Comme
il sait si bien le faire, Laurent Cohen nous propose une nouvelle
fois, ici "en 20 histoires vraies", "vingt histoires,
vingt énigmes, vingt indices sur ce qu’est un être humain",
d’explorer les mystères du fonctionnement du cerveau à travers
des situations cliniques qui de premier abord paraissent complètement
insolites. Si surprenants que soient les faits décrits, il
s’agit pour l’auteur, au-delà des éclairages qu’ils
permettent sur le mouvement, les sens, la conscience, les
performances cognitives, de mieux définir l’être humain
lui-même : "En considérant les quelques vingt patients dont
nous allons parler, c’est dans un miroir que nous regardons. Si
nous rions du comportement étrange d’un de ces patients, acceptons
le rire fraternel de l’esprit qui s’étonne, mais pas le rire
moqueur de l’irrespect".
Les
vingt histoires, brèves et accessibles même sans bases
particulières en neurologie (il s’agit au contraire de faire
découvrir cet univers, ou alors de nouveaux territoires de cet
univers), tiennent en effet leurs promesses d’attiser la curiosité
et d’éclairer les chemins inattendus parcourus par nos neurones
pour des choses qui peuvent paraître aussi évidentes que
reconnaître un visage, une couleur, utiliser des ciseaux, prononcer
le mot qui correspond à l’idée qu’on a en tête, ou encore ne
pas voler de voitures. Le titre désigne la compétence particulière
qu’est la synesthésie, qui consiste à associer une couleur (ou
même un goût) à un chiffre, une lettre, un son… et dont la
science n’a pas encore percé tous les mystères.
Le
livre est intéressant, les explications sont claires, et c’est
aussi l’occasion de mesurer à quel point le cerveau n’a pas
encore livré tous ses secrets ("dans un survol rapide de
publications parues entre 2015 et 2019, on trouve la description
d’une variété hétéroclite de nouvelles pannes cognitives").
Et pourtant, un sentiment de frustration pointe… c’est que si le
livre est tout neuf (paru en février 2020), l’exercice ne l’est
pas. Oliver Sacks s’y est livré, et même un certain Laurent
Cohen, avec l’inoubliable Homme thermomètre et d’autres
que je n’ai pas lus (et qui pourraient bien se retrouver sur ce
blog), et ces livres précédents allaient plus loin : L’homme
qui prenait sa femme pour un chapeau
ouvre explicitement des
réflexions sur la norme, les compétences, la conscience et le sens
de la vie, L’homme thermomètre,
très souvent comparé à un roman policier, articule les cas
présentés pour mieux éclairer à la fin la machinerie cérébrale
dans son ensemble, plutôt que de présenter vingts cas tout à fait
indépendants, vaguement classés par thématique. Certains
relèvent même du recyclage : j’ai pu reconnaître par
exemple le patient qui a la surprise de voir le visage d’un de ses
amis apparaître devant sa fenêtre pourtant située au 3ème étage,
la patiente qui voyait des chevaliers en armure sur les trottoirs de
Paris ou encore celle qui étaient convaincue d’avoir fini son
assiette de purée en n’en ayant mangé que la moitié droite,
jusqu’à ce que quelqu’un prenne l’initiative de tourner
l’assiette. Le livre a donc
de nombreuses qualités, mais c’est un peu surprenant de voir un
auteur faire pareil qu’avant, en (un peu) moins bien.
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