"Si vous avez manqué d'assiduité dans la noirceur des petites heures du matin, eh bien, vous en subirez les conséquences à ce moment, sous la lumière vive des projecteurs", disait Joe Frazier, qui s'y connaissait en projecteurs puisqu'il a affronté trois fois Mohammed Ali. Si vous voulez donner du fil à retordre à Mohammed Ali (ou à Israel Adesanya, si vous n'êtes pas porté·e sur le spiritisme), devenir polyglotte, créer l'entreprise qui fera de vous un·e millionnaire (ou, si vous venez de finir votre formation de thérapeute, créer l'entreprise qui ne fermera pas en l'espace de quelques mois), apprendre la cornemuse, réduire significativement votre empreinte carbone ou avoir une meilleure hygiène de vie, James Clear vous invite précisément à concentrer vos efforts sur la partie "petites heures du matin" plutôt que sur la partie "projecteurs".
Les habitudes dont il parle sont atomiques parce que l'atome est à la fois infiniment petit et potentiellement générateur d'une énergie conséquente. Pour accomplir des objectifs ambitieux, l'assiduité permettra d'aller plus loin qu'un effort spectaculaire mais réduit dans le temps : essayer de courir 42 kilomètres d'un coup n'est pas la meilleure façon de préparer un marathon. Dit comme ça, ça peut paraître évident, mais si l'auteur estime qu'il y a besoin d'écrire un livre pour le préciser, c'est que ça va beaucoup plus vite d'avoir des ambitions que de se donner le moyen de les réaliser, en particulier quand le long terme implique que les progrès seront potentiellement invisibles dans un premier temps. Il donne l'exemple du glaçon qui fond entre 0 et 1 degrés : un écart d'un seul degré aura un effet spectaculaire, mais l'effet produit par les précédentes augmentations d'un degré seront invisibles (c'est ce que j'ai vécu en licence de psycho quand j'ai enfin trouvé une méthode pour réviser efficacement, augmentant mes notes d'à peu près 50%... pour la dernière session d'examens!). Il fait aussi une analogie mathématique pour illustrer l'aspect exponentiel de l'amélioration : une amélioration quotidienne d'1% pendant un an, c'est une amélioration de 3778% et non de 365% (et encore, imaginez si c'est une année bissextile!).
La première condition pour qu'une habitude vous permette d'aller dans la bonne direction est qu'elle soit... une habitude, d'où l'intérêt de commencer doucement. Certes, vous aurez une meilleure condition physique si vous courez 10km par jour que si vous courez 10km par mois, mais vous aurez une bien meilleure condition physique si vous courez effectivement 10km par mois que si vous prévoyez de courir 10km par jour (c'est là que la force de caractère peut paradoxalement jouer des tours : mieux vaut courir 10km par mois jusqu'à se sentir capable de faire mieux tout en restant assidu que courir 10km par jour pendant trois ou quatre semaines et arrêter d'un coup). L'auteur propose même, quand l'habitude qu'on cherche à intégrer est particulièrement rébarbative, de se fixer un maximum plutôt qu'un minimum ("je mets le nez dans mes leçons de russe tous les jours mais je n'y passe pas plus de dix minutes"). Il va jusqu'à dire que ce qui fait vraiment la différence, ce sont précisément les jours où on n'est pas en forme : certes la valeur ajoutée de ces jours en particulier est limitée, mais ça ancre, élément important, l'identité qu'on cherche à créer à travers l'objectif (par exemple, passer de "j'ai du mal à me bouger mais je vais essayer d'aller à la salle de temps en temps" à "je suis quelqu'un qui a une bonne hygiène de vie"), et si l'habitude a tenu dans ces conditions, c'est qu'elle est solide.
Les raisons qui viennent se glisser entre l'intention et l'action ne sont pas seulement le décalage entre l'objectif (spectaculaire, pour l'instant inaccessible) et le moyen (une succession de petits pas qui ne changeront pas grand chose pris séparément), mais aussi le fait que les automatismes sont bien plus omniprésents et puissants qu'on ne tend à le croire. Si vous allez vous coucher plus tôt tous les jours, vous allez être plus en forme de façon générale dans à peu près quelques semaines, mais si vous regardez encore deux (ou quatre) (ou douze) épisodes de Friends, vous allez passer un moment agréable (qui a l'avantage non négligeable de ne pas impliquer de bouger du canapé) maintenant. Pour les habitudes les plus difficiles à mettre en place, l'auteur propose de travailler en groupe ou même en binôme : vous devrez rendre compte de l'atteinte ou non de l'objectif, avec si il y a besoin d'en arriver là une sanction que vous vous êtes fixée à mettre en place (porter une casquette d'une équipe de foot que vous détestez pendant la journée, écouter 10 fois Si j'avais un marteau, ...). Toutefois, pas besoin en général d'en arriver là : une clef efficace est d'intercaler cette habitude avec d'autres, déjà en fixant un moment et un lieu précis pour consacrer un espace déterminé (je peux témoigner de mon propre échec cuisant quand j'ai décidé de faire de la méditation "trois fois par semaine" sans autre précision), mais aussi éventuellement en accolant ledit espace à des automatismes déjà bien ancrés que vous pouvez donc être sûr·e de ne pas rater (avant ou après le café du matin, avant de regarder un film, ...-). La flemme peut aussi être utilisée à votre avantage : débranchez la télé, mettez le paquet de cigarettes (ou votre smartphone!) à un endroit difficilement accessible, et les automatismes qui parasitent vos ambitions seront beaucoup moins automatiques.
Je n'ai relayé ici que quelques conseils de ce livre qui en contient un certain nombre, dont l'essence tient en quatre clefs : que l'habitude devienne une évidence, qu'elle donne envie, qu'elle soit facile (en particulier le premier pas, qui est à la fois le plus important et le plus tentant à éviter) et qu'elle génère de la satisfaction (pour un objectif de long terme ça peut être compliqué, mais l'auteur témoigne que laisser une trace même aussi minime que faire une croix sur un calendrier ou mettre un trombone dans une boîte peut faire une grosse différence). L'ensemble m'a bien parlé parce que ça correspond de façon générale à ce qui m'a aidé parmi ce que j'ai mis en place spontanément au fil des années en faisant une fac par correspondance parallèlement à un travail à plein temps (certes ça ne m'a pas non plus permis de décrocher brillamment un Master 2 et d'être un psychologue de renommée internationale puisque mon parcours s'est arrêté, donc, à la licence, mais déjà ça m'a permis d'aller jusque là -et de tenir ce blog qui j'en suis sûr illumine votre quotidien-). Les trois derniers chapitres sont consacrés à des conseils pour viser l'excellence, mais, entre le conseil de rester dans une zone qui relève du challenge sans pour autant être hors de portée (sans blague!) et celui qui dit que dans travail et talent il y a aussi talent et que donc pour aller loin il faut se consacrer à un domaine pour lequel on a des capacités innées, qui glisse sur une pente extrêmement douteuse (il ouvre quand même le chapitre sur les différences de physiologie entre un nageur olympique et un coureur olympique) sans pour autant dire comment on devine les capacités innées en question (quand il dit par exemple que le métier d'humoriste de stand-up n'est pas adapté aux personnes timides, faisant un gros contresens sur la timidité puisqu'il parle certes d'une activité devant un public mais dans un contexte très maîtrisable et spécifique qui sera un peu, mais pas beaucoup, plus difficile pour une personne timide que pour une autre, ça ne rassure pas tout à fait sur ses propres compétences pour faire le tri), ils ne relèvent eux-mêmes pas tout à faire de l'excellence.
Le livre se lit vite et facilement, les conseils sont très nombreux, certains sont contre-intuitifs, et pour autant que je puisse en juger ils sont pertinents dans l'ensemble. C'est donc un bon outil, peut-être pas pour décrocher une médaille d'or olympique, mais pour s'engager dans une voie sans se décourager quand c'est laborieux, trop écouter la culpabilité, ou tout faire reposer sur la force de caractère.
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