jeudi 13 octobre 2022

L'attachement au cours de la vie, de Raphaële Miljkovitch


 

  Avec un recul d'une vingtaine d'année, Raphaële Miljkovitch, chercheuse spécialiste du sujet, fait une synthèse critique de l'état de la recherche sur la théorie de l'attachement, ses apports, ses limites et les questionnements à explorer, dans un livre qu'on pourrait bien considérer comme le volume 4 de la trilogie de l'attachement.

 Des connaissances sur le concept de John Bowlby ne sont certes pas indispensables dans la mesure où les fondamentaux sont repris, mais une familiarité avec les enjeux de l'attachement sécure ou les différents types d'attachement identifiés par le test de la Situation Etrange facilite la compréhension, dans la mesure où ils sont repris et surtout approfondis rapidement. Certaines critiques de ce dispositif expérimental sont d'ailleurs prises en compte mais réfutées (des mesures physiologiques ont établi que les comportements d'exploration de l'environnement visaient bien à atténuer le stress et n'étaient pas la marque d'un tempérament plus ou moins curieux, la comparaison entre une cohorte gardée au domicile et une autre en crèche a confirmé que l'habitude de -l' "entraînement à"- la séparation n'avait pas d'influence sur les résultats, ...). Mais, comme le titre l'indique, la richesse du livre va surtout consister dans les connaissances disponibles sur l'attachement à l'âge adulte et ses conséquences identifiables sur la parentalité, le couple, le deuil, ... (j'aurais été curieux du résultat de recherches sur l'influence ou non de l'attachement sécure sur la peur de la mort, mais le livre ne va pas aussi loin que ça dans "le cours de la vie")

La question qui est probablement la plus critique, celle de la transmission du style d'attachement de parents à enfants, est longuement traitée, à différents niveaux, du mode de garde (si l'autrice semble peu préoccupée par l'enjeu social des inégalités professionnelles entre hommes et femmes, reproche par ailleurs régulièrement fait à Bowlby, la conclusion des différentes études commentées est que ça dépend énormément de la qualité du mode de garde utilisé -si stupéfiant que ça puisse paraître, une crèche sous-staffée sera un milieu moins épanouissant- et de la façon dont les parents présentent le mode de garde aux enfants) à l'éventuelle corrélation entre le style d'attachement de la mère et celui de l'enfant. Sur ce dernier point, s'il serait exagéré de dire que le style d'attachement ne se transmet pas du tout (le critère est estimé à 25% de la variance), l'autrice appelle à se méfier des corrélations entre le score de l'adulte à l'Adult Attachment Interview et celui de l'enfant à la Situation Etrange, qui ne mesurent pas exactement la même chose ("nous pensons qu'il serait plus approprié de considérer que les mères d'enfants sécures sont sécurisantes plutôt que sécures"), et fait par ailleurs plusieurs rappels qui invitent à prendre de la distance avec cette approche déterministe (l'attachement à la mère n'est souvent pas identique à l'attachement au père, les styles d'attachement peuvent différer dans une même fratrie, le style d'attachement tend à être de plus en plus stable au cours de la vie -même s'il reste modifiable à l'âge adulte- ce qui implique qu'il est flexible dans l'enfance, ...).

 Certains développements pourront intéresser y compris des thérapeutes qui ne sont absolument pas spécialisé·e·s dans l'attachement, comme ce que l'élaboration de l'Adult Attachment Interview a permis d'identifier sur la construction de récits en particulier autobiographiques, par exemple un attachement sécure est associé au respect des maximes conversationnelles de Grice (la qualité -"n'affirmez pas ce que vous croyez être faux", "n'affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves"-, la quantité -ne donner ni trop d'informations ni pas assez-, la relation -la tendance à garder le fil du récit- et la modalité -la clarté, le manque de confusion-) ou le fait qu'une personne ayant un attachement évitant tendra à occulter les éléments autobiographiques négatifs (ainsi, un récit nuancé sera a priori un meilleur signe d'un passé épanoui qu'un récit ne présentant aucun nuage ou s'empressant de relativiser les éléments négatifs), ou encore les nombreux (et complexes!) effets que peut avoir le style d'attachement sur la vie amoureuse (sur ce sujet là en particulier, l'autrice propose un livre plus détaillé encore).

 Le livre commence à dater (il a été édité en 2001!), et la curiosité est parfois grande de savoir si les questions qui y sont posées ont eu des réponses depuis, mais il est extrêmement riche et garantit de beaucoup s'occuper l'esprit, que ce soit en découvrant les sujet évoqués et en les adaptant à sa pratique ou, pour les personnes plus orientées vers la recherche, en reprenant dans le détail les nombreuses références fournies.

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