vendredi 24 juillet 2020

Le parfum du rouge et la couleur du Z, de Laurent Cohen



 Comme il sait si bien le faire, Laurent Cohen nous propose une nouvelle fois, ici "en 20 histoires vraies", "vingt histoires, vingt énigmes, vingt indices sur ce qu’est un être humain", d’explorer les mystères du fonctionnement du cerveau à travers des situations cliniques qui de premier abord paraissent complètement insolites. Si surprenants que soient les faits décrits, il s’agit pour l’auteur, au-delà des éclairages qu’ils permettent sur le mouvement, les sens, la conscience, les performances cognitives, de mieux définir l’être humain lui-même : "En considérant les quelques vingt patients dont nous allons parler, c’est dans un miroir que nous regardons. Si nous rions du comportement étrange d’un de ces patients, acceptons le rire fraternel de l’esprit qui s’étonne, mais pas le rire moqueur de l’irrespect".

 Les vingt histoires, brèves et accessibles même sans bases particulières en neurologie (il s’agit au contraire de faire découvrir cet univers, ou alors de nouveaux territoires de cet univers), tiennent en effet leurs promesses d’attiser la curiosité et d’éclairer les chemins inattendus parcourus par nos neurones pour des choses qui peuvent paraître aussi évidentes que reconnaître un visage, une couleur, utiliser des ciseaux, prononcer le mot qui correspond à l’idée qu’on a en tête, ou encore ne pas voler de voitures. Le titre désigne la compétence particulière qu’est la synesthésie, qui consiste à associer une couleur (ou même un goût) à un chiffre, une lettre, un son… et dont la science n’a pas encore percé tous les mystères.

 Le livre est intéressant, les explications sont claires, et c’est aussi l’occasion de mesurer à quel point le cerveau n’a pas encore livré tous ses secrets ("dans un survol rapide de publications parues entre 2015 et 2019, on trouve la description d’une variété hétéroclite de nouvelles pannes cognitives"). Et pourtant, un sentiment de frustration pointe… c’est que si le livre est tout neuf (paru en février 2020), l’exercice ne l’est pas. Oliver Sacks s’y est livré, et même un certain Laurent Cohen, avec l’inoubliable Homme thermomètre et d’autres que je n’ai pas lus (et qui pourraient bien se retrouver sur ce blog), et ces livres précédents allaient plus loin : L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau ouvre explicitement des réflexions sur la norme, les compétences, la conscience et le sens de la vie, L’homme thermomètre, très souvent comparé à un roman policier, articule les cas présentés pour mieux éclairer à la fin la machinerie cérébrale dans son ensemble, plutôt que de présenter vingts cas tout à fait indépendants, vaguement classés par thématique. Certains relèvent même du recyclage : j’ai pu reconnaître par exemple le patient qui a la surprise de voir le visage d’un de ses amis apparaître devant sa fenêtre pourtant située au 3ème étage, la patiente qui voyait des chevaliers en armure sur les trottoirs de Paris ou encore celle qui étaient convaincue d’avoir fini son assiette de purée en n’en ayant mangé que la moitié droite, jusqu’à ce que quelqu’un prenne l’initiative de tourner l’assiette. Le livre a donc de nombreuses qualités, mais c’est un peu surprenant de voir un auteur faire pareil qu’avant, en (un peu) moins bien.

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