Contrairement à ce que je pensais quand j’ai repéré le livre,
mentaliser n’y désigne pas le fait de créer et manipuler des
représentations mentales élaborées, mais l’action d’identifier
ses propres ressentis, et de se représenter ceux des autres tout en
ayant conscience qu’il s’agit d’une représentation (mais ce
n’est pas grave, le livre était intéressant quand même). L’idée
de développer le potentiel thérapeutique de la mentalisation est
venu à des psychanalystes qui réfléchissaient à certains de leurs
échecs thérapeutiques, en particulier auprès de patient·e·s
souffrant de trouble borderline.
L’intérêt va toutefois bien au-delà : les personnes qui se
forment à la mentalisation viennent de très nombreux horizons
(thérapies humanistes, systémiques, et même les fameux ennemis TCC
et psychanalyse) et, si elles sont parfois déstabilisées par
certains aspects (l’appui sur la recherche scientifique et des
protocoles normalisés gène les psychanalystes, les adeptes des TCC
sont réticent·e·s au travail sur le transfert, …), sont souvent
surprises du nombre de points communs entre les approches. Difficile
en effet d’imaginer une méthode thérapeutique dont la
mentalisation serait complètement absente (moi-même en formation à
l’Approche Centrée sur la Personne, j’ai de nombreuses fois eu
du mal à différencier le contenu du livre avec exactement la
méthode à laquelle je me forme… même si, à d’autres moments, les
différences étaient bien plus claires) et, l’auteur le rappelle
souvent avec dérision (et avec de la compassion pour ses proches),
les psy sont les premiers à beaucoup
mentaliser.
Si
des protocoles très précis sont fournis pour diriger des thérapies
de groupe axées sur la mentalisation, les différents développements
proposés dans le livre permettent tout à fait de l’intégrer à
n’importe quel mode de thérapie (l’auteur précise même que
modifier un aspect de sa pratique n’est pas nécessairement plus
facile que d’adopter une nouvelle pratique). Cela consiste
principalement, face à une difficulté, à exprimer son ressenti et
à vérifier celui du ou de la client·e. La procédure est plus complexe
qu’il n’y paraît : un mauvais timing, une interprétation
qui va trop loin et qui ne correspond pas au vécu du ou de la client·e
dans l’ici et maintenant, et le·a thérapeute s’éloigne au lieu
de se rapprocher. Plusieurs propositions précises de mode d’action
sont faites (manœuvrer à contresens, c’est à dire centrer la
personne sur un autre aspect de ce qu’elle vit -le ressenti plutôt
que les faits, parler de soi plutôt que parler de l’autre, ...-,
arrêt-écoute-observe, pour
prendre le temps d’explorer une dimension émotionnelle spécifique,
ou encore arrêt-retour en arrière-explore, qui consiste à revenir
sur un moment difficile qui vient de survenir et identifier quand et
comment la séance a basculé). Les propositions sont accompagnées de
nombreux conseils et de vignettes cliniques qui illustrent clairement
le propos, mais même en ayant tout appris par cœur, l’application
demandera beaucoup d’empathie et surtout d’humilité au ou à la
thérapeute. Les techniques spécifiques auront particulièrement
leur place lorsque le·a client·e sera débordé·e par ses émotions,
ou encore lorsque la thérapie semblera tourner en rond, pour
comprendre de façon collaborative ce qui bloque.
La
partie pratique
est extrêmement claire et concrète, et, le livre étant court, un
aspect particulier doit pouvoir se retrouver assez rapidement si on
le cherche. Je pense que ça peut être particulièrement aidant de
relire attentivement un passage spécifique après avoir rencontré
une difficulté en séance, pour mieux percevoir ce qui aurait pu
être fait autrement. De façon surprenante, le livre s’ouvre
pourtant sur une partie théorique à l’opposé : certes très
intéressante (il est question de la construction de la mentalisation
se structurant avec celle
de
l’attachement, ou encore du
fait que, lorsqu’une figure d’attachement est violente, en
particulier lorsqu’elle l’est tout en dénigrant, la
mentalisation est insupportable psychiquement, ce qui a un impact sur
le développement général), elle est extrêmement technique, avec
beaucoup de vocabulaire spécialisé. Bien entendu, le développement
reste lisible, et la complexité est probablement indispensable pour
avoir la précision nécessaire, mais j’ai un peu peur que ça
puisse repousser des lecteur·ice·s qui n’ont pas forcément
l’habitude de ce vocabulaire spécialisé là et qui pourraient
largement bénéficier, professionnellement, des conseils bien plus
accessibles donnés dans la seconde partie (enseignant·e·s,
travailleur·se·s sociaux·ales, éducateur·ice·s, …).
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