Jan Hawkins, elle-même mère d'un fils handicapé mental, et d'autres qui seront présent·e.s à travers des interviews ou des textes, détaillent l'intérêt de l'Approche Centrée sur la Personne auprès d'un public d'handicapé·e·s mentaux·ales. Si ce domaine est particulièrement emblématique de l'intersection entre les aspects cliniques et politiques de l'ACP, cette approche est dans les faits peu présente, les thérapeutes ACP étant peu nombreux·ses, voire réticent·e·s, à s'y impliquer (plusieurs sujets d'une recherche de l'autrice ont exprimé leur sentiment de solitude, et l'autrice a même entendu plusieurs personnes dire que l'ACP, qui a pour objectif le développement de l'expression et de l'intelligence, n'avait pas d'intérêt pour des personnes qui n'étaient pas intelligentes et ne savaient pas communiquer).
Les thérapeutes ACP, c'est peut-être le centre du problème, ne sont pourtant pas les seul·e·s à penser que, pour ces personnes, les principes rogériens n'ont pas d'importance. L'empathie, l'encouragement à faire des choix, ou même simplement l'écoute, nombreux·ses sont celles et ceux qui n'y ont pas droit. Quand à l'approche positive inconditionnelle, quand la réponse en institution à des conflits et comportements difficiles est une approche strictement comportementaliste, le concept même est souvent inaccessible. Si l'autrice critique souvent le thérapeute imaginaire holywoodien qui bouleverse l'existence de ses patient·e·s, le simple fait d'écouter, de chercher vraiment à comprendre, a souvent été la source de changements importants. Difficultés à communiquer ou non, les client·e·s évoqué·e·s par Jan Hawkins sont bien, pleinement, des êtres humains, avec une personnalité propre, des désirs et préférences, des émotions positives et négatives (l'autrice déplore que face à un comportement problématique, la recherche de solutions fait souvent l'impasse sur... la motivation du comportement!), une sexualité, des vécus d'attachement et de deuil, un désir d'autonomie, des traumatismes (beaucoup sont ou ont été victimes de violences sexuelles... et en plus de ne pas être cru·e·s, écouté·e·s, ont vu leurs comportements de détresse liés au traumatisme réprimés). L'autrice est particulièrement remontée contre le "diagnostic" de recherche d'attention : en plus de nier par anticipation la légitimité des besoins et souffrances derrière un comportement, ça implique que le désir d'attention, pourtant pleinement humain, n'est pas légitime. Plusieurs intervenant·e·s disent d'ailleurs ne pas être choqué·e·s par les expressions de colères virulentes : iels auraient aussi du mal à supporter de telles conditions de vie.
Si le message politique est clair (le premier livre de Rogers lu par l'autrice est Le Manifeste Personnaliste), si la pertinence clinique est largement étayée, le livre ne verse pourtant pas dans l'angélisme, et ne nie certainement pas les difficultés. La rencontre présentée en introduction aboutit d'ailleurs à un échec, douloureux au propre et au figuré puisque Danny, la personne présentée, au gabarit de rugbyman, mord les autres patient·e·s et éducateur·ice·s, dans un cas jusqu'à l'os. L'entrée en relation thérapeutique ACP, et c'est le cas pour tou·te·s les client·e·s, comme le rappelle une thérapeute interviewée, consiste à apprendre le langage de l'autre. Dans certains cas, la seule solution consiste à procéder par essai-erreur, et c'est parfois laborieux, comme la fois où il a fallu 5 ans pour comprendre que ce résident qui se tapait la tête contre un placard demandait "simplement" un thé (une fois cette demande comprise, il en a progressivement fait d'autres). Parfois, le simple fait d'avoir une émotion entendue, identifiée, acceptée, est un moment fort, source de changements, tant c'est inhabituel. La compréhension demande souvent un travail d'équipe (avec le recueil du consentement du ou de la client·e, dans la mesure du possible, pour évoquer un sujet en dehors de l'espace thérapeutique) : c'est en recensant laborieusement ce qu'il se passait aux moments où Carl déclenchait l'alarme incendie que l'équipe a pu comprendre que ça arrivait aux moments des rotations de personnel, dont il n'était pas informé. Un autre client se servait dans les poubelles, tout en admettant que c'était sale... l'écoute a permis de déterminer que c'était parce qu'il avait faim!
Le message porté est fort, et il est puissamment porté, que ce soit par l'autrice ou les autres intervenant·e·s, avec une grande implication émotionnelle. Les nombreux exemples rendent l'intérêt des valeurs humanistes extrêmement concret et direct. Pour autant, le message n'est vraiment pas flatteur, y compris pour les institutions et thérapeutes ACP, et je me demande si ce livre a contribué à faire bouger les choses depuis sa publication (sauf erreur de ma part, par exemple, le sujet est absent du manuel de l'ACP).
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