jeudi 12 avril 2012

Je mange donc je suis, de Gérard Apfeldorfer



  Le livre s'ouvre sur une citation de Boris Cyrulnik faisant (venant de lui, c'est ironique) l'apologie du doute (extraite de Sous le signe du lien). L'auteur remercie ensuite ses patient·e·s... pour leur patience. Le tout est cohérent avec la conclusion, où Gérard Apfeldorfer insiste sur le fait qu'une thérapie pertinente doit surtout être une rencontre, ce qui en effet est très différent de décalquer un savoir ou un savoir-faire à la chaîne, ce que peut facilement être tenté de faire tout·e expert·e.

 L'objet de l'ouvrage est avant tout de revenir sur des conceptions erronées sur l'individu souffrant de surpoids, problème qui sera vu à la fois sous l'angle somatique et en tant que trouble du comportement. Les autres troubles du comportement alimentaire (boulimie et anorexie) seront donc évoqués bien plus rapidement... en fait il sera surtout rappelé qu'ils sont liés au surpoids dans la mesure où le patient se préoccupe énormément des calories ingérées et du jugement de la balance.

 On n'échappe pas à l'intro habituelle sur l'alimentation en général, mais l'auteur ne se contente pas de dire qu'on mange n'importe quoi n'importe quand, qu'on grignote trop ah là là et le fast-food et les micro-ondes m'en parlez pas ou que dans les contextes socio-économiques où manger à sa faim est un luxe l'obésité est synonyme de séduction, enfin il le dit aussi (ça paraît incontournable vu le sujet) mais va surtout sensibiliser au nombre considérable d'enjeux de l'alimentation, dont certains sont présents même chez les animaux (un daim courant beaucoup plus vite qu'une banane, par exemple, les loups chasseront et surtout mangeront en groupe -ce qui sera l'occasion de rappeler la hiérarchie- quand la nourriture sera disponible, alors que les singes mangeront quand ils auront faim sans se préoccuper de l'activité des autres). Ce qu'on retrouve dans l'assiette (ou dans la barquette micro-ondable, je me comprends) dépendra donc du contexte économique (aliments disponibles), technologique (stockage, transport, cuisson, …), social (la préoccupation des convives d'un déjeuner d'affaires est rarement centrée sur le contenu de l'assiette), culturel et religieux (tabous ou au contraire recommandations), … saveur et valeur nutritionnelle sont loin d'être les seuls critères pour déterminer ce qu'on ingurgite. Il n'y est pas précisé si la division du livre en 13 chapitres est une référence à un repas célèbre, mais ce chapitre est intéressant et agréable à lire.

 De la même façon qu'un repas est plus qu'un ensemble de valeurs nutritionnelles, il est simpliste et erroné de considérer l'obèse comme un individu volumineux, paresseux, qui mange trop. L'auteur s'attache à décrire en quoi le surpoids influence la vision de son propre corps et du monde extérieur : le regard dévalorisant (sur le plan des valeurs morales, de la séduction, ...) des autres risque d'être intériorisé, certains mouvements du quotidien sont bien plus pénibles, ce qui a des conséquences non négligeables sur la représentation de la minceur qui peut être convoitée. Sont ainsi rapportés des cas de patient·e·s qui changent du tout au tout après leur amaigrissement (par exemple changeant de partenaire en estimant mériter mieux... ce qui implique que de nombreuses personnes en surpoids réel ou ressenti acceptent une vie de couple insatisfaisante car iels estiment normal de retourner à leur partenaire l'indulgence supposée qu'iel aurait pour leurs kilos en trop) avant d'être déçu·e·s par la différence entre idéal et réalité, reprenant dans certains cas le poids durement perdu.

 Une revue commentée des savoirs actuels (refrain habituel : il s'agit hélas des savoirs actuels de 1991)  exhaustive est proposée au ou à la lecteur·ice sur le plan psychologique ou somatique, en ce qui concerne les causes comme les thérapies disponibles. Des réponses nombreuses et nuancées seront apportées à la question : "l'obèse mange-t-iel trop?". Si le dernier chapitre du livre concerne les traitements de la boulimie, c'est probablement du fait que traitements de l'obésité et de la boulimie se ressemblent énormément, au point que le·a lecteur·ice peut par instants avoir la sensation dans les chapitres précédents que c'est de la boulimie qu'il est question. Les différences sont rares mais il y en a. Pour donner des exemples : dans le cas de l'obésité, le carnet alimentaire est considéré comme parfois et provisoirement néfaste ("certains sujets le vivent comme un moyen utilisé par le thérapeute pour les espionner, les contraindre, les manipuler"... auquel cas il conviendra de l'abandonner en attendant que le·a thérapeute gagne la confiance du ou de la patient·e), ou encore les méthodes de relaxation, outil bénéfique aux boulimiques et anorexiques pour mieux ressentir leur corps, ne suscitent pas un enthousiasme frénétique de l'auteur en ce qui concerne les patient·e·s obèses ("leur inefficacité en tant que méthodes amaigrissantes est si reconnue qu'on y a recours lorsqu'il s'agit de constituer un groupe témoin sur lequel jouerait uniquement l'effet placebo").

 Difficile de résumer l'éventail des thérapies décrites. Il est toutefois très clair que l'auteur déplore la tendance à séparer radicalement traitement médical (le médecin ou le·a nutritionniste soigne le physiologique) et traitement psychothérapeutique (le·a "psy" soigne la tête) même s'il est parfois confortable pour les acteur·ice·s. Si le ton est moins ferme que celui d'Hilde Bruch, les médicaments comme solution pour maigrir ne semblent pouvoir profiter qu'à des individus masochistes, ou à l'industrie pharmaceutique : si succès il y a, ce sera à court terme (or le fait de maigrir puis reprendre du poids peut être plus néfaste pour la santé que l'obésité elle-même), ce qui ne sera pas nécessairement le cas des effets secondaires. Dans ce qui peut fonctionner (attention, même si ce chiffre est ensuite tempéré -entre autres parce qu'ils portent sur les thérapies proposées par des professionnel·le·s alors que se soigner en autodidacte peut être plus efficace-, il est rappelé qu' "avec 5 ans de recul, toutes méthodes confondues, 80 à 95% des sujets ne parviennent pas à maigrir durablement et à se stabiliser à un poids, inférieur au poids de départ") figurent les thérapies de type analytique pour mieux se connaître et cerner ce que représente (et éventuellement ce qui cause) le surpoids, les TCC pour neutraliser ce qui conduit à briser un régime accepté au départ (faire les courses le ventre plein, dédramatiser les écarts, poser les couverts toutes les 3 bouchées, savoir se modérer même pendant un repas de fête, remplacer les instants de la journée à risque par une occupation incompatible avec le grignotage, …) ou diverses activités qui permettront de mieux ressentir, voire accepter, son corps (soins tels que coiffure ou maquillage, massages, sport -qui ne peut généralement dans un premier temps être pratiqué que modérément et à l'abri des regards-, …).

 L'auteur attache un intérêt particulier à deux concepts. Le premier est celui de fétichisme (qui n'a à priori pas grand chose à voir avec le fétichisme érotique... non, il ne sera pas question de petites culottes ou d'attrait extraordinaire pour les pieds) : solution de facilité pour le·a patient·e, il s'agira de faire porter tout le poids de la thérapie sur la méthode thérapeutique elle-même, sur le·a thérapeute, voire sur un objectif (rentrer dans un vêtement précis par exemple). Le·a patient·e s'absout donc de toute responsabilité et surtout de toute autonomie et de tout sens critique, et laisse la magie du traitement opérer. Cette attitude est bénéfique à court terme pour le·a patient·e (qui pourra perdre du poids par simple effet placebo!), et bénéfique à long terme pour le charlatan qui aura plusieurs patient·e·s successif·ve·s. En effet, plus la méthode est chère et saugrenue (chanter Sur le port d'Amsterdam  au coucher du soleil les jours pairs en portant un déguisement de Zorro, ne manger que des aliments d'une certaine couleur, voire même faire des choses qui normalement font grossir), moins le·a thérapeute a l'air d'un·e thérapeute, plus l'effet fétichisme aura de chances de fonctionner. Sont donnés les exemples bien réels des régimes de star, de la méthode Atkins (ne pas manger lipides et glucides en même temps), de l'instinctothérapie (ne manger que des aliments crus, et l'appétit dira ce qui est bon et ce qui l'est moins), … Cependant, le·a patient·e (ou des voisin·e·s peu coopératif·ve·s qui en ont marre de Jaques Brel, même un jour sur deux) finira par se lasser, et après avoir trouvé la méthode fantastique, aura du jour au lendemain ou presque l'attitude opposée, éventuellement jusqu'à trouver un nouveau fétiche. L'autre concept, bien moins anecdotique, est celui d'hyperempathie, plus précisément de position hyperempathique (mais il n'est pas toujours évident de déterminer si l'auteur fait une différence nette entre les deux, s'il considère que certaines personnes sont de nature hyperempathique ou si l'on est plutôt pris d'hyperempathie à certains moments). Ce concept semble découler d'une volonté de dépasser le concept d'externalité (selon une théorie datant de 1974, l'obésité découlerait d'une forte sensibilité aux stimuli externes, au détriment des stimuli internes -on mange parce qu'il y a à manger, pas parce qu'on a faim-... mais a finalement été jugée peu satisfaisante car artificielle -les fausses odeurs de croissant émanant de certaines boulangeries ou les photos gigantesques de pizza ou burgers sont susceptible d'attirer tout le monde, sans compter que l'état interne détermine la sensibilité à l'externe, d'où la prescription comportementaliste de faire ses courses le ventre plein-) car il en partage certains éléments. L'hyperempathique est extrêmement sensible aux stimuli externes, mais également aux autres gens, si bien qu'iel paraîtra parfois ne pas avoir de personnalité propre, voire ressentira la peur de ne pas avoir de personnalité propre, d'être vide. Cela peut provoquer une attitude d'opposition qui est le syndrôme ni-ni (ça s'appelle comme les chevaliers du Ni de Sacré Graal, et d'ailleurs quand on y pense c'est un peu pareil) , une variante de l'hyperempathie dans laquelle l'individu refuse de se laisser définir... équilibre délicat, car à force de refuser tout ce qui pourrait nous définir, on risque d'être défini·e comme anti-conformiste, ce qui est tout aussi inacceptable qu'une autre définition. L'hyperempathique sera également angoissé·e par les règles, les cadres, et sera tenté·e de jouer avec leurs limites ou encore de les transgresser le plus possible. Inutile de préciser que la définition de ce concept est bien plus détaillée dans le livre que dans mon résumé (et illustrée très régulièrement de témoignages de patient·e·s)... au point qu'il est difficile de ne pas à un moment ou à un autre, devant des éléments qui semblent parfois contradictoires, s'autodiagnostiquer hyperempathique, ou faire ce diagnostic pour un·e proche. Les conséquences de l'hyperempathie dans le cadre des troubles du comportement alimentaire ne sont cependant pas négligeables. D'une part, le remède temporaire à la peur du vide est de se ressentir (effort sportif intense, choc physique qui explique d'éventuelles prises de risques qui sont aussi motivées par la volonté de transgresser les règles), mais aussi de se remplir, donc de manger -beaucoup-. Ceci n'est pas sans rappeler les gavages particulièrement violents évoqués dans Boulimiques, au point de ne plus pouvoir marcher. Le concept a également des applications thérapeutiques très concrètes : le·a thérapeute devra être extrêmement attentif·ve à l'effet de transfert, les réactions (adhésion absolue suivi d'une crainte d'être comme englouti·e de l'intérieur par le·a thérapeute) pouvant être particulièrement violentes, ou encore la thérapie analytique risquant de se passer de façon un peu trop idéale (le·a patient d'un·e psy freudien·ne se remémorera des rêves emplis de symboles phalliques, mais s'iel vient le lendemain s'allonger sur le divan d'un·e psy très inspiré·e par Bowlby iel sera intarissable sur ses liens d'attachement avec sa mère, ses peurs de l'abandon et d'éventuels deuils, avant, quand les circonstances l'amèneront à changer encore -décidément!- pour un·e spécialiste de Devereux, de lire sa pathologie en fonction de la société dans laquelle iel vit, …).

 Rare efficacité réelle des traitements pour mincir, silhouette faisant partie intégrante de l'identité, risque de perte d'autonomie et de sens critique par fétichisation du traitement ou par hyperempathie envers le·a thérapeute ou des proches conduisant à consulter, idéalisation de la minceur... il apparaît clairement qu'avant de pouvoir proposer une solution efficace, il est aussi primordial que complexe d'identifier, en collaboration avec le·a patient, sa demande, ses besoins réels (par opposition à une représentation idéale de la thérapie ou de son résultat). Accepter son surpoids (ressentir sincèrement qu'on peut bien vivre avec des kilos en trop, faire le deuil de l'amaigrissement, pas simplement renoncer par sentiment d'impuissance) n'est pas nécessairement plus facile que de maigrir, mais est parfois préférable : "maigrir est bien, mais vivre est mieux" semble être le message solidement argumenté du livre qui rappelle par bien des aspects Le Poids et le Moi , plus court. Si boulimie et anorexie sont très peu évoquées, les riches et nombreuses précisions données sur l'alimentation, sur le rapport au poids, fournissent une paire de lunettes salutaire qui gagnera à être chaussée en lisant des ouvrages plus spécialisés.

dimanche 18 mars 2012

Projet tutoré

 Pré-projet à envoyer avant le 1er mars (oui, le 1er mars 2012, celui qui est passé depuis 3 semaines), projet tutoré en entier à envoyer avant le 1er avril... n'ayant pas du tout commencé (l'idée c'est de poser une question originale qui permet de faire avancer la science sur le sujet choisi -dans mon cas les troubles du comportement alimentaire- et d'expliquer comment y répondre... je n'ai encore aucune idée de question précise et constructive à poser), je suis tellement en retard qu'on ne peut plus vraiment dire que je suis en retard. D'ailleurs, le temps est une notion relative... est-ce que ce n'est pas l'année scolaire qui est un peu en avance? C'est donc pour la 2ème session (dite de rattrapage... rattrapage du retard accumulé?), soit le 25 juillet, que je vais révolutionner (au moins!) la thérapie des troubles du comportement alimentaire en 15-pages-maximum-sauf-sommaire-et-annexes, ce qui me laisse plus de temps pour faire des lectures préparatoires (ou gagner du temps avant de chercher désespérément une idée, on peut aussi formuler ça comme ça...). Les quelques fiches de lectures qui vont suivre vont donc concerner le même thème que les précédentes, mais après j'en ferai aussi sur d'autres sujets, parce que les autres sujets c'est bien aussi.

lundi 12 mars 2012

Anorexie, boulimie, obésité, de Gérard Apfeldorfer


  Dans ce livre, Gérard Apfeldorfer, psychiatre et membre de l'Association française de thérapie comportementale et cognitive, présente de façon synthétique l'état des connaissances sur les troubles du comportement alimentaire (le fait qu'il soit plus récent que les ouvrages résumés précédemment n'est donc pas négligeable) et leurs limites, et propose de nouveaux concepts pour avancer. Si les vignettes cliniques sont complètement absentes, le livre a l'originalité d'être illustré (en couleurs, c'est peut-être un détail pour vous, mais pour l'éditeur ça veut dire beaucoup de coûts supplémentaires) par des œuvres d'arts représentant des corps féminins minces ou ronds, donc de représentations du corps féminin plutôt que de corps féminin réels... ce qui est en fait cohérent avec le thème.

  Contrairement à ce que pourrait laisser supposer l'appartenance de l'auteur à une association avec TCC  dans le nom, la pluridisciplinarité est au cœur de l'ouvrage (sans être fermement revendiquée comme le fait Hilde Bruch) : les extraits du DSM IV et les statistiques épidémiologiques cohabitent avec des descriptions détaillées des théories analytiques sur le sujet, et les zones d'ignorance sont expliquées et délimitées, et humblement reconnues et regrettées.

  L'auteur commence par expliquer les points communs entre anorexie, boulimie et obésité (il précisera "obésité hyperphage" tout au long du livre pour spécifier qu'il s'intéresse à des comportements plutôt qu'à un IMC défavorable), en particulier une grande importance donnée à l'image du corps et l'état de sous-alimentation (car l'obèse en régime restrictif est sous-alimenté·e au même titre que n'importe qui d'autre en régime restrictif, avec les conséquences -obsession pour la nourriture, perte de masse musculaire, … que cela entraîne). Il détaille ensuite séparément les trois troubles (respectivement nommés anorexie mentale, bulimia nervosa et syndrôme d'hyperphagie incontrôlée), description complétée par les critères DSM et un tableau récapitulatif.

  Les descriptions de l'anorexie et de la boulimie sont cohérents avec celles des ouvrages que j'ai résumés précédemment (pour une différenciation entre les deux je renvoie par exemple à Histoires sans faim de Jacques Maillet). Le syndrome d'hyperphagie incontrôlée désigne pour l'auteur un comportement alimentaire semblable à la boulimie, mais qui n'est suivi ni de vomissements ni d'efforts sportifs intenses. Si cette condition (gavages compulsifs, c'est à dire indépendants de la volonté du ou de la patient·e) pour définir l'obésité comme trouble du comportement alimentaire peut surprendre (elle diffère par exemple radicalement de la vision d'Hilde Bruch, qui de son côté montre du doigt de mauvaises habitudes données à l'individu, pour des raisons très diverses, au cours de sa croissance), elle concerne selon l'auteur 20 à 50% (20 ou 50???) des patient·e·s qui consultent pour obésité, donc probablement "une majorité d'obèses" (puisque tou·te·s ne consultent pas). Diverses souffrances sont occasionnées par cet état : obsession du poids et de la nourriture exacerbée par des tentatives infructueuses de se restreindre, faible estime de soi, sensibilité au rejet, …
 
Sont ensuite évoqués les traitements proposés. L'hospitalisation (dans les conditions très dures évoquées dans le livre de Jacques Maillet... ce qui était déjà pratiqué par Charcot!) dans un service spécialisé est considéré comme indispensable pour l'anorexie (mais à ne préconiser qu'exceptionnellement pour la boulimie), parallèlement à d'autres traitements (psychothérapie, activités favorisant la conscience du corps, consultations proposées au parents, …), … La notion de contrat est au centre de l'hospitalisation, et différentes "récompenses" (visites des parents, permissions, ...) sont offertes au fur et à mesure des progrès de la patiente. De façon très surprenante, l'auteur donne comme condition de sortie l'atteinte d'un certain poids : Jacques Maillet met précisément en garde contre cette condition que l'anorexique, qui ne s'estime pas souffrant·e, s'empressera de remplir pour reprendre ses habitudes aussitôt sorti·e.

  En ce qui concerne les médicaments, une liste des différents traitements existants est donnée avant de conclure que, contrairement aux effets secondaires, les résultats positifs sont constatés au mieux sur le court terme. Les TCC sont recommandées pour l'obèse hyperphage et l'anorexie, et les différentes procédures sont assez détaillées (les détails en questions sont les mêmes que ceux donnés dans le résumé de Boulimiques, de Pierre Aimez et Judith Ravar) : il s'agit de modifier certaines conceptions de l'alimentation (en particulier la conception de certains aliments comme bons ou mauvais) et de limiter les opportunités de manger en dehors des repas. Le travail sur l'acceptation du corps et l'affirmation de soi (soins du corps, travail devant un miroir, …) est également indiqué pour les anorexiques.
 
  La psychanalyse est désignée comme efficace pour améliorer le quotidien des patient·e·s ("approfondissement du vécu et prise de conscience des affects, progrès dans la vie relationnelle et amoureuse, progrès sur le plan professionnel"), mais il s'agit d'une psychanalyse aménagée où l'entretien face à face remplace le divan, et où l'analyste est un peu moins neutre et un peu plus bienveillant·e. Il convient cependant de surveiller de près le transfert : un·e patient·e ne s'attribuera pas les progrès effectués avec un·e thérapeute trop idéalisé·e, et un rapport trop conflictuel empêchera la thérapie d'avancer (d'autres auteur·ice·s sont plus nuancé·e·s et considèrent qu'un rejet violent peut faire partie intégrante du processus de guérison, et que refuser le retour d'un·e patient·e même s'il·elle a été virulent·e risque d'annuler les progrès déjà effectués).

 Sont ensuite présentées en vrac d'autres approches thérapeutiques, mais si des informations sont données sur leur fonctionnement et leurs objectifs, rien n'est indiqué sur leurs intérêts ou leurs contre-indications.

 En ce qui concerne les succès thérapeutiques, la reprise d'un poids sain concerne 50% des anorexiques après 2 ans, 70% après 5 ans, même si on peut s'alarmer que pour 20% des patient·e·s ayant retrouvé ce poids, les règles ne soient toujours pas apparues 2 ans après. Et l'auteur s'empresse de rappeler que reprise de poids ne signifie pas bien-être absolu : rechutes (en particulier après le mariage ou la maternité), angoisses concernant l'alimentation, apparition de boulimie restent à craindre. En ce qui concerne les boulimiques, les patient·e·s les plus gravement atteint·e·s (le tiers, ceux et celles qui souffrent également par exemple de dépression ou de toxicomanie) devront s'engager dans une thérapie en profondeur sur plusieurs années tout en étant soigné·e·s par TCC, ce qui suffit aux autres qui sont débarrassé·e·s de leur trouble plus rapidement. C'est pour l'obésité que le constat sur l'efficacité des soins est le plus pessimiste : aucune méthode n'a fait ses preuves au delà de 5 ans.
 
 L'auteur s'intéresse ensuite aux causes que l'on peut supposer provoquer les troubles du comportement alimentaire, et avant d'énumérer les divers facteurs (organique, socio-culturel, biologique, psychanalytique et familial) reconnaît que personne n'a encore de réponse définitive. On peut apprécier le fait que les théories psychanalytiques soient plus détaillées que dans les autres ouvrages que j'ai lus pour l'instant. En ce qui concerne la famille, Gérard Apfeldorfer rappelle que la mère a été énormément montrée du doigt, et restitue les arguments alors avancés (la description peu flatteuse de certaines mères d'enfant obèse par Hilde Bruch y figure par exemple), tout en reconnaissant que "75% des mères d'anorexiques ont fait une dépression, ou ont eu recours à l'alcoolisme, ou ont été kleptomaniaques dans l'année précédant l'anorexie de leur fille." La conception de traits particuliers des parents pour chaque trouble alimentaire est remise en question, car dans une même fratrie des patient·e·s peuvent souffrir de troubles différents. Le fait que le rôle du père n'ait pas été plus approfondi est également regretté. Enfin, divers types de fonctionnements familiaux jugés à risque par certains chercheurs en ce qui concerne les troubles du comportement alimentaire (mais aussi d'autres troubles comme la toxicomanie ou la schizophrénie) sont évoqués, leur point commun étant des rapports distants et l'usage de la manipulation. Est également rapporté que "la moitié des anorexiques et 75% des boulimiques interrogées font état d'abus sexuels dont elles auraient été victimes dans leur enfance". L'auteur explique que le fait précisément que la proportion soit si élevée provoque quelques doutes, mais après s'être demandé s'il s'agit d'abus réels ou d'une relation ambiguë mal interprétée (ça situe le respect pour les victimes), il laisse le sujet tel quel, évacué en deux phrases. On aurait au moins aimé savoir d'où sortait cette stat, ou qui sont les "différents auteurs" qui "insistent" sur le sujet "depuis 1985 environ".

 Pour y voir plus clair après ce qui est, en effet, un catalogue (un catalogue très intéressant mais un catalogue quand même), Gérard Apfeldorfer propose des concepts explicatifs plus personnels, au premier rang desquels figure la position hyperempathique, "double mouvement de surinvestissement du monde et de méconnaissance de soi-même". Position car c'est une attitude adoptée dans certaines circonstances, et non un état constant ni une vision du monde intériorisée. La position hyperempathique se caractérise entre autres par le syndrome d'envahissement (sentiment d'être vide provoquant une angoisse poussant à se remplir -hyperphagie- ou se ressentir -activités sportives intenses, nymphomanie, violence, achats compulsifs, ...), le syndrome d'opposition (opposition à l'environnement ressenti comme intrusif, refus de la conformité) et, en cas extrême, la fermeture (fuite de l'intrusion physique -nourriture par exemple- et psychique -amour des autres, ...-). Un autre concept présenté, expliquant des difficultés à guérir, est le fétichisme. La responsabilité de la guérison est attribuée à un objet externe (thérapeute charismatique, méthode magique, vêtement dans lequel on veut rentrer, ...), ce qui permet de cesser tout effort lorsqu'on se lasse dudit objet qui sera un coupable désigné et bien commode de l'échec.

 Si un livre court c'est toujours pratique, surtout lorsqu'il couvre tout ce qu'il y a à couvrir (étiologie-sémiologie-thérapie), on peut regretter l'absence de vignette clinique, ou que certains points ne soient pas approfondis. Mais pour ce dernier reproche, ça tombe bien, il y a une bibliographie à la fin, qui comprend précisément deux livres du même auteur justement pour approfondir. L'ouvrage a également l'avantage d'être récent (bon, 1995 c'est plus très récent, mais c'est quand même 20 ans après Hilde Bruch) et de proposer un concept original (l'hyperempatie). A conseiller donc, avant d'approfondir.

lundi 5 mars 2012

Histoires sans faim, de Jacques Maillet


  Dans ce bref ouvrage très axé sur la pratique, l'auteur, psychiatre travaillant dans un hôpital lyonnais, donne des informations concises et complètes sur l'anorexie (et un peu sur la boulimie).

  Après une introduction rapide où sont posées quelques questions sur l'épidémiologie et son évolution (plus de cas détectés car plus de malades, ou plus de cas détectés parce que la détection est plus efficace?), Jacques Maillet nous met directement face à des vignettes cliniques.

  Le choc peut être rude... si les divers traitements évoqués mettent en avant le fait que malgré certaines similitudes marquées (qui seront évoquées plus tard) les situations peuvent être très variées (du boxeur qui se fait vomir pour ne pas dépasser sa limite de poids imposée par la compétition et est terrifié à l'idée de prendre du gras mais mange à peu près normalement, à la petite fille de 10 ans dont les risques de décès sont très sérieux et qu'il faut attacher pour qu'elle n'arrache pas la sonde de gavage, seule solution pour la nourrir), on se rend surtout compte que les méthodes thérapeutiques sont très musclées : "hospitalisation" veut dire séparation complète avec la famille, parfois isolation quasi-totale, le plus souvent, on s'en doute, sans l'accord de la patiente, et les libertés (sorties de la chambre, activités possibles, ...) sont négociées progressivement selon les progrès effectués. Il est presque surprenant que le CHU de Lyon n'ait pas été pris d'assaut par des manifestant·e·s scandalisé·e·s qui se seraient arrêté·e·s à la lecture du chapitre 2. On se rend aussi hélas compte qu'une rémission, si rassurante et impressionnante soit-elle, n'est pas nécessairement une guérison et qu'un suivi psychothérapeutique, nécessaire, de plusieurs années ("pour une anorexie, il est difficile de parler de guérison au moins 5 années après le début de la prise en charge") ne suffit pas toujours à prévenir des rechutes.

  La partie descriptive de l'ouvrage rapidement évacuée, place à la partie théorique. S'il est rappelé que la distinction nette entre anorexie et boulimie est difficile et que certain·e·s patient·e·s souffrent alternativement de ces deux troubles, des différences précises sont données. L'anorexie touche plutôt des préadolescent·e·s, qui ont des frères et soeurs, alors que les patient·e·s qui consultent pour boulimie sont plus souvent de jeunes adultes. L'anorexique aura tendance à nier qu'il y a un problème, et à refuser violemment toute prise en charge en particulier psychiatrique (ce qui retarde une thérapie efficace et peut avoir de graves conséquences), alors que le·a boulimique a honte de sa pathologie et sera demandeur·se d'aide quand iel osera consulter. L'anorexie, si elle s'instaure progressivement (forte activité tant dans le travail scolaire que dans les tâches ménagères contrebalancées par des repas pris très lentement avec de nombreux rituels -traquer la moindre trace de gras à essuyer, "couper un grain de riz en quatre", ...- qui créeront une tension et vaudront au ou à la patient·e des moqueries des frères et sœurs, ...), est plutôt voyante alors que la boulimie est le plus souvent dissimulée donc découverte tard.

  Des pistes étiologiques sont évoquées, mais de l'aveu même de l'auteur tout n'est pas encore limpide de ce point de vue (pourquoi telle patient·e est anorexique et pas sa sœur? pourquoi telle famille s'est révélée "pathogène" et pas telle ou telle autre?), ce qui ne facilite pas d'éventuelles mesures de prévention. L'anorexie est en général déclenchée par un changement (voyage scolaire qui est une première séparation d'avec les parents donc les habitudes familiales, entrée au collège, déménagement, ...), et on soupçonne qu'elle est le résultat d'un cadre familial trop présent, d'habitudes alimentaires trop strictes (horaires des repas, aliments autorisés ou non, ...). Le découragement dans la tentative de ressembler à une mère trop parfaite est également une piste évoquée. La boulimie semble au contraire compenser autre chose ("les accès de "fringale" et les vomissements apparaissent comme une automédication contre l'angoisse et la dépression"), qui peut être un sentiment d'abandon (les sacs de vomis abandonnés bien en vue de la mère, évoqués dans Boulimiques, sont un écho éloquent à cette hypothèse -"tu m'ignores alors que je souffre, tu sais que je le sais, et tu sais que je sais que tu le sais"-) ou une agressivité contenue. Des moqueries concernant le poids, des antécédents familiaux de troubles du comportement alimentaire ou de dépression sont également des signes à surveiller.

  Le traitement lui-même est enfin évoqué, et il faut attendre le dernier chapitre du livre pour voir détailler la logique des violentes hospitalisations, et les rendre (un peu) moins violentes aux yeux du ou de la lecteur·ice. Le·a patient·e anorexique et sa famille se verront proposer un contrat d'hospitalisation qui détaillera les conditions de ce qui peut s'apparenter à une détention (d'une durée qui n'est pas insignifiante -"l'hospitalisation se déroule sur deux mois au minimum, mais plutôt sur six ou dix mois dans les formes les plus rebelles"-) : séparation de la famille ("l'anorexie mentale réalise un modèle de pathologie de l'attachement"), parfois du reste de l'hôpital, activités autorisées limitées (dessin, lecture, ...) pour éviter l'hyperactivité, repas (avec sonde en cas de refus d'alimentation total) pris en présence d'un membre référent de l'équipe soignante, consultations avec un·e thérapeute de la patiente (qui seront poursuivies après l'hospitalisation, pendant plusieurs années), mais également de la famille. En effet, la séparation totale rend nécessaire un rendez-vous durant lequel les parents auront des nouvelles de l'enfant, qui risque d'être méconnaissable à sa sortie ("le retour de la patiente à son domicile risque de se solder par un échec. Les parents ont alors l'impression d'avoir "perdu" leur fille, celle qu'ils connaissaient avant sa maladie et se retrouvent en présence d'une "étrangère" avec laquelle il leur faut réapprendre à vivre" - cette remarque rend compte implicitement du fait que le comportement pathologique peut devenir partie intégrante du fonctionnement familial-). De plus, il est fréquent que la situation culpabilise les parents qui se demandent ce qu'ils ont pu faire à leur enfant : les entretiens peuvent alors limiter la culpabilité et donner des éléments de réponse.

  Le·a référent·e de la patiente, pour établir une relation thérapeutique constructive, devra faire preuve de patience devant une façon de manger pour le moins inhabituelle (rituels évoqués plus haut ou au contraire alimentation compulsive en se salissant, manipulations diverses, faire semblant de manger et cacher les restes, ...) et écouter, encourager toute conversation initiée. Un travail est également fait sur la conception du corps et de l'alimentation, à travers l'hygiène quotidienne mais aussi des conseils diététiques, de la kinésithérapie, ...

  En ce qui concerne la boulimie, la demande est en général précise et optimiste : arrêt immédiat ou très rapide des symptômes. Les TCC sont recommandés par l'auteur (contrat élaboré avec le·a thérapeute, qui doit rester disponible et bienveillant·e même en cas d'attitudes de rejet brusques et violentes, dédramatisation des rechutes, viser des améliorations progressives, informations sur la nutrition, ...) : l'hospitalisation doit n'être qu'exceptionnelle. Les méthodes de relaxation sont un complément bienvenu. Qu'il s'agisse d'anorexie ou de boulimie, la survenue d'une dépression durant la thérapie est à surveiller et un traitement médicamenteux peut s'imposer.

  Le livre est bref, clair et complet. Il sera probablement très utile à l'entourage de patient·e·s qui auront une vision plus claire des symptômes et pourront donner un avis plus lucide sur des propositions de traitement. On peut cependant regrette l'absence de bibliographie (sinon les "du même auteur" et "dans la même collection" de rigueur), à la fois pour la personne qui veut approfondir et pour celle qui, feuilletant l'ouvrage dans une librairie, va se demander quelles sont les inspirations théoriques de l'auteur.



jeudi 1 mars 2012

Index



Euh... comme son nom l'indique, c'est un index, et il y a même des fois où les liens fonctionnent!

Livres

Melody Beattie, Vaincre la codépendance
Anne Billows, Amours en cendres
 

 
 
 
 
 

Connie Zweig et Jeremiah Abrams (dir.), Meeting the shadow

Ciné et TV

Andréa Bescond et Eric Metayer, Les Chatouilles
Tom Bidwell (créateur), My Mad Fat Diary
David Cronenberg, A Dangerous Method
Pete Docter, Vice Versa
Daniel Friedman, Être psy volume 2, De la psychanalyse à la psychothérapie
Rodrigo Garcia (créateur), En Analyse

Sur le net

Arrêt sur images, Cannabis, et si on parlait santé
Arrêts sur images (C'est pas qu'un jeu), Comment les jeux vidéos tentent de vous rendre accro
Denis Poinsot, Statistiques pour statophobes
Jaddo, Juste après dresseuse d'ours
Robert Altemeyer, The Authoritarians
Madmoizelle.com , Je suis bipolaire - témoignage
Hécate, Ephémère et délétère
Florence Braud, Soignante en devenir
Sandra Kim (créatrice), Everyday Feminism
Maëlys (sur simonae.fr ), Anorexie, ces phrases que j'en ai marre d'entendre
Odile Fillod, Allodoxia, observatoire critique de la vulgarisation