jeudi 23 juillet 2020

Mentaliser, de Martin Debanné



 Contrairement à ce que je pensais quand j’ai repéré le livre, mentaliser n’y désigne pas le fait de créer et manipuler des représentations mentales élaborées, mais l’action d’identifier ses propres ressentis, et de se représenter ceux des autres tout en ayant conscience qu’il s’agit d’une représentation (mais ce n’est pas grave, le livre était intéressant quand même). L’idée de développer le potentiel thérapeutique de la mentalisation est venu à des psychanalystes qui réfléchissaient à certains de leurs échecs thérapeutiques, en particulier auprès de patient·e·s souffrant de trouble borderline. L’intérêt va toutefois bien au-delà : les personnes qui se forment à la mentalisation viennent de très nombreux horizons (thérapies humanistes, systémiques, et même les fameux ennemis TCC et psychanalyse) et, si elles sont parfois déstabilisées par certains aspects (l’appui sur la recherche scientifique et des protocoles normalisés gène les psychanalystes, les adeptes des TCC sont réticent·e·s au travail sur le transfert, …), sont souvent surprises du nombre de points communs entre les approches. Difficile en effet d’imaginer une méthode thérapeutique dont la mentalisation serait complètement absente (moi-même en formation à l’Approche Centrée sur la Personne, j’ai de nombreuses fois eu du mal à différencier le contenu du livre avec exactement la méthode à laquelle je me forme… même si, à d’autres moments, les différences étaient bien plus claires) et, l’auteur le rappelle souvent avec dérision (et avec de la compassion pour ses proches), les psy sont les premiers à beaucoup mentaliser.

Si des protocoles très précis sont fournis pour diriger des thérapies de groupe axées sur la mentalisation, les différents développements proposés dans le livre permettent tout à fait de l’intégrer à n’importe quel mode de thérapie (l’auteur précise même que modifier un aspect de sa pratique n’est pas nécessairement plus facile que d’adopter une nouvelle pratique). Cela consiste principalement, face à une difficulté, à exprimer son ressenti et à vérifier celui du ou de la client·e. La procédure est plus complexe qu’il n’y paraît : un mauvais timing, une interprétation qui va trop loin et qui ne correspond pas au vécu du ou de la client·e dans l’ici et maintenant, et le·a thérapeute s’éloigne au lieu de se rapprocher. Plusieurs propositions précises de mode d’action sont faites (manœuvrer à contresens, c’est à dire centrer la personne sur un autre aspect de ce qu’elle vit -le ressenti plutôt que les faits, parler de soi plutôt que parler de l’autre, ...-, arrêt-écoute-observe, pour prendre le temps d’explorer une dimension émotionnelle spécifique, ou encore arrêt-retour en arrière-explore, qui consiste à revenir sur un moment difficile qui vient de survenir et identifier quand et comment la séance a basculé). Les propositions sont accompagnées de nombreux conseils et de vignettes cliniques qui illustrent clairement le propos, mais même en ayant tout appris par cœur, l’application demandera beaucoup d’empathie et surtout d’humilité au ou à la thérapeute. Les techniques spécifiques auront particulièrement leur place lorsque le·a client·e sera débordé·e par ses émotions, ou encore lorsque la thérapie semblera tourner en rond, pour comprendre de façon collaborative ce qui bloque.

La partie pratique est extrêmement claire et concrète, et, le livre étant court, un aspect particulier doit pouvoir se retrouver assez rapidement si on le cherche. Je pense que ça peut être particulièrement aidant de relire attentivement un passage spécifique après avoir rencontré une difficulté en séance, pour mieux percevoir ce qui aurait pu être fait autrement. De façon surprenante, le livre s’ouvre pourtant sur une partie théorique à l’opposé : certes très intéressante (il est question de la construction de la mentalisation se structurant avec celle de l’attachement, ou encore du fait que, lorsqu’une figure d’attachement est violente, en particulier lorsqu’elle l’est tout en dénigrant, la mentalisation est insupportable psychiquement, ce qui a un impact sur le développement général), elle est extrêmement technique, avec beaucoup de vocabulaire spécialisé. Bien entendu, le développement reste lisible, et la complexité est probablement indispensable pour avoir la précision nécessaire, mais j’ai un peu peur que ça puisse repousser des lecteur·ice·s qui n’ont pas forcément l’habitude de ce vocabulaire spécialisé là et qui pourraient largement bénéficier, professionnellement, des conseils bien plus accessibles donnés dans la seconde partie (enseignant·e·s, travailleur·se·s sociaux·ales, éducateur·ice·s, …).

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