mardi 28 juillet 2020

Man's search for himself, de Rollo May



 Dans ce livre, l'auteur indique comment chercher mais surtout trouver son identité profonde, et cartographie les obstacles dressés par les injonctions sociales omniprésentes. Ses points de repères, on le comprend assez vite (par exemple quand Kierkegaard est cité toutes les trois pages ou qu'il parle de solitude et d'anxiété dès le titre du premier chapitre), sont ceux de la philosophie existentialiste. Le développement personnel proposé ici ne consistera donc pas à apprendre à demander une augmentation à son patron, à lutter contre la procrastination, à profiter de l'instant présent (encore que... mais pas comme dans la psychologie positive) ou à remplir un bullet journal, mais à pleinement s'emparer de son humanité, en faisant des choix en conscience, en conquérant sa liberté, et en affrontant l'anxiété sous ses différentes formes.

 May estime que la période contemporaine (contemporaine de 1953) est particulièrement pertinente pour ce genre de questionnements : alors que le conservatisme, avec ses fortes exigences de conformisme et ses réponses (certes insatisfaisantes) à toutes les questions, fait place à une plus grande liberté, un nouveau type de souffrance apparaît, avec la difficulté à trouver sa place. Les choix familiaux, amoureux, professionnels, ne sont plus imposés par la pression sociale, faisant disparaître la sécurité d'un avenir tout tracé (et éventuellement l'opportunité de se plaindre de ce méchant avenir tout tracé imposé par l'extérieur), forcent à faire des choix. Je ne sais pas si les années 50 aux Etats-Unis étaient vraiment une charnière entre le conservatisme et le progressisme (je veux dire, Rollo May dit aussi que la société est matriarcale -???- et que le capitalisme ne permet plus la méritocratie aujourd'hui mais avant oui -à se demander ce qui a bien pu passer par la tête de Marx pour écrire Le Capital-) mais ce n'est pas si important puisque l'analogie reste intéressante, et le propos du livre reste selon moi pertinent y compris dans la société occidentale d'aujourd'hui qui est sans doute très différente par bien des aspects de celle d'il y a 70 ans. Pour illustrer sa conception de la liberté, l'auteur utilise l'expérience de pensée de la cage : un roi, voyant un de ses sujets s'adonner mollement à un quotidien constitué de métro-boulot-dodo, se demande ce qui se passerait s'il l'enfermait dans une cage, lui qui ne semble pas si préoccupé d'être prisonnier volontaire de son univers ennuyeux. L'homme dans un premier temps proteste, s'enrage! Certes il est logé, nourri, mais on n'a pas le droit de lui faire ça! La colère passée, il explique à qui veut l'entendre que finalement il est heureux comme ça, il a le confort sans les efforts et, vraiment, que demander de plus... mais quand il est seul, il devient morose. Ses justifications philosophiques pour expliquer à quel point il a bien de la chance se transforment en murmures fatalistes. Il finit par être apathique, ne semble plus voir les visiteurs. Il se nourrit, mais ne parle plus à la première personne, ses sourires sont mécaniques. Le psychologue qui a dirigé l'expérience a la troublante sensation d'avoir généré du vide. 

 La liberté ne consiste pas nécessairement à s'affranchir des conventions sociales, à briser toutes les chaînes qui oseraient s'attacher à nos chevilles, mais à les identifier, peu à peu, et à identifier nos propres aspirations. L'auteur donne l'exemple d'un sonnet : certes les contraintes formelles sont très strictes, mais le texte du sonnet, pour autant, appartient pleinement au poète. L'idée n'est pas de réaliser ses rêves envers et contre tout, mais d'être acteur·ice et non sujet. La distinction est particulièrement nette quand May développe sa définition du courage : pour lui, le courage, c'est refuser le conformisme, ignorer la pression du regard des autres. Il insiste là-dessus : le courage au sens commun, ce qui est désigné comme de l'héroïsme, est au contraire la forme la plus extrême de conformisme, c'est consacrer toutes ses ressources à des actions valorisées par les autres. C'est illustré avec l'exemple d'un écrivain anglais (on ne connaîtra pas son nom) dont la carrière ne décollait pas. Pendant la guerre, il a fini par trouver absurde de chercher le succès alors que sa survie, problématique ô combien plus immédiate, n'était même pas assurée à moyen terme. Il a donc écrit des textes qui lui plaisaient à lui... ce qui a enfin lancé sa carrière. Rollo May précise qu'il ne conseille certainement pas aux écrivains d'écrire ce qu'ils veulent sans se soucier des critiques pour s'assurer des tirages mirobolants (la rébellion, pour lui, est l'autre facette du conformisme, ça ne peut être souhaitable que s'il s'agit d'un passage), mais qu'un texte qui exprime des aspirations profondes sera plus intéressant à lire qu'un livre qui cherche à cocher les cases qui plairont aux éditeurs.

 Les développements sont longs et vous imaginez bien qu'il manque des subtilités dans mon résumé, d'autant qu'un certain nombre m'ont probablement échappé. J'avais un peu de mal à adhérer au style : le livre ressemble plus à un livre de philosophie qu'à un livre de psychologie. L'humain théorique est omniprésent, mais l'humain réel (anecdotes, vignettes cliniques, commentaires de recherches, ...) ne fait que quelques rares apparitions de temps en temps (Carl Rogers est élogieux envers May, mais là-dessus ils sont vraiment à l'opposé l'un de l'autre!). Le texte a aussi assez souvent des allures de prêche : l'auteur semble affirmer plus que démontrer, même si les idées développées sont intéressantes. J'ai par contre apprécié quelques idées originales, comme celle de reprendre conscience de son corps, trop souvent utilisé comme un outil, ou encore la création de moments significatifs comme réponse à l'anxiété du temps qui passe (la distraction est pour lui une résistance à cette anxiété qui devient insupportable si on en prend trop conscience). Et, par un autre chemin, on retrouve de nombreuses thématiques centrales dans l'Approche Centrée sur la Personne (un des chapitres s'appelle d'ailleurs The experience of becoming a person!) comme l'affranchissement progressif du jugement et l'importance de faire des choix pour être (devenir) soi-même.

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