagir ensemble" (c'est donc pour ça que j'ai raté le concours de professeur des écoles : je n'avais pas assez révisé les techniques pour empêcher les enfants d'interagir ensemble). Bien sûr la verticalité entre adultes et enfants pose des problèmes dont il est primordial de se préoccuper, bien sûr l'école est une institution à l'enjeu extrêmement important qu'il convient de critiquer pour l'améliorer, mais en quoi ce type d'affirmation simpliste aide en quoi que ce soit à avancer? De la même façon, la destruction progressive, globale et dévastatrice des communautés est déplorée. C'était mieux avant, on ne sait pas pourquoi (par exemple, pendant la guerre froide, ou au XXème siècle où il y a eu deux guerres mondiales, c'était mieux). Avant, les gens étaient tous amis, et maintenant on ne se parle plus. D'ailleurs, j'ai tout le temps des noyaux de pêche dans ma poche pour les balancer sur mes voisins au cas où je les croiserais, pas vous? Et puis, une communauté très soudée, c'est forcément bien, ça ne peut pas avoir quelque inconvénient que ce soit... par exemple, les bizutages, c'est une grande démonstration de bienveillance, ou encore, grandir dans une secte, c'est s'assurer un épanouissement indépassable. Le "c'était mieux avant" s'étend à l'organisme, puisque les enfants sont nécessairement bons (sauf quand ils ne le sont pas, mais c'est parce qu'ils sont corrompus par les adultes, c'est imparable) parce que les bébés c'est gentil (c'est le vrai argument de Bancroft). Les affirmations fantaisistes sont parfois dangereuses, comme quand l'existence des maladies mentales est remise en question : certes, poser la question de la psychopathologie pose nécessairement la question de la norme, avec un risque de dérives qui appelle à la vigilance -la pathologisation de l'homosexualité n'est malheureusement qu'un exemple parmi les nombreux qu'on pourrait citer-, mais dire que la maladie mentale n'existe pas, c'est substituer un danger -imposer une norme avec les armes et la violence potentielle de la psychiatrie (internement, médication lourde, perte de droits, ...)- à un autre -nier la souffrance, et le besoin de soins!, des personnes concernées, le tout sans chercher à améliorer l'institution psychiatrique parce qu'on a décrété que de toutes façons c'était nul- . C'est pourtant possible, à la fois de dénoncer très fermement la violence de l'institution psychiatrique, et de reconnaître la souffrance des personnes souffrant de pathologies psychiatriques. C'est même possible, accrochez-vous bien, de le faire en un seul post de blog.
L'auteur propose donc un modèle thérapeutique qui demande certes un investissement très important mais que je trouve extrêmement prometteur, optimisant la création de lien, l'estime profonde de soi, la mise en place d'outils pour réaliser ce qui pouvait sembler hors de portée, jusqu'à étendre ce cercle vertueux au reste du monde. Je suis d'autant plus perplexe que, de façon inexplicable (surtout quand on a lu d'autres livres de l'auteur!), ces indications si précieuses soient entrecoupés d'affirmations simplistes et gratuites sur la vilaine société (et ça juste avant de dire que personne ne souhaite profondément faire du mal ni même détenir le pouvoir) qui n'incitent pas nécessairement à faire confiance au reste, n'aident pas à grand chose, et sont même contraires aux valeurs d'ouverture vers les autres largement portées par le livre. Pour autant, la mise en application des solutions proposées n'implique pas, au contraire, d'adhérer à cette vision souvent binaire, et je ne peux qu'espérer que le PeakLivingNetwork deviendra international.
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